Vendredi, 7 novembre 2025
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    35 ans de la descente du party Sex Garage

    Dans la nuit du 14 au 15 juillet 1990, des dizaines de policiers casqués, sans insignes ni numéros d’identification, et armés de matraques, font irruption dans le loft où 400 personnes, plus particulièrement des gais et des lesbiennes (les termes queers ou LGBTQ+ n’existent pas à l’époque) font la fête et s’amusent aux sons d’un DJ. L’ambiance est très festive quand les policiers déclarent ce party illégal et poussent les fêtards à l’extérieur où les attendent d’autres policiers. Ceux-ci interviennent violemment et battent plusieurs personnes. L’artiste photographe Linda Dawn Hammond est là avec son appareil et prend des clichés qui ne laissent rien au hasard. Les photos de Hammond seront d’ailleurs publiées le lendemain dans les quotidiens The Gazette et La Presse. Ce sera la bougie d’allumage pour l’obtention de la reconnaissance des droits et le droit à la différence, justement.

    Il faut faire un peu d’histoire, ici, puisque parmi les jeunes générations, plusieurs n’ont sûrement jamais entendu parler de cet événement-là.

    Violence policière et arrestations
    Neuf fêtards sont arrêtés cette nuit-là. Les insultes homophobes proférées par les policiers ne laissent aucun doute. Par contre, les motifs de la descente, eux, ne sont pas clairs du tout : «[…] la police de Montréal évoque plusieurs explications différentes, notamment des plaintes pour bruit (alors que personne ne résident sur cette rue), des soupçons de vente illégale de boissons alcoolisées et une demande d’assistance du promoteur de l’événement (ce qui est fax) », pouvait-on lire dans le Fugues à la fin de l’été 1990. L’escouade de la moralité ici qu’on pourrait qualifier, à l’époque, plutôt de «police des mœurs».

    Crédit PHOTOS André Querry, Juillet 1990

    C’est la goutte qui fait déborder le vase ici.

    Le soir même du 15 juillet, une manifestation se produit au coin des rues Sainte-Catherine Est et Amherst (maintenant Atateken). Plusieurs centaines de personnes bloquent la rue et réclament de parler au chef de police, Alain St-Germain. Les manifestants veulent une enquête sur la brutalité policière et que les charges contre les personnes arrêtées soient abandonnées. Par l’entremise du militant Douglas Buckley-Couvrette (une figure marquante de la lutte contre le VIH et les droits gais et lesbien dans les années 1990), Ils obtiennent finalement une rencontre avec le chef de police.

    Le lendemain, le 16 juillet, entre 250 et 300 personnes se massent devant le poste de police 25, au coin des rues St-Mathieu et De Maisonneuve, en espérant pouvoir s’adresser au chef Alain St-Germain. «Il y avait des tireurs de la police postés sur le toit de l’édifice qui avaient dans leur mire la foule assise par terre. C’était une vision ahurissante parce que tout le monde était pacifique, assis par terre, il n’y avait pas de violence des manifestants. C’est la police qui avait une attitude violente…», souligne René LeBœuf, photographe à l’époque et membre du groupe ACT UP Montréal.

    Rappelons que le co-fondateur de l’organisme ACCM et animateur de l’émission Homo Show sur les ondes de CKUT, David Shannon est l’un des initiateurs de cette manifestation contre la violence policière. Comme on peut s’y attendre, le chef St-Germain ne s’est jamais présenté.

    On déclenche ainsi un «sit-in» et un «kiss-in»! La police intervient, elle use de matraques sur les protestataires, elle traîne plusieurs par les cheveux, devant les caméras de télévision. Plus d’une quarantaine de personnes sont arrêtés, certains individus sont battus tellement fort qu’ils nécessitent une hospitalisation.

    EPSON MFP image

    Le 29 juillet, une manifestation est organisée devant l’hôtel de ville de Montréal. Les manifestants marcheront ensuite du Vieux-Montréal jusqu’au parc Lafontaine où on entendra des gens venus appuyer les gais et les lesbiennes. «Il y avait Sam Boskey, qui était un conseiller municipal (district Snowden) de Montréal du parti de la gauche (La Coalition démocratique) dans le temps du RCM (du maire Jean Doré) et qui représentait les conseillers de gauche au conseil municipal de l’époque.

    Le comédien très connu Jacques Galipeau a lu un message de solidarité du (poète) Gérald Godin et de la chanteuse Pauline Julien (Galipeau était le premier mari de Pauline).

    Paula Sympnovitch était porte-parole d’ACT UP Montréal et des personnes arrêtées (et battues) devant le poste de police 25. Ces trois personnes étaient les plus importantes à prendre la parole cette journée-là», de souligner René LeBoeuf.

    Michel Lavigne

    Le groupe Lesbiennes et gais contre la violence (LGV) voit le jour et réclame une enquête sur la violence exercée par la police, la libération des personnes arrêtées et «que la Ville de Montréal crée un siège pour les gais et lesbiennes au Comité municipal responsable des relations entre les minorités de la population et la Communauté urbaine de Montréal (CUM)».

    On veut que l’Assemblée nationale se saisisse du dossier de la descente. À Douglas Buckley-Couvrette s’ajoute donc des gens comme Roger Le Clerc, Michael Hendricks et René LeBoeuf, Claudine Metcalfe, Jean-Michel Lagacé, David Shannon et d’autres encore. Certains militent déjà au sein d’ACT UP Montréal qui défend les droits des personnes atteintes du sida, des hommes gais pour la plupart.

    René LeBœuf

    Des assassinats homophobes
    Entre temps, plusieurs meurtres à caractère homophobes se produisent dans la métropole. Y aurait-il un tueur en série ? Le «modus operandi» est le même alors qu’on retrouve des hommes gais assassinés. Le SPCUM (Service de police de la communauté urbaine de Montréal) ne semble pas prendre la thèse d’un tueur en série très au sérieux. Le LGV insiste pour que la police investigue de manière plus approfondie ces meurtres-là. En quelques années, on pense qu’il y a eu jusqu’à une douzaine d’homicides. Les pressions sont fortes.

    «Les gais étaient traités comme des ‘’nobody’’, des pervers, des moins que rien, continue René LeBœuf. La police n’entreprenait pas d’enquêtes sur les meurtres de ces ‘’pervers’’, ne les reliaient pas les uns aux autres. Ces meurtres ne les intéressaient pas vraiment à ce moment-là.» En aout 1993, pour souligner l’anniversaire de la descente de Sex Garage et en réponse aux nombreux homicides, Puelo Deir et Suzanne Girard organisent la toute première marche de Divers/Cité (que l’organisme produira jusqu’en 2006 avant de se consacrer au festival culturel).

    Un aboutissement vers des consultations publiques
    Mais le temps passe. Finalement, les négociations aboutissent et l’on obtient des consultations publiques. Du 15 au 22 novembre 1993, la Commission des droits de la personne du Québec (appelée aujourd’hui Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec) tient des audiences publiques sur la discrimination basée sur l’orientation sexuelle, sur la violence, etc. Plusieurs dizaines de membres et organismes de la communauté y participent : de la Table de concertation des gais et lesbiennes du Grand-Montréal au groupe juif Yakdav en passant la CSN (Confédération des syndicats nationaux – Conseil central de Montréal) ou encore Gai Écoute (aujourd’hui Interligne), et le défunt avocat Noël St-Pierre, entre autres.

    La Commission est présidée par Fo Niemi qui est, également, président du Comité interne de la CDPQ chargé du dossier de la discrimination envers la communauté lesbienne et gaie. En mai 1994, la Commission remet un important rapport intitulé «De l’illégalité à l’égalité» qui contient 41 recommandations touchant plusieurs aspects des discriminations contre la communauté homosexuelle, dont la reconnaissance des conjoints et conjointes de même sexe (chose qui se fera au Québec en 2004). Malgré tout cela, en 1994, le bar K.O.X./Katakombes est la cible d’un autre raid de l’escouade de la moralité : cette fois-ci plus de 170 hommes avaient été arrêtés, mais avec moins de brutalité que durant Sex Garage.

    «La rumeur courait à l’époque que c’était une vengeance de la part de la police pour les audiences, les consultations publiques et les pressions exercée sur elle au sujet des meurtres en série et de la brutalité policière, mais on n’a jamais su si c’était vrai ou non», souligne René LeBoeuf.

    Une exposition pour se souvenir
    «Sex Garage : 35 ans plus tard» est le titre d’une exposition aux Archives gaies du Québec (AGQ) qui retrace les événements de cette époque-là. Du 15 juillet au 15 septembre, avec des photos, des coupures de journaux, des affiches, etc., cette exposition cherche à expliquer les événements qui se sont produits «et comment cela a changé la vie des gais et des lesbiennes de Montréal à cette époque-là», note René LeBoeuf. Le tout est en collaboration avec Fierté Montréal et dans l’espace Desjardins du Quartier Latin.

    Plusieurs éléments proviennent d’ailleurs du fonds Michael Hendricks et René LeBoeuf ainsi que du fonds du militant décédé Douglas Buckley-Couvrette, des photos d’André Querry, en plus des nombreuses archives des AGQ. Cette exposition se divise en deux temps : d’abord, des panneaux situés aux Archives, ensuite d’autres panneaux visibles sur une colonne Morris, située devant l’édicule du métro Beaudry (au coin des rues Beaudry et Sainte-Catherine).

    «Beaucoup de gens sont décédés à présent et ne peuvent plus ainsi témoigner de ces moments-là, malheureusement. Donc, cette exposition veut raconter cette histoire-là de ce qui s’est passé réellement, des multiples rencontres, du mouvement qui s’est créé et tout ce qu’il y a eu par la suite.

    Ce fut un vaste mouvement. On aurait pas des droits aujourd’hui si toutes ces personnes nes s’étaient pas battues pour les obtenir et faire face à la violence et à l’homophobie», indique René LeBoeuf qui, avec son conjoint Michael Hendricks, sont les commissaires invités de cette exposition. «Ça va être intéressant pour les jeunes qui ne connaissent pas cette histoire-là, poursuit René LeBoeuf. Michael et moi on pensait faire une exposition comme celle-ci depuis déjà quelque temps. Puis, on en a parlé à Pierre [Pilotte, le coordonnateur des Archives] et à Simone [Beaudry-Pilotte, qui est archiviste]. Pierre et Simone ont trouvé que c’était une bonne idée de pouvoir mettre sur pied cette exposition d’un point de vue social et historique.»

    «Les gens des Archives ont été emballés par cette idée d’exposition, commente pour sa part Pierre Pilotte. C’est un sujet important pour nous tous et pour les jeunes en particulier pour qu’ils sachent que nos droits n’ont pas toujours été reconnus. Le sida est venu en rajouter une couche alors que beaucoup d’hommes mourraient et ce, en plus des meurtres qu’il y a eu. Nos droits ne sont jamais totalement acquis, on voit bien ce qui se passe chez nos voisins du Sud avec Donald Trump, malheureusement.»

    André Querry

    «Les gens, en particulier les jeunes, ne réalisent pas à quel point les gens de la communauté avaient été maltraités à l’époque. C’était terrible la discrimination, la violence, la brutalité policière, etc.», confie René LeBoeuf. «J’ai participé à des marches et à des activités pour les droits, continue Pierre Pilotte qui évoluait dans le domaine de la culture et de l’art contemporain à ce moment-là. Je ne sais pas si Sex Garage a été la bougie d’allumage pour le combat de l’obtention des droits, mais je sais qu’on a fait plusieurs marches à cet effet-là qui ont aboutis à la fameuse consultation.»

    Il ne faut pas l’oublier non plus, la descente de Sex Garage survient dans le contexte déjà très tendu de la «Crise d’Oka» alors que policiers de la Sureté du Québec et les Warriors Mohawks de Kanesatake se font face au sujet de l’expansion du golf. Toute cette exposition a été montée par la main experte de l’infographiste Jean Logan qui est aussi membre du conseil d’administration à titre bénévole depuis près de 30 ans maintenant.

    INFOS | Rappel : cette exposition se déroulera du 15 juillet au 14 septembre, de 13h à 17, du mercredi au samedi (inclusivement), aux Archives gaies du Québec, 1000, rue Atateken, local #201-A, à Montréal. 514-287-9987 ou https://www.agq.qc.ca

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