À 16 ans, Colin Bourque a deux secrets : son homosexualité et sa passion pour Céline Dion. À quelques mois de la fin du secondaire, ce « garçon pas comme les autres » voit sa vie basculer lorsqu’il croise un cégépien au corps de nageur. Son histoire est un clin d’œil assumé au succès Heartstopper qui a inspiré l’écrivain Jean-Michel Fortier — fan fini de Céline — dans l’écriture du roman pour ados et pour adultes, Tout me revient maintenant.
Comment est apparue l’envie d’écrire un personnage adolescent ?
Jean-Michel Fortier : Je me demandais comment atteindre un public plus large que
d’habitude. C’est la première chose qui a motivé mon écriture. Ensuite, je me suis demandé ce qu’il y avait dans mon expérience d’unique à raconter. Je suis une personne queer, je viens de Québec et j’aime Céline Dion. Il y a plein de gens comme moi, mais j’ai la chance d’être capable d’écrire et d’avoir une plate-forme. Mon personnage sent que son homosexualité et son amour pour Céline sont liées d’une certaine façon et qu’elles sont également honteuses. Je m’identifiais totalement à ça durant mon adolescence.
Selon Colin, les garçons « normaux » n’aiment pas Céline Dion. À quel point sa situation peut-elle faire écho à plusieurs personnes qui cachent leurs goûts par peur de ce que cela dit sur elles ?
Jean-Michel Fortier : Quand tu es ado et queer, tu as l’impression que tout peut te révéler : ta voix, ton rire, ta démarche, tes gestes, tes vêtements, tes intérêts, tes envies, tes amis et tes goûts musicaux. Colin croit que c’est anormal d’aimer Céline à 16 ans en 2003, alors que ses amis ont des goûts musicaux complètement différents. Il se sent comme une vieille madame. Je pense que plusieurs personnes vivent des choses comme ça dans la façon dont elles se présentent au monde. On a souvent peur qu’un indice révèle notre secret.
Décris-nous ton amour pour Céline.
Jean-Michel Fortier : À 16 ans, c’était the shit ! Il n’y avait rien de mieux pour moi. Je crois qu’elle va faire partie de mon univers jusqu’à la fin de ma vie. Il ne passe pas une journée sans que j’écoute une de ses chansons. C’est tellement une habitude pour moi. Vingt ans plus tard, j’ai élargi mon univers musical, mais toute cette connaissance-là m’est restée.
Je n’ai pas fait de recherches pour parler d’elle dans le roman. J’ai lu toutes les biographies sur elle, tous les articles de magazines et j’ai tous ses albums. Je suis pas mal expert.
On fait l’entrevue 10 jours après la cérémonie d’ouverture des JO. Qu’as-tu pensé de sa prestation ?
Jean-Michel Fortier : Ce moment a rallié tout le monde. Il faut dire que la trame narrative avait été bien installée. Le documentaire avait été mis en ligne un mois plus tôt. On l’a vue dans un état lamentable. Bien sûr, le docu avait été fait il y a un bout, alors elle a eu le temps de se remettre un peu. Au final, sa prestation a été super belle visuellement et musicalement. Le fait que tout ça avait été si bien orchestré faisait en sorte que tout le monde semblait avoir un amour inconditionnel pour Céline.
Colin cache aussi son homosexualité. À quel point l’époque (2003) influence-t-elle son choix ?
Jean-Michel Fortier : En 2024, j’espère que bien des choses ont changé et que ça se passe mieux que dans le roman dans plusieurs écoles secondaires. Pourtant, je suis certain qu’il y a plusieurs endroits où c’est exactement comme dans le livre. Colin ne se fait pas harceler ni intimider, mais il ne se sent pas en sécurité et il a l’impression qu’il doit se retenir. Il sent l’univers hostile à ce qu’il est au fond de lui. Donc, l’époque joue dans sa décision.
Le roman est une chronique sur tous les ados pognés du monde. Que voulais-tu exprimer sur eux ?
Jean-Michel Fortier : Je ne voulais pas que ce soit un livre triomphal. On n’a pas toujours besoin de lire des histoires qui se terminent alors que l’ado surmonte sa timidité ou son traumatisme. Je pense que ça prend beaucoup de temps faire ça, même toute une vie. À la fin du roman, Colin a vécu un sentiment amoureux et plusieurs choses se sont améliorées, mais il n’y a pas grand-chose de réglé. Je voulais montrer que c’est normal et qu’il n’y a pas de pression d’accomplir ceci à 16 ans et cela à 20 ans.
Tu prends le temps d’installer ton personnage, son quotidien et sa famille avant de placer l’élément déclencheur de sa quête amoureuse. Pourquoi ce choix ?
Jean-Michel Fortier : J’aime beaucoup écrire des chapitres qui, en apparence, ne servent à presque rien : quand j’écris que Colin attend l’autobus pour aller au travail et que c’est plate à sa job, ça ne fait pas avancer la progression dramatique, mais je crois au pouvoir de ces chapitres-là pour qu’on s’attache aux personnages. Je crois à l’attachement dans la longueur. Colin ne vit pas des aventures rocambolesques, mais on développe une empathie pour lui et j’espère qu’on veut le suivre.
Ton livre rappelle certains éléments de Heartstopper. Penses-tu que les queers ont besoin d’histoires d’ados pleines de tendresse et positives comme celle-là ?
Jean-Michel Fortier : Oui ! J’ai commencé à lire Heartstopper en 2021, tout juste après avoir commencé l’écriture du livre. Je suis tombé en amour avec le premier tome. Ça m’a tellement ému ! Même si l’histoire se déroule à notre époque, il y a quelque chose d’idéalisé là-dedans : il y a des obstacles, mais ces ados sont tellement bien entourés. Quand je lisais ça, j’avais l’impression de goûter l’histoire d’amour que j’ai toujours voulu avoir au secondaire. Ça m’a beaucoup inspiré.
Y a-t-il un plan pour une suite ou même plusieurs tomes ?
Jean-Michel Fortier : Si je considère que les gens ont embarqué et qu’on a vendu assez d’exemplaires, j’aimerais rester dans cet univers-là. Je pourrais continuer avec Colin à l’université ou plus tard dans sa vie. Ce n’est pas un plan, je n’ai aucun manuscrit de commencé, mais je ne suis pas fermé à l’idée.
INFOS | TOUT ME REVIENT MAINTENANT, Jean-Michel Fortier, Éditions La Mèche, 2024.
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