Même un peu avant le début de la 25e Conférence internationale sur le sida (CIR), qui se déroulait du 22 au 26 juillet à Munich (Allemagne), les résultats d’une étude provenant d’Afrique du Sud étaient plus que probants. En injection deux fois par an, on a pu mesurer l’efficacité du lénacapavir à 100 % sur un groupe de jeunes femmes qui n’ont pas été infectées par le virus du VIH/sida. Dr Jean-Pierre Routy, médecin au Centre de santé de l’Université McGill, était à Munich. Nous l’avons rencontré.
Fabriqué par la compagnie Gilead Sciences, son prix onéreux rebute les experts qui demandent à la pharmaceutique de le réduire. Par ailleurs, il a aussi été discuté d’une personne séropositive et greffée de la moelle osseuse et qui présente des signes de rémission, signifiant ainsi que le VIH n’est plus présent dans son sang depuis maintenant quelques années. Il y avait de quoi réjouir ces milliers de congressistes. « C’est le premier congrès où on observe vraiment que la COVID est derrière nous et que plus de 15 000 personnes sont présentes et non pas en virtuel, fait remarquer le Dr Jean-Pierre Routy, médecin au Centre de santé de l’Université McGill qui a assisté à ce rassemblement. C’est en quelque sorte une grande communion laïque de la lutte contre le sida, d’être tous ensemble et de célébrer tout le travail accompli par tous ces gens qui viennent du milieu de la recherche, de l’éducation, de la médecine, de la prévention, etc. C’est très vaste. C’est là où la couverture médiatique est très forte si l’on compare à la CROI [Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections, un congrès scientifique, NDLR], par exemple. C’était bien aussi de voir des gens provenant d’Afrique, il y avait ainsi plus de 1000 personnes invitées par la CIR et cela faisait de très bonnes discussions sur la situation dans certains pays. Il y a ce sentiment d’être ensemble et de partager un grand moment […] »
« En 2023, un peu moins de 40 millions de personnes vivaient avec le virus du sida, le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), révèle le rapport annuel de l’organisation. Environ 1,3 million [de personnes] ont été infectées l’année dernière (2022), soit quelque 100 000 de moins qu’un an plus tôt », tel que le dit un article de Radio-Canada citant un nouveau rapport d’ONUSIDA en amont de cette 25e Conférence internationale. Il faut rappeler que plus de 42 millions de personnes sont décédées du sida depuis la découverte de cette maladie, dans les années 1980.
Pas un traitement miracle, mais…
« Comme lors de la Conférence de Vancouver, en 1996, où on annonçait l’arrivée des trithérapies, il y a eu une ovation debout lorsque la Dre Linda-Gail Bekker est venue présenter l’étude sur le lénacapavir, poursuit le Dr Routy. C’était un moment magnifique, c’était énorme parce que l’étude portant sur le lénacapavir ouvre bien des possibilités. Le lénacapavir a été efficace à 100 % sur des jeunes femmes et des jeunes filles à risque d’être infectées dans ce rapport d’étude d’Afrique du Sud. C’était incroyable ! »
La Dr Linda-Gail Bekker est directrice et professeure au Desmond Tutu HIV Foundation de l’Université du Cap et ex-présidente de la Société internationale du sida (de 2016-2018) qui organise ces grands congrès.
Effectivement, le lénacapavir (Sunlenca) ne nécessite que deux doses annuelles par injection. Il peut être utilisé pour la PrEP (traitement préventif). Il a été approuvé par Santé Canada en novembre 2022. Mais voilà : « Le lénacapavir est “solitaire”, c’est-à-dire qu’il a besoin d’un autre médicament pour l’aider et l’appuyer, explique le Dr Jean-Pierre Routy. Il lui faut un médicament d’une autre famille, malheureusement. […] Mais ce n’est que le début, la tendance de l’industrie sera maintenant de passer de la “trithérapie” à la “bithérapie”. On observe aussi que ce sont des médicaments moins toxiques qu’ils ne l’étaient. […] On va avoir des médicaments une fois par mois, comme le cabotégravir [produit par Viiv Healthcare en injection], par exemple. Encore là, on pointe vers la bithérapie. C’est un bel avancement qui ouvre bien des portes, encore là c’était extraordinaire de voir ça ! […] ».
Par contre, le gros bémol pour le lénacapavir est pour le moment son coût prohibitif, soit 55 000 $ présentement, pour deux doses. « Je sais qu’il a y des débats très forts sur le prix du médicament, il y a beaucoup de pression. L’image publicitaire de Gilead est tellement forte que cela pourrait lui être avantageux de plier. Je ne suis pas un spécialiste pour fixer les prix, mais je pense que Gilead pourrait faire un effort ici, la baisse serait compensée par le nombre de patients sous ce traitement […] », de commenter ce médecin qui est le directeur du Réseau sida et maladies infectieuses FRQ-S. Gilead Sciences va-t-elle entendre les adjurations des experts ? Là est la question…
« Le nouveau patient de Berlin »
Il y avait une autre bonne nouvelle, puisqu’on a amplement discuté d’un patient greffé de la moelle osseuse et qui, de toute évidence scientifique, serait en rémission du VIH depuis quelques années. Cela a été révélé à quelques jours de la Conférence puis largement discuté par le milieu scientifique durant ce congrès.
Mais de quoi s’agit-il au juste ? Eh bien c’est un homme de 60 ans qui n’a pas voulu être identifié, qui a été déclaré séropositif en 2009, puis en 2015, et qui a reçu une greffe de moelle osseuse à la suite d’une leucémie. Six ans plus tard, on constate qu’il n’a plus de charge virale, et ce, depuis plusieurs années, alors qu’il avait apparemment cessé ses traitements antirétroviraux en 2018. Ce sont les données présentées par le Dr Christian Gaebler de l’hôpital de la Charité de Berlin, qui est le médecin soignant de ce patient : « […] le cas de ce patient est très évocateur d’une guérison du VIH », a-t-il déclaré à l’AFP. Ce patient allemand est vraisemblablement le 7e cas de rémission à long terme. Timothy Ray Brown était le « premier patient de Berlin » guéri du VIH-sida (en 2008) selon les scientifiques. Il a été emporté par un cancer en 2020.
Mais voilà que le « nouveau patient de Berlin » a reçu des cellules souches de donneurs de moelle osseuse avec une mutation rare d’un gène appelé le CCR5, une mutation déjà reconnue dans les milieux du VIH-sida pour bloquer l’entrée de ce virus dans les cellules. « […] Ces donneurs avaient hérité de deux copies du gène muté — une de chaque parent. Le nouveau patient de Berlin est le premier à avoir reçu des cellules souches d’un donneur n’ayant hérité que d’une copie, une configuration beaucoup plus courante faisant espérer davantage de donneurs potentiels ».
« Ce patient a reçu un seul des deux gènes et cela a marché, cela a pu conduire à une guérison, c’est scientifiquement intéressant, mais c’est un tout petit pas dans la bonne direction, indique le Dr Jean-Pierre Routy. Cela a bien sûr été très médiatisé parce que le patient est allemand et que le congrès se déroulait à Munich. On pourra maintenant trouver plus facilement des donneurs, il faudra que les deux parents soient porteurs du gène CCR5. Mais la greffe de moelle osseuse reste très, très rare. Cela ne change pas grand-chose dans le quotidien, mais cela vaut la peine de poursuivre les études dans ce sens-là. […] »
« Chaque conférence internationale sur le sida apporte des avancées scientifiques qui pourraient ouvrir la porte à de nouvelles cures. En tant que bénéficiaire de la trithérapie, d’une greffe entre donneur et receveur séropositifs, et de l’avancée I=I (indétectable= intransmissible), j’ai accepté que mon cas soit publié dans les médias grand public afin de contribuer à la déstigmatisation des personnes vivant avec le VIH. Mon parcours montre combien les progrès médicaux ont transformé ma vie, mais ces avancées n’atteindront leur plein potentiel que si chaque individu, indépendamment de sa situation, peut accéder aux soins nécessaires. La lutte contre la stigmatisation et la discrimination est essentielle pour permettre à toustes de bénéficier des traitements disponibles sans crainte de jugement ou d’exclusion », de commenter pour sa part le Montréalais Denis Cormier-Piché, qui est le premier Nord-Américain à bénéficier d’une greffe d’organe entre donneur et receveur vivant avec le VIH-sida.
À VENIR… Dans un prochain article, nous aborderons les questions et les enjeux reliés à la recherche pour un vaccin, ainsi que les questions d’acceptabilité de l’homosexualité en Afrique.