La surprise et le soulagement se lisaient sur le visage des deux hommes. Lorsque la sexologue interprétée par Magalie Lépine-Blondeau, dans la troisième saison de Sans rendez-vous, leur a expliqué que la pénétration n’était pas nécessaire à tout acte sexuel et qu’ils n’avaient pas à correspondre aux rôles stéréotypés que leurs physiques « imposaient », les amoureux ont rallumé le feu de leur libido.
J’ai publié plus d’une centaine de chroniques d’opinion dans les pages du Fugues au cours de la dernière décennie. Je me suis presque toujours abstenu de partager mes réflexions sur la sexualité, me disant que tous les goûts sont dans la nature et que le sujet était un terrain miné. Mais plus les années passent, plus je suis témoin d’un phénomène qui me renverse : l’incapacité de considérer une sexualité homosexuelle sans sexe anal, en certaines occasions ou en tout temps, chez une quantité impressionnante de gais.
Avant d’aller plus loin, précisons que je n’ai aucune intention de critiquer la pénétration anale, ni de la diminuer ou de la juger. Je nous invite simplement à diversifier ce que nous incluons dans le spectre de la sexualité. Et à prendre conscience que le sexe anal est une option – très valable – parmi tellement d’autres pour avoir du sexe.
Nous avons le droit d’aimer la pénétration. Nous avons le droit de préférer la position top, d’être plus à l’aise en tant que bottom, d’apprécier les deux options également ou de pratiquer un rôle dans un contexte (exemple : en couple) et l’autre rôle dans un autre contexte (exemple : en coup d’un soir). Là n’est pas la question. Je crois simplement que nous faisons preuve de maladresse lorsque nous pensons que la sexualité se limite à la pénétration, lorsque nous parlons des autres gestes sexuels comme des « préliminaires » ou lorsque nous plaçons le sexe anal au sommet des pratiques sexuelles. Quand nous agissons ainsi, nous empruntons – souvent inconsciemment – le vocabulaire des hétérosexuel.le.s et leur vision du sexe. C’est ce qu’on appelle une perspective hétéronormative de
la sexualité.
Au sein des communautés LGBTQ+, nous parlons trop peu de la place prépondérante du sexe anal. Pourtant… lorsque j’échange sur le sujet avec certains amis depuis un moment, le discours semble en train de changer et les langues se délient. Quelques-uns d’entre eux me disent pratiquer la pénétration moins souvent qu’avant, certains affirment que c’est overrated (surestimé) même si c’est l’fun, d’autres déclarent l’avoir carrément mise de côté. Personne ne dénigre le sexe anal. Personne ne juge ceux qui aiment ça un peu, beaucoup, à la folie. Cela dit, ils n’ont plus envie de répondre à la pression de la pénétration à tout prix.
Le phénomène s’observe également en dehors de mon cercle social élargi. Sur les applications de rencontres comme Grindr et Tinder, je remarque une quantité grandissante d’usagers qui précisent ne vouloir aucune pénétration : une préférence qui s’applique aux one night ou en général, selon la personne. D’autres utilisent le mot side, un terme anglophone qui commence à faire sa place. Cependant, il suffit de l’utiliser dans une conversation pour réaliser à quel point le mot est encore méconnu, et à quel point il surprend. Même si aucun des utilisateurs du terme side ne semble condamner la pratique du sexe anal chez les autres, leur choix semble incompris par plusieurs de leurs interlocuteurs et génère quantité de jugements. Pourtant, qu’y a-t-il de plus normal que la diversité des goûts ? Certains adorent le sexe en groupe, certains détestent les fellations, certains adorent le BDSM et d’autres ne sont pas capables d’embrasser sauf s’ils sont en couple. Chacun ses goûts.
Autre point abordé avec doigté par la scénariste de Sans rendez-vous, Marie-Andrée Labbé, qui fait partie de nos communautés arc-en-ciel : les clichés associés aux tops et aux bottoms. Le couple mis en lumière dans l’épisode est formé d’un baraqué, style gars de la construction, et d’un filiforme auquel on penserait peut-être en deuxième pour nous aider à déménager. Après des années de relation, leur vie sexuelle séchait en plein désert.
Ils s’aimaient encore, ils se trouvaient beaux et désirables, mais quelque chose semblait neutraliser leurs élans. À force de discuter avec la sexologue, ils ont non seulement compris qu’ils n’étaient pas obligés d’avoir du sexe anal à tout coup, mais ils ont aussi compris qu’ils pouvaient varier leurs positions. Lire ici : faire éclater les carcans, défier les idées reçues et goûter à l’extase autrement. Celui qui correspond à la définition traditionnelle de la masculinité a exprimé qu’il voulait lui aussi être pénétré à l’occasion. Et son chum, qui n’a rien d’un mâle alpha sur le point de jouer dans la suite du film Gladiateur, a répondu qu’il avait envie d’être top, après des années confiné dans une seule position. Il a suffi qu’ils se libèrent des vieux stigmas pour retrouver une sexualité épanouie, plus diversifiée, avec ou sans pénétration, dans une position ou dans une autre, en faisant la sourde oreille aux innombrables homos qui pensent encore qu’on appelle ça du cul parce que nos fesses seraient supposément essentielles à l’activité.