Depuis sa création en 1971, le Festival du nouveau cinéma (FNC) présente au public montréalais la crème du cinéma, de la vidéo et de la production télévisuelle. Événement automnal couru des cinéphiles, le FNC compte à son programme les films des meilleurs réalisateurs du monde entier.
Dédié à l’avancement des technologies visuelles et filmiques, le Festival du nouveau cinéma a pour vocation de faire découvrir le cinéma de demain. Pour célébrer son demi-siècle, le FNC prévoit plusieurs évènements spéciaux, dont une Carte blanche illustrant l’histoire du festival, réalisée par le vidéaste Luc Bourdon, qui a été directeur général du festival. C’est le film Bootlegger de Caroline Monnet qui donnera le coup d’envoi de cette édition anniversaire, le 6 octobre prochain au Cinéma Impérial. Tourné en français et en anishinaabemowin, ce film met en vedette, entre autres, Devery Jacobs, qui a fait la couverture de Fugues en mai dernier.
La 50e édition du Festival du nouveau cinéma (FNC) se déroulera du 6 au 17 octobre en salle, et jusqu’au 31 octobre en ligne.
Encore plus que d’habitude, les cinéphiles intéressé.e.s par les thématiques LGBTQ+ auront l’embarras du choix : la programmation queer de cette édition compte, en effet, une quinzaine de longs métrages dont nous vous proposons quelques titres.
Moon, 66 Questions
Jacqueline Lentzou réalise son premier long métrage, une œuvre à la fois sensible et faussement austère. Derrière ce portrait d’une jeune femme de retour chez son père se cache un parcours intime, celui qui permet d’apprendre à connaitre, qui consiste à se mettre à la place de l’autre. Chapitré, à la manière de marques du destin, par des plans fixes sur des cartes de tarot (le monde, le magicien…), le film déroule une intrigue qui mêle quelques souvenirs de cette fille unique, parfois rejoués par elle-même, et efforts de l’un comme de l’autre pour se sortir d’une impasse : redevenir autonome pour l’un, retrouver sa place pour l’autre. Des moments simples deviennent alors clés, d’une cigarette qu’Artemis (Sofia Kokkali, parfaite en observatrice résolue à avancer) allume en tremblant comme le ferait son père, peu maitre de ses mouvements, à une scène de restaurant tout juste bouleversante, en passant par une manœuvre de voiture dans un garage des plus symboliques. Comme dans la vie, la complicité se (re)construit , le scénario introduisant des auditions ironiques d’aides à domicile (une Bulgare qui ne parle pas – comme le père –, une autre pas plus engageante…) qui mettent en évidence l’objectif ingrat de l’oncle et de la tante, mais aussi quelques moments plus légers, ainsi qu’une découverte inattendue mais cruciale.
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Wheel of Fortune and Fantasy
Dans Wheel of Fortune and Fantasy, Ryusuke Hamaguchi se penche sur ce qui est magique, insaisissable, sur ce qu’on ne contrôle pas : le hasard, les malentendus, ou même un virus informatique. Le long métrage débute pourtant de manière parfaitement quotidienne et banale avec deux amies en pleine discussion nocturne sur les sièges à dentelle d’un taxi. Le hasard va se mêler de leur conversation – et de leur vie. Ce qu’on se dit dans ce film a une importance si cruciale que la parole devient aussi concrète qu’un rapport physique. Mais la parole peut aussi être un jeu, une manipulation, comme le suggère le second chapitre. Les personnages de parlent et ouvrent leur cœur, laissent la porte grande ouverte. Ils peuvent s’aimer et pourtant se blesser en même temps. Ils passent leur temps à se dire qu’ils n’ont pas changé, et ce essentiellement dans le troisième segment. Par ellipses, on disparait, on réapparait, on ressurgit comme un vieux souvenir. Le hasard chez Hamaguchi peut être romanesque. Cela dit, l’exercice bavard a quelque chose de cérébral, mais c’est pourtant, à l’image de son magnifique troisième chapitre, un film à l’humanité profondément émouvante.
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Days
Récompensé par le prix du jury des Teddy Awards au festival de Berlin, Days, le plus réçent film du Taïwanais Tsai Ming-liang, est une ode à la lenteur, mais surtout un catalyseur d’émotions. Pour Tsai Ming-liang, l’amour est un mélange de déterminisme et de précarité. Chaque rencontre, dès qu’elle a eu lieu, est éternelle, même si elle ne dure pas, confiait-il d’ailleurs en entrevue il a plusieurs années. Kang et Non sont peut-être des amoureux d’un soir, ils n’en garderont pas moins en mémoire ce moment intense dans une chambre d’hôtel. Days, ce sont d’abord des plans longs au cadre très construit, qui racontent d’une part le parcours de soins médicaux de Kang (interprété par le comédien fétiche du réalisateur, Lee Kang-sheng, qui a inspiré le personnage). Kang vit dans une grande maison et fait face à la souffrance physique. Il parcourt les rues de Bangkok pour se soigner. D’autre part, on suit le quotidien de Non, qui lave et épluche des légumes dans son petit appartement pour préparer minutieusement des plats traditionnels qui le relient à ses racines villageoises. Si le sujet du film est bien la solitude de l’humain dans les grandes villes, la force d’une rencontre, le contact des corps et d’une caresse opèrent également une démonstration de la puissance du cinéma. Avec ce film, Tsai Ming-liang livre l’une des plus belles et intrigantes scènes d’amour du cinéma, entre abstraction pure et érotisme brut. La dernière scène, aussi simple et lente soit-elle, est très belle et concentre toutes les émotions que le film distille; elle offre à Days son point culminant. Il s’agit là d’un chef d’œuvre qui se mérite.
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Wildhood
Dans Wildhood, du scénariste-réalisateur bispirituel Bretten Hannam, le protagoniste mi’kmaw découvre sa sexualité et se connecte avec son héritage tout en fuyant son père toxique avec son demi-frère. Phillip Lewitski, Joshua Odjick, Michael Greyeyes et le nouveau venu Avery Winters-Anthony sont parmi les stars de l’histoire de la côte est, filmée en anglais et en micmac.
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Great Freedom : entre les murs
Jusqu’à la fin des années 60, la persécution des homosexuels était autorisée de façon officielle en Allemagne, grâce à l’article 175 du Code pénal criminalisant l’homosexualité masculine. Great Freedom, second long métrage de l’Autrichien Sebastian Meise, s’ouvre par des films d’archive où des hommes se rencontrent dans les toilettes publiques. Aux murs des toilettes vibrant d’amour succèdent les murs moins accueillants d’une prison. Il est néanmoins question de désir et de circulation du désir dans ce lieu de contrainte. Qu’est-ce qui se déploie entre ces murs? Comment le désir s’épanouit-il? Meise raconte des vies confisquées – quand la traque des homosexuels se poursuit même après la libération des camps –, nous montre des personnages qui auront passé une vie entière en fuite. Si l’on ressent l’aspect physique et concret de la prison, celle-ci devient aussi une sorte de théâtre abstrait. L’histoire se déroule en 1968, en 1945, en 1957. Et ce sont les mêmes personnages qui ont vieilli, qui sont plus jeunes. Ce sont eux, mais ce sont aussi les autres : les homosexuels persécutés hier, aujourd’hui et demain. Le récit puissant de Great Freedom est incarné avec un talent extraordinaire par ses comédiens, avec en tête Franz Rogowski. Génial à peu près partout où on a pu le voir, l’acteur allemand confirme qu’il est l’un des meilleurs au monde avec cette prestation inoubliable.
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After Blue (Paradis Sale)
After Blue (Paradis Sale) est le surprenant deuxième long-métrage de Bertrand Mandico, un western postapocalyptique installé dans un monde fantastique. Tout commence dans un cosmos moite et abimé. La planète bleue n’est plus et les hommes non plus. Sur leur nouvelle planète, des femmes aux poils qui poussent sur les épaules vivent en petits clans. L’héroïne, Toxique, n’est pas franchement aimée du sien. Et lorsque sur la plage, elle et ses camarades trouvent une femme enfoncée dans le sable jusqu’à la tête, l’univers bascule : Toxique la libère, puis cette ange démoniaque tue les autres femmes. Malgré la complexité de l’univers spatiosexuel du film ainsi que de sa narration, After Blue (Paradis Sale) est une exploration du cinéma via ses mythes, celui du voyage initiatique, des figures de la jeune ingénue et de la mentoresse énigmatique. Quant au western, il le cuisine à sa sauce : les pistolets à long canon et fusils à deux coups des cowgirls de l’espace sont des produits de luxe estampillés Gucci ou Prada, les natifs étatsuniens sont remplacés par des «indiams», créatures incomprises dont la mâchoire renferme des illusions ornées de diamants… Les influences de Mandico transpirent par tous les pores de ses plantes extraterrestres suintantes : la galaxie lointaine des trans de Transylvania n’est pas très loin, ni tous les films pseudoérotiques qui ont connu une explosion dans le cinéma sur cassettes vidéo des années 80 (eux-mêmes forcément inspirés des délires à la Barbarella, consécration en 1968 d’une SF influencée par la révolution sexuelle). Et pourtant chaque plan parvient à rendre compte d’une planète qui ne ressemble à rien de connu, où tout est étrange et étrangement cohérent. Même les rares séquences tournées dans des décors naturels pourraient laisser croire que le réalisateur a fait un voyage interstellaire pour ces prises de vues; grâce aux jeux de lumière, à une obsession pour les effets de fumée et à des constructions phalliques qui jaillissent à perte de vue. Vous aurez compris que ce film est une curiosité. Le regard du cinéaste sur les corps et sur le cinéma est réellement unique. Le résultat est parfois incompréhensible, mais ça fait partie du jeu : si l’on se laisse prendre à celui-ci, on ne peut qu’avoir envie de connaitre ce paradis…
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Les Olympiades
Dans le registre de la comédie sentimentale, le nouveau film de Jacques Audiard raconte un quatuor de trentenaires parisiens — trois filles et un gars — ami.e.s, parfois amant.e.s, souvent les deux – qui évolue au rythme des sentiments au milieu du treizième arrondissement de Paris, connu aussi sous le nom des Olympiades. Dans ce mélange de marivaudage et de chronique librement inspiré par trois nouvelles graphiques de l’auteur de BD américain Adrian Tomine, le cinéaste plante sa caméra dans un quartier multiethnique de Paris. Dans cet «écrin» de la solitude moderne, il observe les états d’âme et de corps de trois jeunes personnages inscrits dans le contexte social d’aujourd’hui. Emilie, une fille d’origine chinoise qui, après ses études à Sciences po, navigue entre des petits boulots et vit en colocation. Camille, un séduisant Noir qui abandonne son poste de prof pour travailler dans une agence immobilière. Nora, la trentaine, une Bordelaise fraichement débarquée dans la capitale pour reprendre ses études de droit. Les protagonistes entrecroisent leurs parcours amoureux, amicaux et sexuels au gré d’une histoire initiatique qui emprunte de multiples détours renseignant peu à peu sur leurs ambivalences identitaires et leurs tentations capricieuses. Tourné dans un très beau noir et blanc, Les Olympiades, récit à la fois ludique et émouvant sur les sentiments et les attirances à géométrie variable, séduit grâce à son invention esthétique qui sublime aussi bien les situations ordinaires — trajets dans le métro, scènes à l’université — que les nombreuses séquences sensuelles, filmées avec une intensité brulante.
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Miguel’s War
Écrit et réalisé par Éliane Raheb, Miguel’s War raconte l’histoire d’un Libanais sensible, humilié dans sa jeunesse, qui prend les armes en pleine guerre civile pour prouver sa masculinité à sa famille qui l’a rejeté. Mais il échoue. Traumatisé par cette expérience, il s’exile en Espagne où il dénie son identité et plonge dans l’ambiance libertine de la Movida. Miguel revient 30 ans plus tard sur sa terre natale pour affronter ses démons du passé. Le jury des prix Teddys a récompensé ce film à Berlin pour son «histoire fascinante, unique et courageuse de reconstruction face à l’humiliation, l’oppression et la violence», ainsi que pour «son approche artistique originale et sans compromis».
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Vénus sur la Rive
Dans une ville du sud de la Chine, durant les années 90, Chichi, une fillette de 9 ans, part vivre avec sa grand-mère, sa tante et sa cousine pendant que sa mère est hospitalisée. Témoin des luttes que mènent les femmes de sa famille, elle songe à sa propre trajectoire alors que se rapproche le moment où elle aussi deviendra une femme. Défiant la gravité du sujet, le film se déploie dans une forme légère et fluide, cinématographiquement aussi sobre par sa verbalisation minimale, ses gestes retenus et son absence de musique, que touchant au sublime par ses cadres, ses lumières, ses écarts oniriques. Cette œuvre chorale, à la fois intimiste et sociologique, se démarque du strict réalisme sociétal et se déploie dans une forme légère et fluide. Premier film impressionnant de maitrise, aussi mélancolique dans son constat que lumineux dans sa proposition, Vénus sur la rivière se place au début des années 90 pour peindre le tableau amer de la condition féminine en Chine.
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The Power of the Dog
De la photographie d’Ari Wegner à la musique de Jonny Greenwood, en passant par une reconstitution historique sans faute et des paysages éblouissants, Jane Campion rappelle avec ce film puissant tout son savoir-faire cinématographique. Mais Jane Campion est aussi, et sans doute avant tout, une conteuse exceptionnelle de drame humain. Adapté du roman de Thomas Savage, Le Pouvoir du chien n’est en effet pas qu’une démonstration experte de style, mais un drame moderne puissant sur la filiation et l’amour, la masculinité, les mondes de l’enfance et de l’âge adulte. Dans les années 1920 au Montana, Phil (Benedict Cumberbatch) et George (Jesse Plemons) Burbank sont deux frères, riches éleveurs de bétail et propriétaires du plus grand ranch de la région. Phil est un homme intelligent et éduqué mais qui a fait le choix de la vie rustre des cowboys. Son frère George, à la sensibilité plus développée, est en retrait par rapport à son frère. On découvre cette relation en introduction du film, un film immédiatement très beau plastiquement et admirablement réalisé. C’est une tragédie intime et familiale, brassant des thématiques comme la masculinité et l’homosexualité, l’intelligence de gens solitaires, l’amour fraternel et filial, la nostalgie des enfants et la résignation des adultes. La fin du film révèle toute la puissance du drame en dévoilant la nature profonde de ses protagonistes. La force et la faiblesse se renversent, l’amour et la cruauté s’échangent, la violence qui s’est construite pendant tout le film éclate d’une manière inattendue. Une production Netflix qui sera très certainement en nomination aux Oscars…
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The Girl and the Spider
Un triangle amoureux inattendu, l’échec d’un stratagème de séduction et une rencontre née d’un malentendu – tels sont les épisodes que traversent les trois héroïnes, qui cherchent toutes à tracer leur propre voie, entre décisions et regrets. The Girl and the Spider est un film dynamique, un mouvement permanent entre les corps, dans des lieux étriqués, impliquant de nombreux personnages aux liens plus ou moins distendus. C’est en effet entre les pièces de deux appartements, leurs paliers, des couloirs, que se passe la quasi-totalité de l’intrigue de ce long métrage allemand. Proposant une valse des corps, qui se frôlent ou s’évitent, ce sont de multiples complicités, attirances, ou désirs de proximité qui sont peu à peu mis à jour
dans cette myriade de voisins qui entourent Lisa et Mara.
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Bliss
La réalisatrice allemande Henrika Kull s’est fait connaitre par son merveilleux premier long métrage, Jibril. Elle est à présent de retour avec Bliss, où deux travailleuses du sexe tombent amoureuses dans un univers où leur féminité est considérée comme une marchandise. Le résultat est un film dramatique remarquable d’authenticité abordant les thèmes de l’identité, de l’autodétermination, du fait que chacun est maitre de son âme et de son corps et de la recherche de son bonheur.
INFOS | 50e édition du Festival du nouveau cinéma (FNC), du 6 au 17 octobre en salle, et jusqu’au 31 octobre en ligne.
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