J’avais parlé dans Fugues du premier roman de la Britannique Naomi Alderman, La désobéissance, qui se déroulait dans le milieu juif londonien et mettait en scène une jeune femme lesbienne, insolente, en révolte contre sa famille qu’elle avait quittée dix ans auparavant. Le roman dressait une sorte de bilan d’une enfance de l’enfermement, une prison où prolifèrent les tabous et les interdits de toutes sortes, encore plus celui de l’homosexualité.
Dans son second roman, Mauvais genre, la romancière déplie cette fois un univers où l’insolence porte les atours de l’argent et d’une jeunesse qui ne veut pas mourir. En fait, ses personnages entrent dans la vie à reculons, se conformant malgré eux aux désidératas sociaux. Personne ne veut vraiment regarder au-delà du moment dont ils profitent ardemment, comme c’est le cas de James et de Mark, étudiants à Oxford.
Ceux-ci font partie de l’élite britannique et eux aussi se créent un monde dont ils resteront prisonniers: l’élite est vraiment le lieu où se mêlent envieux et sadiques, sceptiques et déçus. C’est la principale qualité de Naomi Alderman de savoir épingler des travers sociaux avec une causticité qui ne va pas sans nostalgie pour un monde de la jeunesse et de la beauté qui s’en va, se perd au fil des ans.
Mauvais genre est distribué sur trois parties, qui sont autant de tournants dans la vie de James, qui espère devenir enseignant, et de Mark, un millionnaire prêt à accueillir et à faire vivre ses amis, peut-être pour s’accrocher encore à l’innocence de l’enfance. Mark est homosexuel et s’embarquera dans des amours contrariées. James se liera à Jess, une jeune fille qui comprend sa détresse, et Mark, par provocation, se mariera et aura une fille qu’il perdra dans un accident d’auto.
Mark, plus que James, est incapable de faire face à ses devoirs et ses responsabilités. Il ne sait créer autour de lui qu’un monde de contradictions : amour, haine, révolte, conformisme. Comme Ronit et Esti de La désobéissance, James et Mark et leurs amis sont décrits dans ce roman d’apprentissage plein d’éclats de lucidité et de tendresse comme des handicapés de la société.

Si Joseph Macé-Scaron est fort connu dans la capitale française (il dirige le Magazine littéraire, l’hebdo Marianne et travaille à France Culture) et son Ticket d’entrée parle du Tout-Paris, surtout des gens de la presse et de la politique, qu’il connaît bien puisqu’il a bossé au Figaro et a été nommé responsable du Figaro Magazine dont il a été démis quelques mois après sa nomination.
Journalistes et politiciens passent à la moulinette de ses remarques acerbes et de ses situations condamnables. Son entrée dans le monde des offices et des officines est aussi maladroite que provocatrice. Et comme il a une langue de vipère, facile de deviner qu’à Paris on se souviendra de lui après avoir lu ce livre écrit dans un style aussi simple que désinvolte et qui mêle satire et drôlerie. Et comme il est intelligent jusqu’à la virtuosité, le romancier n’a rien à perdre à cogner sur les autres constituant pour lui un monde adverse.
Comme Benjamin Strada, le personnage du roman, Joseph Macé-Scaron est homosexuel et son roman cryptoautobiographique nous fait voyager dans la communauté gaie parisienne et ses avatars avec une décontraction et un humour tout en pourfendant conduites et codes sexuels stéréotypés.

D’Alberto Velasco, on ne connaîtra que Le Quantique des quantiques, livre posthume publié quinze ans après sa mort des suites d’un sarcome de Kaposi. Malade, Velasco refusera tout traitement médical et se lancera à corps perdu dans la photographie, l’installation, la peinture, la sculpture et l’écriture.
C’est un ancien condisciple d’études et ami qui s’occupera d’éditer ces vingt nouvelles, chacune étant surmontée de deux titres dont l’un est un terme corporel. Elles composent un livre plein d’angoisse, malgré leur fond spirituel, où la mort est constamment présente et assaille des gens, hommes ou femmes, jeunes.
C’est poétique, à la limite du surréalisme, surtout dans la description des fantasmes sexuels. On y trouve également humour et nostalgique dans cette observation hallucinée d’une lutte permanente, celle du corps qui ne veut pas perdre la partie contre la maladie. Une littérature sur l’anéantissement, Le Quantique des quantiques, avec sa narration non traditionnelle, jette un regard sur un monde qui va à sa perte.
Mauvais genre / Naomi Alderman. Paris: Points, 2012. 416p.
Ticket d’entrée / Joseph Macé-Scaron. Paris : Grasset, 2011. 336p.
Le quantique des quantiques: nouvelles / Alberto Velasco. Paris : Hermann, 2010. 215p.