Comment définir les parts de notre personne qui forment notre identité intrinsèque et les aspects qui se sont développés par mimétisme, à force d’entrer en relation avec des images à la télé et dans les magazines ? Qui sommes-nous ? La somme des personnes que nous admirons ? Une personnalité unique ? Avec Trop de Pascale (Triptyque), Pascale Bérubé offre une analyse poétique de son rapport obsessif avec le soi.
Quelles émotions t’habitent en publiant pour la première fois ?
Pascale Bérubé : Ce n’est pas exactement comme je l’avais imaginé, car je viens de vivre une année ultra vulnérabilisante. Ma mère est décédée et j’ai vécu beaucoup d’autres choses difficiles. Tout ça vient enrober l’émotion de joie de cette sortie. Il y a donc un côté doux-amer mélangé à la fierté et à l’aboutissement, car je travaille sur ce projet depuis 2019.
Quand l’écriture est-elle entrée dans ta vie ?
Pascale Bérubé : Plus jeune, j’avais beaucoup de problèmes à l’école. J’étais ultra créative, mais j’avais un trouble de l’attention. Ce qui m’intéressait surtout, c’était le dessin. Je faisais du design de mode. Un jour, j’ai senti que j’avais des trucs à exprimer, que je n’arrivais pas à extérioriser avec ce médium. Quand j’ai découvert le travail des écrivaines Élise Turcotte et Karoline Georges, j’ai réalisé que je pourrais faire ça moi aussi pour parler des trucs qui m’obsèdent. À partir de là, je me suis mise à écrire.

Pourquoi as-tu choisi de venir au monde publiquement comme autrice en explorant les thématiques du corps, de l’image, de la beauté et de la féminité ?
Pascale Bérubé : C’est ce qui m’habite au quotidien. J’ai une relation très complexe avec mon corps. Cela dit, je ne suis pas dans la critique. Je suis dans l’image, mais j’avais envie de questionner ça doucement. Ce n’est pas revanchard ni revendicateur. Pour moi, c’est naturel d’avoir une première œuvre qui parle de ça, car c’est qui je suis. De mon point de vue de femme et de femme trans, c’est important d’arriver avec une parole qui questionne le corps et la beauté, sans que ce soit nécessairement relié au fait que je sois trans.
En te lisant, j’avais justement l’impression que ta transidentité influençait ton rapport à ton corps, mais que le livre ne se concentrait pas sur ton corps en tant que personne trans. Est-ce que ça a du sens ?
Pascale Bérubé : Complètement. Mon ressenti de ma féminité et mon rapport à la beauté sont vécus en partie par le prisme de ma transitude. Je suis une femme trans, je ne peux pas renier ce fait. Mais ce n’est pas constamment relié à ça. C’est semblable pour plusieurs autres personnes trans. Notre rapport au corps et à l’image n’est pas sans cesse influencé par le fait qu’on soit trans. Ça m’agace que les médias pensent qu’on peut s’exprimer
seulement par ce prisme-là.
As-tu l’impression que les gens attendent que les artistes LGBTQ+ écrivent surtout sur des enjeux queers ?
Pascale Bérubé : Absolument. Ce que les gens ne réalisent pas, c’est que c’est un peu limitant. On pense à notre transitude, à notre homosexualité ou à notre queerness, mais notre vie n’est pas teintée que de ça. Parfois, j’ai l’impression que, dans le ressenti des gens, il y a quelque chose d’un peu acquis, comme si on était des comptoirs d’informations pour les éduquer. Je n’ai pas écrit Trop de Pascale pour éduquer, mais pour transmettre une parole. J’espère rejoindre autant les personnes trans que les personnes hétérosexuelles cisgenres, spécialement les femmes.
Tu écris sur toutes les personnes qu’il y a en toi. Comment ça influence ton rapport au monde ?
Pascale Bérubé : J’ai un rapport particulier avec le mimétisme et j’ai l’impression que, même si j’ai un sens sommaire de qui je suis, je suis parfois en décalage. C’est pour ça que je suis obsédée par les femmes qui teignent leurs cheveux ou qui s’habillent d’une certaine façon pour ressembler à d’autres femmes, comme des femmes en série qui se répètent dans leur allure ou dans leurs comportements.
Ou par les hommes hétérosexuels qui se travestissent, sans être dans la queerness, en reproduisant des gestes féminins très typés. Chaque fois, je me demande combien de gestes ça prend pour reproduire une identité féminine. C’est intéressant de trouver des images de soi à travers ce que la télévision, les magazines et les autres médias nous renvoient.
À quel moment as-tu senti que tu n’étais pas toi ?
Pascale Bérubé : Depuis toujours. Je suis moi sans être moi. Je sais qui est Pascale Bérubé, j’ai une conscience et j’ai certains traits, mais ce sentiment de décalage m’habite depuis que je suis toute petite. C’est peut-être relié à d’autres éléments neurologiques. C’est comme une hyperconscience d’être à la fois dans le corps, [d’]être une image et pas du tout. Ça s’apprivoise, mais c’est un rapport très dichotomique.
INFOS | TROP DE PASCALE de Pascale Bérubé, Queer Triptyque, Montréal, 2023, 130 pages.