Ouissem Belgacem est un auteur et ancien joueur de soccer français d’origine tunisienne. Il sera cette année coprésident d’honneur du festival Fierté Montréal. Encore assez peu connu de notre côté de l’Atlantique, son implication contre l’homophobie a été largement soulignée dans l’Hexagone, notamment par la publication de son livre Adieu ma honte (2021), où il décrit l’homophobie dans le monde du soccer et son expérience en tant que personne gaie encore dans le placard. En parallèle de son écriture, Ouissem Belgacem est aussi entrepreneur et dans le domaine de la musique.
Comment avez-vous réagi lorsque l’on vous a offert d’être coprésident d’honneur du festival Fierté Montréal ?
Ouissem Belgacem : J’ai été très agréablement surpris, parce que je ne pensais pas qu’on me connaissait au Québec, à Montréal. Je ne suis jamais allé au Canada. Je ne savais pas qu’on connaissait mon profil. J’ai fait beaucoup de médias, mais en France. J’ai fait des conférences aussi en Suisse et en Belgique. Mais de l’autre côté de l’Atlantique, je ne m’y attendais pas. Pour être très transparent, même si maintenant je sais que c’est un énorme festival, je ne connaissais pas le festival Fierté Montréal. Désolé ! En fait, quand je me suis renseigné, j’ai été encore plus surpris qu’on me contacte pour un festival aussi grand. Quand on m’en a parlé, ça a été un oui immédiatement. Ça me fait très plaisir.
C’était important pour vous d’écrire votre livre Adieu ma honte ?
Ouissem Belgacem : J’ai l’impression qu’il y a des causes, comme l’homophobie, que si tu ne parles pas, il ne se passera rien. Quand je suis arrivé à l’âge adulte et que j’ai vu qu’en France il n’y avait toujours pas de footballeur out, je me suis dit : « Il faut que tu parles Ouissem », parce qu’aujourd’hui il y a des jeunes qui vivent l’enfer que j’ai vécu dans différents clubs sportifs ou autres. Puisqu’ils ne peuvent pas parler, je me suis dit que moi — qui suis maintenant vieux, à 36 ans —, je peux faire ça pour les futures générations. Je veux casser ce cycle de discrimination. J’ai toujours su que j’avais traversé quelque chose d’injuste, et que j’allais y faire quelque chose un jour.
Cet été, le rugbyman Antoine Dupont fait la une du magazine LGBTQ+ français Têtu. Il n’est pas le premier sportif hétérosexuel à faire la une : le rugbyman Alexis Palisson avait aussi posé en 2011, tout comme les joueurs de soccer Olivier Giroud en 2012 et Antoine Griezmann en 2019. Selon vous, ce genre d’attitude est-elle fructueuse dans la lutte contre l’homophobie ?
Ouissem Belgacem : Je pense que c’est très important de mettre en avant les allié.e.s, pour plusieurs raisons. Dans un pays démocratique, si tu veux faire passer une loi, mais que tu n’as que 10 % des votes [proportion estimée de personnes LGBTQ+ dans le monde, selon certaines études, NDLR], alors tu ne fais pas passer la loi. On a besoin des allié.e.s. C’est important que les gens comprennent que la lutte contre l’homophobie n’est pas que l’affaire des homosexuel.le.s. C’est l’affaire de tout le monde. Je ne suis pas une femme, mais je suis aux manifestations contre les violences faites aux femmes. Je ne suis pas noir, mais j’ai été aux manifestations Black Lives Matter. Tu n’as pas besoin d’être touché directement par une cause pour t’en emparer, et c’est même encore plus fort. Je trouve ça trop beau. Ça, c’est de la vraie humanité.
Selon vous, quelle est la meilleure stratégie pour lutter contre l’homophobie dans le sport, et particulièrement au soccer ?
Ouissem Belgacem : Il faut faire des vrais programmes de formation, d’éducation, de sensibilisation. Ce que je reproche dans le sport mondial, c’est qu’on fait souvent de la communication avant de faire de la formation. Ça, pour moi, ça s’apparente à du pink washing. Si tu n’expliques pas aux joueurs ce que c’est, pourquoi c’est important de lutter… ça n’aura pas d’effet.
Ensuite, les gens que j’interpelle aussi, c’est les acteurs les plus importants de chaque sport. J’aimerais tellement que des grands joueurs, comme Mbappé, Griezmann, Giroux, disent des paroles inclusives sur les personnes homosexuelles. Ça, ça aurait un effet sur toute la jeunesse. Moi, je le dis souvent : si Kylian Mbappé se teint les cheveux en violet, tu vas demain à Paris, tu vois plein de jeunes avec les cheveux violets. C’est le niveau d’influence qu’il a. Ce sont des leaders d’opinion. Il faut le comprendre et en assumer la responsabilité.
Avez-vous vu un changement d’attitude de la part de vos pairs et de vos fans après votre coming out ?
Ouissem Belgacem : Le monde du football est le monde qui m’a le moins soutenu quand j’ai fait mon coming out. J’ai eu beaucoup de soutien de politiciens, du monde de la mode, d’autres sportifs (du judo, du patinage artistique, du volleyball, du rugby…) Mais, de ma fédération, très très peu. J’ai plein de fans de foot qui m’ont envoyé des messages en me disant : « C’est impossible qu’un joueur de foot soit gai ». C’était vraiment décevant de la part du monde du football.
À votre connaissance, y a-t-il encore présentement des joueurs de soccer LGBTQ+ qui n’ont pas fait leur coming out ?
Ouissem Belgacem : Bien sûr. Je ne peux pas donner de nom, mais j’ai un ami à moi qui a une femme et des enfants, et il m’a dit : « Tu sais, Ouissem, dans le football, il y a des choses qu’on ne peut pas être. » Et je sais qu’il faisait référence à ça, et ça me fait beaucoup de peine, parce que je sais qu’un jour il va faire son coming out. Et c’est triste, parce que ça va être beaucoup de souffrance pour tout le monde. J’ai reçu plein de messages d’athlètes en Tunisie et dans d’autres pays. Ils viennent se confier à moi. C’est pour ça aussi que je parle. Le monde du football n’est pas prêt à accueillir un footballeur homosexuel, du moins pas dans les pays comme la France et l’Espagne. Je pense que dans des pays anglo-saxons, comme l’Angleterre, le Canada, les États-Unis, l’Australie… ça peut mieux se passer, c’est des sociétés qui sont moins machos.
Vous avez récemment sorti un single et vous collaborez avec la chanteuse Camélia Jordana. Pourquoi opter pour ce nouveau médium ?
Ouissem Belgacem : J’ai deux grandes passions dans la vie : le football et la musique. Le football, malheureusement, j’ai arrêté quand j’ai joué au Colorado Rapids (à Denver). La musique, ça a toujours été pour moi une façon de m’exprimer. Tu sais, j’ai été tellement seul pendant tellement d’années que j’ai toujours écrit des paroles de musique, même au lycée, sur mes cahiers de notes. Ça a toujours été un moyen de m’exprimer. Et donc, là, ça me fait extrêmement plaisir d’y revenir, parce que moi aujourd’hui j’écris beaucoup de choses : des livres, des films… et en fait écrire de la musique ça m’aide beaucoup : j’ai l’impression que je raconte des choses dans les chansons que je n’oserais pas forcément dire dans des livres ou des séries.
Vous êtes originaire de Tunisie. Comment sont les droits des LGBTQ+ là-bas ?
Ouissem Belgacem : En Tunisie, il y a plein d’associations qui font un travail extraordinaire, mais il y a des mots que tu ne peux pas dire. Donc il n’y a pas d’« asso LGBT », il y a des « asso pour les libertés intérieures ». Les homos arrivent quand même à avoir une vie en Tunisie, mais c’est sûr que c’est beaucoup plus difficile, parce que c’est toujours répréhensible dans le Code pénal. Le pire, c’est que la loi qui criminalise l’homosexualité dans le Code pénal tunisien est en fait la loi qui a été mise en place par le gouvernement français quand la France a colonisé la Tunisie. Sauf qu’ensuite, en France, la loi, on l’a retirée, mais en Tunisie elle a été gardée mot pour mot. La Tunisie, dans le monde arabe, reste un des pays les plus ouverts. Donc, c’est pas simple, mais c’est beaucoup mieux que dans d’autres pays.
INFOS | En novembre dernier, Ouissem Belgacem sortait son premier single, «Je suis en paix», qu’il interprétera lors du spectacle ImmiX, au Festival Fierté Montréal, le jeudi 8 aout 2024 à 20h30. Il sera également du défilé de la Fierté le dimanche 11 août.
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