Originaire de Québec, Robert Laliberté travaille et vit à Montréal depuis 1975. S’il est surtout connu, par les gais et les lesbiennes, comme LE photographe québécois à avoir saisi la beauté et la jeunesse de plusieurs centaines d’hommes, par des photographies d’un érotisme stylisé et évocateur, il a également orienté sa caméra, à plusieurs reprises, en direction de vieillards, hommes et femmes, rendus au crépuscule de la vie. Alors qu’il célèbre cette année ses vingt-cinq ans de carrière comme photographe, l’Écomusée du fier monde présente une rétrospective de l’œuvre de cet important artiste montréalais, démontrant du même coup, si cela était encore nécessaire, qu’il existe bel et bien un style Laliberté, caractérisé par une vision réfléchie de la vie et qui magnifie les modèles photographiés, qu’ils soient jeunes ou vieux.
C’est au cours d’un long séjour de trois ans en Floride et en Californie, au début des années 70, que Robert Laliberté développe un intérêt pour la photographie, intérêt qui se transforme rapidement en passion lorsqu’il découvre le travail de la photographe américaine Diane Arbus, qui reste encore aujourd’hui la plus importante représentante du courant expressionniste, parce que ses photographies de marginaux ont inspiré et inspirent encore de nombreux artistes.
De retour au Québec, Robert s’inscrit dans une école de photographie, convaincu que cet art de la lumière deviendra sa forme d’expression. À l’obtention de son diplôme, en 1977, il amorce une carrière comme photographe, tout en travaillant comme serveur. Ces premières années seront pour lui l’occasion d’expérimenter plusieurs voies esthétiques, desquelles nous retiendront principalement ses scènes croquées sur le vif dans la rue, qu’il se plaît à appeler “ses prises de rues”.

Grâce aux contrats que le milieu théâtral lui octroie, il se bâtit assez rapidement une solide réputation de portraitiste et de photographe de plateau. Stimulé par une belle réussite sur le plan professionnel, il entreprend, en 1984, de ne vivre que de sa photographie et décide de quitter son emploi de serveur. Il promène sa caméra au Quat’Sous, au TNM, à la NCT ou encore lors des spectacles de certaines troupes comme Il Va Sans Dire. À la même période, il signe plusieurs portraits dans le magazine Québec Rock pour lequel il photographie le premier ministre de l’époque, René Lévesque, un épisode marquant dans sa vie, tient-il à préciser.
Parallèlement à ces activités plus lucratives, Robert se met à faire des photos qui sortent de la simple observation, en utilisant comme sujet principal de jeunes et beaux corps d’hommes. Par des mises en scènes plus ou moins élaborées, les corps photographiés deviennent sous son éclairage des objets malléables qui font ressortir la pureté des formes.
Une fois ces premières œuvres produites, il met, à partir de juin 1987, son talent au service du magazine Fugues, pour lequel il signe 120 couvertures (d’ailleurs trois des photos utilisées pour les couvertures se retrouvent dans l’exposition de l’Écomusée du Fier Monde). En parallèle, son travail apparaît également dans d’autres publications (RG, Zip, Sortie, Mandate, etc.) et Robert installe ses œuvres, une douzaine de fois, sur les murs de différents centres d’exposition, d’ici comme d’ailleurs.
Événement rare dans l’histoire de l’édition au Québec, la longue collaboration entre Fugues et Robert Laliberté aura eu l’avantage notable de créer une image forte et cohérente du magazine, tout en donnant au photographe une notoriété très grande au sein de la communauté gaie québecoise. Inutile de dire que des liens sincères d’amitié se sont formés entre lui et nous, établis sur la confiance mutuelle.
L’immense respect qu’il a de son art et de ses modèles n’est sans doute pas étranger à cela. La simplicité et l’humilité qui l’habitent font que l’homme a tendance à s’effacer derrière son travail et à rester discret sur sa création. Chez lui, pas de grandes théories, mais des mots simples, où il est question des émotions, des rencontres, de la fragilité des rapports. La photographie n’est pas, pour lui, un travail, mais une manière de s’exprimer.
La précision technique lui importe moins que l’esthétisme et l’émotion que l’on peut retrouver dans l’image réalisée. “Je ne suis pas devenu un maniaque de la technique, elle n’est qu’un moyen qui me permet de créer. C’est loin d’être une fin en soi. Pour moi, c’est l’émotion qui prime. Le plus important, c’est la prise des photos, puis le travail en chambre noire. Une fois la photo encadrée et accrochée au mur, elle ne m’appartient plus. Généralement, à cette étape, je pense au projet suivant.”
Des projets, Robert Laliberté n’en a jamais manqué, que ce soit comme photographe plus commercial, ou pour ses créations les plus personnelles. Il ne faut donc pas se surprendre que, lorsqu’il devient bénévole pour les Petits frères des pauvres et qu’on lui demande de faire des portraits des plus exclus de notre société, il accepte volontiers. À leur contact, il découvre une autre facette de l’humain, la vieillesse et la déchéance physique. Avec générosité et sensibilité, Robert s’attache à photographier des centaines de personnes âgées dans leur quotidien, contribuant à mettre en relief les multiples facettes d’une réalité inéluctable.

Plusieurs de ces portraits ont fait l’objet d’une exposition, Quand les rides du cœur nous parlent du corps, qui fut présentée dans plusieurs Maisons de la culture de la métropole, et une cinquantaine de ses photographies de vieux ont inspiré des poèmes de Hubert de Ravinel, Au fil de l’âge, consacrés aux personnes âgées.
Désirant montrer le lien qui a toujours existé pour lui entre les deux thématiques — les corps jeunes et beaux et les portraits de vieillards — qui ont traversé sa carrière, il nous propose tout l’été, à l’Écomusée du Fier Monde, une expo rétrospective qui revisite son œuvre et propose des pistes de lecture.
La beauté corporelle et la jeunesse vigoureuse ne sont pas éternelles, l’homme doit un jour ou l’autre composer avec le vieillissement et la déchéance physique. L’accrochage même des photos sélectionnées pour l’exposition le suggère admirablement. Les clichés de vieux, d’une grande simplicité, côtoient ou font face à des études sur les corps déifiés de jeunes dont la beauté à été fixée à jamais sur la pellicule. Si les images offrent à l’œil des contradictions saisissantes, il n’en demeure pas moins que l’ensemble est fort cohérent et démontre que ces démarches menés en parallèle sont celles d’un seul et même artiste. Un artiste qui vient partager avec nous sa vision de l’existence et — comme le dit si justement un texte de Jean-François Larose à l’entrée de l’expo — “nous invite à voir le passage du temps sur le corps, à sentir ce que toute perfection a d’éphémère”.
INFOS | Laliberté au-delà des apparences, jusqu’au 29 septembre 2002, du mercredi au dimanche, à l’Écomusée du fier monde, 2050, rue Amherst, Montréal, H2L 3L8. Entrée : 5 $. Visite commentée avec l’artiste, le 1er août à 17h30.