Dimanche, 16 mars 2025
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    Billy-Ray Belcourt et la brutalité de l’histoire

    Avec Chœur infime (traduit par Mishka Lavigne) Billy-Ray Belcourt ne publie pas seulement son premier roman, après des années consacrées à la poésie. L’auteur autochtone queer pousse son narrateur à quitter la vie universitaire, à retourner dans le nord de l’Alberta et à interviewer des personnes ayant subi la brutalité de l’histoire pour écrire l’autobiographie du monde rural qui l’a vu grandir.

    Pourquoi as-tu senti l’appel de la poésie en premier ?
    Billy-Ray Belcourt : Mon introduction à l’écriture créative, comme mode d’expression et façon d’améliorer ma conscience politique, s’est faite à travers la poésie. Je suivais des artistes de spoken word sur les réseaux sociaux et j’ai vu des enregistrements de leurs performances où iels pouvaient exprimer de grands sentiments sur l’histoire, ce qui a résonné très fort avec moi. J’ai vu la poésie comme un moyen d’aborder les nombreux éléments qui constituent le fait d’être autochtone et queer en Alberta. Je pense aussi que la poésie m’attirait parce qu’elle me permettait d’insister sur mon droit d’être libre, sans être défini à outrance par les logiques de l’oppression.

    Comment était-ce de grandir dans le nord de l’Alberta en tant que personne queer autochtone ?
    Billy-Ray Belcourt : À l’époque, le nord de l’Alberta était très conservateur. Mon rapport à la queerness existait à travers l’homophobie ou l’absence de personnes queers. J’ai construit ma propre queerness à travers la littérature et les médias. Je me cachais dans le sous-sol pour regarder des émissions LGBTQ+ quand il n’y avait personne à la maison. Et j’achetais des romans queers avec mon argent de poche. Quand je suis allé à Edmonton pour étudier, en espérant y déployer ma queerness, je n’étais pas préparé à composer avec le racisme et le colonialisme dans les espaces queers.

    Ton narrateur veut fracasser le passé de toutes ses forces pour laisser passer une lumière dont il ne soupçonnait pas l’existence. Dirais-tu que son instinct le pousse à explorer le passé ?
    Billy-Ray Belcourt : Exactement. Il prend la décision de retourner dans le nord de l’Alberta pour interviewer des personnes qui ont expérimenté, chacune à leur façon, la brutalité de l’histoire. Il agit ainsi parce qu’il réalise qu’on ne peut pas se détacher du passé.

    En y retournant, au lieu de fuir, il espère comprendre quelque chose plutôt que de se faire écraser. Ça reflète ma propre histoire en tant que personne qui a grandi à une époque horrible pour être autochtone et queer.

    Il sent le besoin de quitter le monde académique pour éviter que son écriture fasse seulement évoluer le savoir institutionnel. Partages-tu son avis ?
    Billy-Ray Belcourt : Oui, ça explique ma propre décision de me détourner de l’écriture académique et de la vie universitaire. À l’origine, je pensais faire ma place au département d’études culturelles ou en études anglaises, mais à un certain point, j’ai voulu que mon travail circule à l’extérieur de ce milieu. Si j’utilisais seulement le langage académique, j’allais m’aliéner les publics qui me tiennent à cœur. J’ai encore une perspective académique dans mon travail, mais la dimension émotive est aussi importante que la théorie. Un roman permet de marier tous ces éléments dans le même espace.

    Pourquoi était-ce nécessaire d’écrire « l’autobiographie de l’Alberta rurale » à travers ces rencontres ?
    Billy-Ray Belcourt : D’une part, il y a très peu de livres sur la vie dans le nord de l’Alberta en général et aucun que je pouvais trouver sur la vie des autochtones queers. Aussi, si j’avais quelque chose à écrire dans un roman, ça devait porter sur le contexte de ma jeunesse.

    Cela dit, je ne voulais pas interviewer les membres de ma famille et les placer dans une posture inconfortable. J’ai donc voulu créer des personnages qui pourraient parler de ce que ça signifie de vivre là-bas : un homosexuel dans le placard, une femme qui confronte l’hétéropatriarcat, un homme cri qui subit la brutalité policière, etc. Ils parlent d’expériences que je n’ai pas nécessairement.

    Ton personnage devient l’écrivain de la famille, l’historien et le coroner. Dirais-tu qu’il sent une responsabilité d’infuser de la beauté et de donner du sens aux vies passées ?
    Billy-Ray Belcourt : Il réalise que les gens ne discutent pas nécessairement de leur passé en termes esthétiques et politiques. Ironiquement, ceux qui expérimentent les formes les plus intenses de l’oppression n’ont pas souvent accès au langage pour conceptualiser leurs expériences. Le roman est vraiment une tentative de leur donner les mots pour parler de leurs vies de cette façon. Évidemment, le livre a un objectif politique, mais aussi esthétique, comme tu le mentionnes. Je voulais parler de leurs vies non seulement en mettant l’accent sur leurs souffrances, mais aussi sur la beauté de leur capacité à survivre.

    Tu écris qu’on ne devrait pas créer avec l’état du monde et que la rue devrait être notre page blanche. Ressens-tu toujours cette déchirure en écrivant ?
    Billy-Ray Belcourt : Il y a des moments dans l’histoire où l’art peut sembler futile. J’écrivais ce livre durant le procès de Gerald Stanley pour le meurtre de Colten Boushie, un homme cri en Saskatchewan. Ce procès a mis en lumière plusieurs logiques horribles de la colonisation. Je savais que la loi ne pouvait pas nécessairement permettre d’obtenir la justice, mais je me suis quand même senti accablé par le verdict d’acquittement. Je me disais que mon écriture ne servait à rien dans ce contexte et je voulais que mon personnage partage cette ambivalence. Mais, ultimement, le personnage écrit ce livre comme un moyen de défense.

    INFOS | CHŒUR INTIME, de Billy-Ray Belcourt, traduction de Mishka Lavigne, Triptyque Queer, février 2025, 196 pages.
    https://billy-raybelcourt.com

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