Jeudi, 13 février 2025
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    Entrevue exclusive avec WOODKID

    J’avais hâte de lui parler. Son premier album lancé en 2013, «The Golden Age», m’avait conquis. Quand j’ai appris qu’il lançait (finalement!) un nouvel album, j’ai tout fait pour avoir une entrevue avec ce jeune artiste français de 37 ans qui a aussi, notamment, réalisé les clips «Born To Die» de Lana Del Rey et «Teenage Dream» de Katy Perry. Il s’appelle Yoann Lemoine, mais est connu internationalement sous son pseudonyme Woodkid.

    De son appartement à Paris, on a parlé de tout: de son nouvel album, d’addictions, de sexualité et d’homosexualité. Quand on s’est salué à la fin de la rencontre sur Zoom, j’ai eu la conviction d’avoir pu rencontrer un gars honnête et intègre. Un grand artiste. Voici un résumé de notre conversation.

    L’accent québécois, ça va?
    L’accent québécois, ça me rend heureux. Ça me fait un peu voyager.

    À quand remonte ta dernière visite au Québec?
    À l’été 2018. Je viens chaque été au mois d’août à Montréal parce que j’adore cette ville. J’adore manger et j’ai plein d’amis qui sont chefs à Montréal. J’adore la scène gastronomique montréalaise.

    En plus de lancer un nouvel album, je vois que tu as un spectacle prévu en décembre à Montréal…
    J’espère que ça va tenir. (Entre le moment de l’entrevue et la publication de cet article, le spectacle prévu en décembre a été remis en juin prochain au Mtelus à Montréal.)

    Avec la deuxième vague de Covid-19, pas certain que les salles de spectacle seront ouvertes en décembre. Comment as-tu vécu la création de ton nouvel album en pleine crise du coronavirus?
    J’ai tellement été la tête dans le guidon, comme on dit ici en France, sur la confection de cet album, sur la création des visuels, etc.; je me suis volontairement occupé la tête avec ça pour ne pas trop me laisser emporter dans une vague de peur, de nostalgie. Mais j’ai quand même eu des petits moments un peu difficiles avec mes parents. J’ai eu un peu peur pour le monde en général. C’est assez difficile de ne pas être sensible à la difficulté que ça représente pour beaucoup de gens. Il y a beaucoup de gens qui ont vécu ça de manière beaucoup plus néfaste que moi.

    Les restrictions liées au virus t’ont pesé?
    En réalité, non. Je suis quelqu’un d’assez solitaire. La patience et la solitude, ce sont des choses que je connais. Donc, c’était pas si exotique pour moi de rester chez moi pour travailler sur ce nouvel album.

    Album qui porte le nom S16, le symbole chimique du sulfur en anglais, soufre en français. Soufre?
    C’est pas le jeu de mot avec «souffre/souffrir» qui m’a séduit là-dedans. Ce qui me séduit dans l’idée du soufre, c’est l’ambivalence de l’élément. C’est un élément fondateur de vie. Dans l’industrie, c’est utilisé dans la production d’engrais. C’est aussi un des éléments principaux de la composition du gaz moutarde et des armes les plus d’abominables jamais inventées par l’homme. Et j’ai vu ces photos de stockage de soufre en Alberta, des pyramides jaunes pâles, comme ma chanson «Pale yellow». C’est une vision qui m’a choqué énormément. En alchimie, c’est le symbole du diable. Bref, le souffle est resté en filigrane, comme une espèce de voile de toxicité sur l’album, dans la narration comme dans les champs lexicaux.

    Sur ce nouvel album, le thème des addictions revient souvent. La dépression, tu en parles aussi. En quoi ça te touche?
    J’ai l’impression que l’époque est à l’addiction. Que ce soit effectivement dans le rapport aux réseaux sociaux, le rapport à l’amour, le rapport à la pornographie, à la sexualité, à la politique, à la consommation, à beaucoup de choses en fait. Tout a l’air de tourner autour de l’addiction.
    La plus grande addiction de Woodkid, c’est quoi?

    Très bonne question. La plus grande est certainement le travail. Pas exactement le bon mot, parce que le travail n’est que le résultat de ça. Je dirais une addiction à l’expression à tout prix. J’aimerais bien calmer cette addiction-là, ça, c’est sûr! Depuis mon premier album, il y a eu sept ans d’absence. Je me suis forcé au silence. L’addiction à une certaine forme de notoriété ou de reconnaissance, ça, c’est très toxique aussi. C’est très beau parce que c’est un moteur quand il est géré. Sinon, ça peut aussi être absolument dévastateur.

    Beaucoup d’artistes souffrent de ça, du désir de reconnaissance, de la peur de l’oubli. J’ai l’impression qu’on l’a beaucoup vu pendant cette période de confinement. La peur de l’oubli chez les artistes, c’est quelque chose de viscéral. On a vu beaucoup de gens entrer dans un mode panique, de ne pouvoir s’exprimer pendant des mois. L’époque appelle à l’hyper-présence. Mais moi, je suis très fier d’avoir fait cette grande pause parce qu’elle m’a appris ce qu’il y avait de très beau à se faire oublier.

    Sept ans après ton premier album «The Golden Age», voici dont S16. Ta plus grande fierté lié à ce nouvel album?
    Je crois que c’est un album très honnête. J’ai conscience que c’est un album qui est dense, c’est pas du easy listening. Ça, je le sais et je sais que je paierai un peu le prix de ça. Mais en même temps, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup à gagner à faire ce type de musique et je crois que c’est un album qui est très honnête sur la faiblesse. Je crois que mon premier album était un peu un blockbuster hollywoodien. C’était un geste de puissance. C’était un album de quelqu’un qui pensait tout savoir et qui, en réalité, ne savait pas grand-chose. Je crois S16 est un tout petit peu plus honnête à ce niveau-là, puisqu’il est plus un album qui parle de la beauté et aussi de la puissance qu’il y a à demander de l’aide et admettre ses faiblesses, parfois. Je ne dirais pas que c’est l’album d’autoflagellation parce que je pense que c’est un album assez tendre, mais c’est un album qui est très honnête. J’ai essayé d’être le plus honnête possible avec moi. J’ai essayé de raconter ce qu’il y avait de plus intime et de plus ambigu. J’ai envie que ce soit un album qui gratte un peu comme on dit, un album, qui ne soit pas tout à fait policé. C’est un album un tout petit peu risqué d’un point de vue émotionnel. C’est une plaie ouverte et j’en suis très fier.


    Parle-moi de la chanson «So handsome hello».
    C’est une chanson qui parle de sexualité, qui est assez frontale je crois, ou en tout cas, plus frontal que je ne l’ai jamais été jusqu’à maintenant. C’est une chanson très érotisante pour moi; c’est une prise de pouvoir de son désir de soumission, de la prise de pouvoir qu’il peut y avoir à s’assumer soumis sexuellement. À la limite, on peut y voir n’importe quoi si on veut, c’est suffisamment mystérieux et ouvert, mais en tout cas, c’est ce dont ça parle.

    Tu es un des rares artistes français qui osent s’afficher comme gai. Te sens-tu marginal?
    Il y a sept ans, quand j’ai lancé mon premier album, je me sentais un peu seul. Mais ça évolue. Et ça, c’est très beau à voir. Il y a beaucoup d’artistes LGBTQI+ qui sont entrés comme une espèce de constellation autour de la question du genre, de l’identité, de la sexualité. Que ce soit Christine and The Queens, Eddy de Pretto et Pomme récemment. Il y a beaucoup de gens dans l’espace médiatique maintenant qui ont volontairement mis un grand coup de cutter dans le tableau pour troubler toutes les pistes et que ça devienne beaucoup plus excitant qu’un monde binaire. Du coup, moi, ça m’inspire beaucoup à titre personnel. J’ai quand même l’impression que les choses bougent assez bien et assez vite. Je trouve que la scène française Indie ou en tout cas non Rap non R&B progressif en tout ça, elle est assez chouette à ce niveau-là, mais c’est assez récent.

    Il n’y a pas si longtemps, en 2013, 2014, en France, vous avez vécu les manifs pour tous, ce mouvement de contestation contre le mariage gai, l’homoparentalité…
    C’est quelque chose dont j’ai du mal à parler. Parce que c’est quelque chose que j’ai très mal vécu et qui était très, très dur à titre personnel. Je deviens ému juste à en parler. Je n’aime pas en parler, non pas parce qu’il ne faut pas en parler, mais en fait, c’est quelque chose que j’ai encore du mal à digérer. Je n’ai pas tout à fait compris ce qui s’est passé. Je ne comprends pas qu’on soit dans la rue pour protester, que l’on donne quelque chose à quelqu’un qui ne coûte rien en fait, rien à personne si on est très honnête. Ça ne coûte rien à personne de légaliser le mariage gai en France. Je trouve que c’était d’une violence sociale folle.

    Cette France-là n’existe plus?
    Elle existe parce qu’on parle de millions de gens. Ce n’est pas un épiphénomène. Donc. Il m’a semblé fou que des gens soient dans la rue pour m’interdire quelque chose. Moi, je l’ai pris absolument personnel. C’est assez rare que je fasse ça parce que je suis souvent assez distancié par rapport à ma sexualité. Sûrement à tort d’ailleurs. J’ai longtemps cru qu’elle ne me définissait pas alors qu’elle me définit non seulement un tout petit peu, mais énormément et à plein de niveaux. Elle me définit dans ma sexualité, dans mon identité, dans mon regard, dans mes relations amoureuses, dans mes relations amicales, dans les endroits où je vais en vacances, aux œuvres d’art que j’aime, en passant par la manière dont je parle. Cette identité infuse à travers moi de plein de manières. Oui, je suis un artiste queer. Oui, je suis gai et peut-être un peu plus que ça. Peut-être que c’est même encore un peu plus complexe que ça. En plus, j’aime beaucoup brouiller les pistes dans le sens où c’est plein de demi-tons tout ça, et qu’en plus, c’est un moteur et c’est une essence très propre à mon travail.

    En 2017, tu avais dit: «Je ne suis pas en couple, je ne suis jamais arrivé à rester assez longtemps avec quelqu’un pour envisager avoir des enfants. Je crois que je suis pas capable encore.» Trois ans plus tard, c’est le même constat?
    Mon nouvel album parle beaucoup de ça. J’ai beaucoup de mal à tenir mes relations amoureuses. J’ai du mal à analyser pourquoi. Je crois que je suis très exigeant. Je suis assez intransigeant. Je suis pressé aussi et, en amour, ça fait un peu peur. Je crois que je fais un peu peur aux mecs. Dans un second temps, je suis très sexué, donc j’ai beaucoup de relations. Après, je ne sais pas si j’ai envie d’enfant, mais par contre il y a quelque chose qui commence à pousser, c’est l’envie de transmission, l’envie de transmettre des choses. J’ai envie d’être plus généreux sur ce que je sais maintenant parce que j’ai quand même vécu pas mal de vies déjà. Et j’ai l’impression d’avoir accumulé quand même des certitudes sur certains trucs, professionnellement notamment. Et j’ai envie de transmettre ça. Alors je ne sais pas si ça passe par de l’éducation, par des masterclass ou tout simplement, des échanges sur les réseaux sociaux. Mais ça, ça commence à pousser. Je pense que c’est peut-être un tout petit désir d’enfant qui commence à arriver aussi.

    En terminant, j’ai cherché l’origine de ton surnom sur le web et j’ai rien trouvé. Pourquoi Yoann Lemoine se fait-il appeler Woodkid?
    J’ai pris ce surnom parce que je trouvais ça cool. C’était l’époque MySpace. J’adore mettre du sens dans tout et y’en n’a pas vraiment là-dedans. J’ai cherché plein d’explications à postériori, mais en réalité, ça n’a pas vraiment de sens. C’est comme un mauvais tatouage d’adolescence qu’on regrette (rires).


    INFOS | S16. Nouvel album de Woodkid / Woodkid
    Spectacle à Montréal : 27-28 juin 2021 au Mtelus

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