Le 14 septembre 2024, je suis allé au Festival western de Saint-Tite pour la première fois. Après 12 heures d’émotions vives, je me suis demandé pourquoi je m’étais privé de l’événement aussi longtemps ! Puis, je me suis rappelé l’agression survenue là-bas en 2015 et j’ai pensé que l’événement faisait probablement partie des espaces que plusieurs personnes LGBTQ+ évitent pour survivre, à tort ou à raison.
Ma journée sur place était carrément exaltante. Je pourrais parler des rues bondées de festivalier.e.s qui irradiaient de joie et envisager d’écrire des romans sur le magnétisme de certains cowboys, dont les bottes, les jeans semi-ajustés, la boucle de ceinture, la chemise din pantalons et le chapeau m’ont fait frétiller les rotules. Je pourrais parler des danses en ligne au milieu de la rue et des spectacles qui s’enchaînent tout au long de la journée. Je pourrais résumer mes réactions à mon premier rodéo : debout sur ma chaise, la mâchoire au plancher, les yeux en orbite et la bouche qui échappe quelques couinements de peur, pendant que ma conscience remet en question ces épreuves impliquant des animaux pour le divertissement des humains. Mais j’ai envie de réfléchir à autre chose : pourquoi n’y suis-je pas allé avant ?
Même si j’ai grandi en Abitibi, je ne suis pas familier avec le monde rural, la course de barils, la monte du taureau/cheval, l’échange de cavaliers, la prise du veau au lasso, le terrassement du bouvillon et la course de sauvetage. Mes connaissances en danse en ligne se limitent au Achy Breaky Dance. Et mes affinités avec le country n’ont jamais dépassé Shania Twain, Faith Hill, Taylor Swift et la trame sonore de Nashville. Néanmoins, chaque année je voyais plusieurs proches revenir de Saint-Tite avec la joie étampée dans face. Qu’est-ce qui m’empêchait de les accompagner ? Est-ce que je m’excluais du festival ou est-ce plutôt le festival qui ne faisait rien pour que je m’y projette ?
Je ne prétends pas que tous les événements doivent tenter de séduire toutes les clientèles. Mais comme les queers représentent au moins 10 % de la population, peut-on vraiment les oublier ? On pourrait croire qu’un festival qui attire plus de 700 000 personnes par année n’a plus besoin de faire d’efforts pour rejoindre son monde, mais l’organisation fait encore de la promotion et pose des gestes pour élargir son public.
En 2023, lorsque le festival a annoncé que Rita Baga animerait le bingo, il y a eu polémique. On peut y voir une forme de résistance du public, mais on peut aussi se dire que l’activité a battu un record d’achalandage et que la célèbre drag queen est revenue en 2024. On observe donc un mélange d’ouverture et de fermeture. Comme dans le reste de la société, dans toutes les régions, y compris à Montréal, diront plusieurs.
Oui, mais non. En 2015, un jeune homosexuel a été victime d’une attaque au festival. Il a raconté que son agresseur avait un comportement déplacé envers sa sœur, qu’il avait voulu le faire fuir en lui disant qu’il était « chaud » (attirant) et que ce dernier l’aurait traité de « fif » avant de le frapper, jusqu’à lui faire perdre conscience. Deux mois plus tard, l’agresseur a écopé de huit mois de prison. Selon le Nouvelliste, « le juge a souligné que la preuve n’avait jamais été faite que l’orientation sexuelle de la victime était en cause dans cet événement et qu’il ne pouvait donc la retenir comme facteur aggravant. […] Il considère que la bataille était déjà engagée […] avant même que l’homosexualité de Mathieu Grégoire ne soit connue de l’agresseur. »
N’ayant pas été témoin, je ne peux confirmer si l’agresseur a choisi sans raison de s’en prendre à quelqu’un qui s’adonne à être gai ou s’il l’a ciblé de manière homophobe. Mais je dois écrire l’évidence : la communauté queer s’en souvient. On aura beau dire qu’il existe des attaques semblables ailleurs, cette altercation confirme la peur qui nous habite dès qu’on met les pieds dans les espaces associés à un mode de vie plus traditionnel.
Un peu comme l’écrit Gabriel Cholette dans son roman Le Straight Park, en évoquant sa crainte de déranger les skateux hétéros, les personnes LGBTQ+ craignent que leur présence dans des espaces à majorité hétérocisgenre suscite des réactions négatives. Elles ont souvent le réflexe de taire leur queerness pour éviter les problèmes. Elles développent une capacité d’analyse des lieux pour identifier les sources de danger. Et elles savent que les espaces célébrant une culture d’autrefois attirent davantage de personnes aux valeurs sociales conservatrices qui risquent de leur vouloir du trouble.
Plusieurs adeptes de ces événements répondront que nous sommes les bienvenu.e.s et nous accueilleront à bras ouverts. Malheureusement, il reste un doute qui ne s’efface pas. Un doute entretenu par des décennies de violence qui laisse des traces. Un doute qui a poussé les queers à créer des safe spaces pour ÊTRE sans retenue : des bars, des clubs, des pubs et des tavernes qui sont en perte de popularité, parce que les personnes LGBTQ+ ne veulent plus être ghettoïsées. Elles préfèrent agir librement un peu partout.
Mais le peuvent-elles vraiment ? Avons-nous réellement atteint un point où les queers peuvent aller n’importe où en s’habillant comme iels veulent, en bougeant sans s’autocensurer et en exprimant leur affection sans gêne comme le font les hétéros ? Ou avons-nous encore le réflexe d’éteindre nos lumières pour ne pas attirer l’attention, les insultes et les coups, sans trop savoir si nous agissons ainsi en raison de la honte internalisée que la société nous renvoie ou par réflexe de protection aussi actuel que nécessaire ?