Lundi, 24 mars 2025
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    Un condamné à vivre s’est échappé

    Comment évoquer le souvenir d’Yves Navarre? Ce dernier s’est enlevé la vie au début de l’an 1994 en laissant derrière lui une quantité impressionnante de romans, de pièces de théâtre et de poèmes, et pourtant on ne sait que relativement peu de choses sur l’homme.

    Évidemment, moult articles et publications diverses ont porté sur son œuvre, mais le lecteur a rarement le sentiment d’entrer réellement et intimement en contact avec l’auteur.

    En fait, la lecture de ses romans et textes poétiques laisse souvent entrevoir un être amer face à la vie et ses turpitudes. C’est donc avec une grande curiosité que j’ai débuté la lecture de cet ouvrage : un recueil de textes inédits présentés et retranscrits par Pierre Salducci.

    L’ensemble se compose d’une conférence donnée par l’écrivain à Bron, en France, d’une entrevue radiophonique réalisée à Lyon-Fourvière, d’un questionnaire auquel il a répondu pour la revue Nyx, d’une conférence donnée à l’UQAM ainsi que de deux poèmes: Ton corps derrière, toi devant et Le bureau des enfants perdus.

    Étonnamment, l’auteur se révèle sous un jour assez surprenant. Alors qu’il se présente bien souvent comme assez complaisant dans un statut d’écorché vif, on découvre soudainement un homme plein d’humour, si ce n’est parfois même caustique.

    Tous ceux qui apprécient son œuvre y découvriront par ailleurs une foule d’informations sur le processus d’écriture ayant mené à la création de certains de ses romans ou sur les événements qui les ont inspirés.

    C’est également avec beaucoup de verve qu’il relate plusieurs anecdotes forts amusantes. On peut notamment songer à ce voyage qu’il fit en train, entre Paris et Avignon, où un très beau jeune homme s’installa dans son compartiment.

    «C’était un jour d’été. Il lisait un roman. Il ne me regardait jamais. J’attendais qu’il me regarde. Il est allé aux toilettes […] et, pendant qu’il n’était pas là, trente pages plus tard, j’avais écrit […] en haut de la page: “Je vous aime”. Et alors, le voyage est devenu passionnant! Parce qu’il était revenu… et il continuait à lire… Et malheureusement, il y a eu l’épouvantable tunnel de Lyon-Perrache et, il n’était pas arrivé à la page de l’aveu…»

    Dans un autre ordre d’idées, il nous fait également part de ses réflexions sur la réalité gaie, sur sa place dans la littérature et dans la société.

    «Il n’y a pas d’homosexuels et d’hétérosexuels. Il y a le sentiment. Le sentiment est le même, quelques soient les êtres humains. Il y a simplement pour chacune ou chacun une capacité d’affronter le sentiment, de le vivre, de le transformer, de le recevoir, de l’échanger. Il y en a qui ont une sorte de bonheur inné et qui peuvent vivre, dans un mois, dans un an… Moi, ça durait plutôt deux heures.»

    La conférence réalisée à l’UQAM s’avère intéressante à mains égards puisqu’il y développe avec beaucoup plus d’emphase sa conception de la place qu’occupe l’homosexualité d’un auteur à l’intérieur de son œuvre. À ce sujet, il est fort amusant d’y lire l’altercation entre celui-ci et l’un des étudiants: celle-ci dévasta, semble-t-il, Navarre lorsque l’étudiant l’accusa de faire du chichi avec des riens.

    Dans une préface intitulée Parcours d’un écrivain engagé, Pierre Salducci présente la place qu’occupe Yves Navarre dans la littérature gaie et propose une réflexion d’une grande justesse sur un certain malaise social entourant toujours cette littérature, même en cette aube du XXIe siècle.

    Il faut signaler que le lancement de cet ouvrage aura lieu dimanche le 6 avril prochain à 20 h à la librairie L’Androgyne. En cette occasion, Pierre Salducci remettra d’ailleurs officiellement aux Archives gaies du Québec son fonds d’archives sur Yves Navarre.


    Un condamné à vivre s’est échappé / Yves Navarre et Pierre Salducci. Hull : Vents d’Ouest, 1997. 200p.

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