Il faut garder le cap pour mettre fin à l’épidémie du VIH/sida

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Ken Monteith
Ken Monteith

Question de faire le point de la situation actuelle au niveau communautaire, où en est le Canada dans l’atteinte des objectifs du 90-90-90 pour aider à mettre fin à l’épidémie du sida et de voir comment la pandémie de la COVID a affecté la lutte contre le VIH/sida, nous avons rencontré Ken Monteith, directeur général de la COCQ-SIDA.


Quel a été l’impact de la COVID sur le milieu communautaire de lutte contre le VIH?
La COVID a fait beaucoup de dommage sur la lutte contre le VIH que juste interrompre notre socialisation ou notre présence au bureau. Ça voulait dire l’annulation de rendez-vous de dépistage sur place. Et l’autotest n’a été approuvé qu’en novembre ou décembre de l’an dernier. Donc on a eu presque une année où tous les réseaux d’infirmières des CISS et CIUSS ont été réaffecté ailleurs vers les services de première ligne dans le combat de la COVID. Comme beaucoup de ressources ailleurs dans la santé, habituellement affectées au VIH, ont aussi été consacré à la COVID. Pour le dépistage du VIH, ça voulait dire l’annulation de plusieurs activités de dépistage sur place en concert avec les organismes. Les cliniques spécialisées ont pour la plupart continué à les faire, mais elles ne pouvaient pas tout faire, Nous soulignons que les intervenants peuvent faire beaucoup plus, mais il y a des freins à ça, notamment parce que l’administration du test rapide est vue comme un acte médical et qu’on n’a pas la permission de le faire. Ça prend une infirmière ou un médecin alors que dans plusieurs pays ailleurs dans le Monde et même en Ontario les intervenants communautaires peuvent le faire.

On pourrait sans doute obtenir un même niveau de dépistage qu’avec les effectifs infirmières si jamais on avait un changement réglementaire ou qu’il y avait reconnaissance de notre capacité Avec l’arrivée de l’autotest ça nous offre la possibilité de le faire, mais l’autotest coute beaucoup trop cher. On parle de 35$ par test plus frais d’expédition. Ce n’est pas l’outil qui va rejoindre les personnes le plus marginalisées. Et la plupart des organismes communautaires n’ont pas les moyens de payer pour en acheter beaucoup. Cela dit, l’outil comme tel est intéressant, même en situation de COVID, car on peut-être dans la même salle, maintenir la distance et accompagner verbalement la personne qui fait elle-même son autotest si elle veut être accompagnée.


Il y a un projet en ce sens, non?
Oui on est impliqué dans un projet de recherche, qui se nomme en français J’AGIS, qui fait une distribution gratuite de l’autotest à qui en fait la demande.


Il en reste encore beaucoup de ces autotests?
Oui les autotests n’ont pas encore été épuisés et c’est toujours possible d’en faire la demande. Par ailleurs, avec le Centre Reach qui pilote ce projet, dont la COCQSIDA est membre, il y a d’autres projets de recherches qui visent à mettre en place d’autres de type de tests, dont OralQuick, qui existent et sont approuvés aux États-Unis depuis une dizaine d’années, mais dont la compagnie n’a pas fait de demande d’évaluation à Santé Canada pour approbation parce qu’elle considère que le marché, ici est trop petit, comme c’est l’entreprise qui doit payer cette évaluation. On essaie d’aider. Il y a donc un premier projet, qui est le OralQuick à être administré par les professionnels de la santé. Et l’étape suivante est l’OralQuick comme autotest.
Et il y a d’autres compagnies au Canada qui offrent des tests, qu’on dits multiplex, où on teste à la fois le VIH , le VHC et la syphilis.


Avec la même prise de sang?
Oui et même des tests assez rapides. Je sais que RÉZO est impliqué dans un de ces projets avec REACH aussi. C’est important d’avoir le plus d’outils que possible, le plus d’options. Actuellement, le gouvernement fédéral qui a le contrôle sur ça, via Santé Canada, n’a pas une attitude pro-active et attend que la compagnie vienne par elle-même et fasse une demande d’approbation du produit avec beaucoup d’argent pour payer l’évaluation du produit qui doit être approuvé. Si le gouvernement prenait au sérieux son engagement d’accélérer la fin du VIH il serait plus proactif pour aller chercher les outils dont on a besoin.

Si on veut atteindre les objectifs de 90-90-90, il faut faire plus de tests, il faut accélérer le dépistage. C’est, entre autres, là qu’il faut mettre les efforts.

C’est effectivement une des choses qui bloque au Canada. On n’a pas encore atteint l’objectif de 90% des personnes porteuses du VIH qui connaissent leur statut. On est aux environs de 87%.

On est donc à 3% de l’objectif de 2020.
Oui et l’autre chose qui bloque encore, c’est l’engagement dans le traitement où on n’a pas atteint non plus le 90%. C’est dommage, car quand l’engagement est fait et que les personnes se retrouvent sous traitement, le taux d’indétectabilité, pour ceux qui prennent les médicaments, est très élevé, autour ou au-dessus de 98%. Il y a un blocage sur l’étape d’amener les gens vers les soins rapidement. Les problèmes sont différents parfois d’une province à l’autre. Comme en Saskatchewan : les populations autochtones, qui sont particulièrement touchées, se trouvent loin des centres de services adéquats. Les soins de santé locaux ne sont pas très bien adaptés pour le suivi et c’est un échec à ce niveau-là.

Ici, tout se passe par le dépistage, c’est d’ailleurs le thème de la semaine internationale de dépistage du VIH auquel nous participons avec la Coalition Plus, et on a cette année aussi comme partenaire la Société canadienne du sida. Le thème retenu est : «Le dépistage, c’est la clé». Une fois dépisté, on peut tout faire. Et une fois indétectable on ne transmet plus le virus.


J’étais sous l’impression qu’on allait atteindre l’objectif du 90-90-90, en 2020. Mais si on ne l’a pas atteint, passe-t-on quand même à une étape ultérieure?
Oui on doit continuer quand même. Il faut se souvenir qu’il est arrivé autre chose en 2020 (la COVID) qui a fait en sorte qu’on n’a pas eu le vrai bilan, le vrai portrait de la situation. Malgré cela l’ONUSIDA, en 2020, a annoncé devancer ses objectifs de 95-95-95 à l’année 2025 au lieu de 2030. Et d’éliminer le VIH en 2030. C’est ça notre objectif. On doit s’orienter vers la fin du VIH. Nous sommes en consultation avec nos organismes membres pour savoir ce qu’ils font, ce qu’ils souhaitent faire, ce qu’ils pourraient faire avec les moyens nécessaires. On va publier notre rapport fin novembre et dévoiler notre plan d’action. La COCQSIDA s’est beaucoup concentré sur le plaidoyer pour changer les règles qui nous empêchent d’agir et chercher les ressources pour susciter les investissements nécessaires des gouvernements qui faciliteront notre action.


Tu dis que les objectifs au Canada du 90-90-90 ne sont pas atteints… Sait-on s’ils le sont au Québec?
Il faut comprendre qu’on travaille à partir d’estimations et qu’on n’a pas de chiffre précis. Par exemple on pourrait avoir les chiffres de la RAMQ pour le nombre de personnes sous thérapies, mais nous avons un système hybride. Une partie de la population est couvert par le régime public d’assurance médicaments et l’autre partie à travers des assurances privées collectives qui ne dévoilent ni ne partagent ces informations. Par ailleurs, il n’y a pas de moyen d’associer les dépistages avec les tests de charges virales au laboratoire national. Car les deux bases de données ne sont pas connectées, ne sont pas constituée de la même manière.


Ce sont donc des approximations…
Oui, mais ces données sont assez valides. Le problème ici se situe au niveau du dépistage, car pour pouvoir agir et prendre en main les gens, pour les soutenir et les orienter vers les soins, il faut connaître leur statut.


C’est un manque de volonté de vouloir se faire dépister ou l’offre de dépistage n’est pas assez accessible?
Une combinaison des deux, je dirais. Parce que les ressources de dépistage sont assez rares et dans des réseaux très spécialisés. Normalement on devrait pouvoir se faire dépister sur demande, mais certains services ne s’adressent qu’aux hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes et dans certains endroits hors des centres urbains, il y a un manque de ressources. Parfois il y a une seule infirmière qui fait les tests sur un large territoire… Et l’infirmière qui part en congé de maternité ou réaffectée à d’autres tâches pour une période indéterminée n’est pas toujours remplacée pour des considérations budgétaires.

En même temps, il y a toute la question de la stigmatisation habituelle. On n’aime aps ça parler de sexe ou de drogue et plusieurs ont honte d’aller se faire dépister, sachant qu’ils devront parler de leur sexualité ou de leur consommation de drogues. Certains ont peur à cause de l’image qu’ils ont du VIH. Une vision souvent datée — genre années 1980, début 1990 où le VIH tait synonyme de mort. Des gens qui ne connaissent pas le VIH aujourd’hui, l’efficacité des traitements. Qui ne savent pas qu’avec les thérapies on peut avoir une qualité de vie et une espérance de vie comme les autres .

Où en sommes-nous avec la question de la criminalisation du VIH? J’étais sous l’impression que le fédéral avait fait des changements…
On a toujours fait des démarches au niveau provincial pour avoir aussi des lignes directrices qui limiteraient l’application du droit criminel. On n’a pas réussi encore au Québec. Le directeur des poursuites criminelles et pénales, qui est à bout de bras du gouvernement, du ministère de la justice, a toujours considéré que le phénomène n’est pas assez fréquent, qu’il n’y a donc pas assez de poursuites au criminel pour que ça vaille la peine d’avoir des lignes directrices en la matière, et ce malgré que les implications grave de telles accusations dans la vie d’une personne.

Ça prend toujours du temps à la justice de rattraper son retard par rapport à la science. La science a progressé et le ministère de la santé reconnaît qu’il n’y a pas de transmission de VIH quand une personne est sous traitement et que sa charge virale est inférieure à 200 parties. Mais ce n’est pas encore le cas au niveau juridique. Donc à l’heure actuelle, la décision d’il y a plusieurs années de la Cour suprême prévaut à savoir qu’il faut une charge virale basse ET un condom pour ne pas avoir à dévoiler sons statut à ses partenaires sexuels, alors que dans les faits un des deux est suffisant. Il y a donc encore beaucoup de travail encore à faire. On vient d’ailleurs d’avoir une consultation communautaire à l’échelle du Canada pour savoir qu’est-ce qu’on souhaite comme stratégie commune. Bien que certains considèrent que la justice n’a rien à voir sur la question du VIH, on semble avoir obtenu un compromis et rejoint le consensus qui serait qu’à moins d’avoir consciemment voulu transmettre le VIH, une personne ne pourrait pas être poursuivie au criminel.


Si on revient à la pandémie de la COVID, outre la question du dépistage dont on a parlé au début, quels ont été les impacts sur le milieu communautaire VIH/sida au cours des 20 derniers mois?
Plusieurs organismes membres ont dû adapter et transformer leurs services. C’est le cas, entre autres, des services de banques alimentaires où on fonctionne par livraison ou cartes cadeaux maintenant. Il y a eu beaucoup de groupes zoom pour briser l’isolement et des services d’information en arbres téléphoniques pour compenser pour a présence manquée. On a constaté que certaines mesures de la santé publique ont eu un impact plus fort sur certaines populations marginales. Par exemple, les personnes sans abris en situation normale ont tendance à se tenir, à vivre en groupe pour s’entraider. Et là on leur disait de se distancer sinon on allait leur donner une contravention qu’ils ne pourraient de toute façon pas payer. Les services d’injection supervisées ont été bien moins utilisés car il n’est pas évident de se déplacer durant un couvre-feu et de devoir expliquer à un policier que notre urgence c’est pour aller s’injecter de la drogue… Pas évident dans une période où on vit une crise de surdose de dire à des gens de s’injecter tout seul au lieu de se rendre dans un espace supervisé.


On a appris beaucoup de leçons dans la lutte contre le VIH à travers les années, comme le fait que la coercition n’est pas un outil de santé publique, mais là on vient de le revivre. Il a fallu constamment rappeler plusieurs choses à la santé publique, entre autres, concernant les personnes sans abris. Du côté financier les gouvernements ont su rassurer les groupes que leur financement ne serait pas affecté durant la pandémie même s’il y avait modifications des services, comme il s’agit de services essentiels.

Cela dit, le budget fédéral annuel en réponse à la lutte contre le VIH est à 60 millions et n’a malheureusement pas changé depuis 2003. Avec l’inflation ça signifie une dépréciation d’environ 25%. Il est temps que le budget alloué soit augmenté pour assurer les atteintes de objectifs d’éliminer le VIH d’ici 2030. Avec plusieurs autres organismes à travers e Canada on fait de représentations en ce sens pour que ça passe à 100 millions de dollars et ça n’est qu’un début, car à ce niveau on revient seulement au niveau de 2003. On est dans la bonne voie pour éliminer le VIH, on a de bons outils. Pourquoi ne pas y mettre les efforts et l’argent pour y arriver. Le gouvernement a endossé les objectifs de l’ONUSIDA, il faut se donner les moyens financiers pour y arriver.


J’imagine que la tenue de la Conférence international sur le sida à Montréal, l’été prochain, est vue très favorablement…
Ça serait une excellence occasion pour le gouvernement pour annoncer l’augmentation du budget alloué à cette lutte. La dernière fois que cette conférence s’est tenue à Montréal, c’était en 1989. L’événement a été remarquable. On y a déposé le manifeste de Montréal qui revendiquait la présence des personnes concernées à ces grands événements scientifiques auparavant réservés aux chercheurs et médecins. On a vu l’arrivée des militants et des personnes vivants avec le VIH, ce qui fut un tournant important. On va souligner cela à la prochaine conférence question de rappeler l’importance de l’implication des militants et de revenir à une prise de conscience que les personnes vivant avec le VIH, les organismes et militants doivent rester au centre des décisions qui les affectent. D’ailleurs le suis impliqué dans l’organisation de la conférence de 2022 et plusieurs des membres de la COCQSIDA sont impliqués dans l’organisation des activités communautaires qui se tiendront durant et en marge de la conférence.

L’OBJECTIF 90-90-90
90% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique.

90% de toutes les personnes infectées par le VIH dépistées reçoivent un traitement anti rétroviral durable.

90% des personnes recevant un traitement antirétroviral ont une charge virale durablement supprimée.


INFOS | Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida ou COCQSIDA cocqsida.com

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