À l’occasion de la présentation de La Belle Saison, le 2 décembre prochain, dans le cadre du Festival Image+Nation, Fugues vous propose une rencontre avec la réalisatrice Catherine Corsini.
Réalisatrice, scénariste et actrice française, Catherine Corsini fait ses débuts à la réalisation en 1987 avec Poker. Suivront de nombreux films, notamment Les Amoureux et La Répétition, qui aborderont l’homosexualité. Son plus récent opus, La Belle Saison, récipiendaire du Variety Piazza Grande Award au Locarno International Film Festival plonge le spectateur dans la France des années 70, alors qu’une jeune agricultrice s’éprend d’une Parisienne militante pour les droits des femmes.
La Belle Saison se situe en France dans les années 70, en pleines révolutions sociales et sexuelles et très rapidement, on y retrouve un propos féministe. Pourquoi avez-vous choisi de replonger le spectateur dans cette « belle époque » ?
Ce que vous dites est juste, c’est une belle époque, dans laquelle on a tellement envie de retourner, car aujourd’hui on vit dans une époque difficile, noire et morose. Croire en une utopie, au bonheur, au progrès et à des valeurs de solidarité, d’amour et de liberté, ça fait beaucoup de bien et c’est ça que je voulais absolument transmettre.
En effet, on le ressent, que ce soit par le propos, les décors et entendre la musique de Janis Joplin fait le plus grand bien…
Oui et on a besoin de se ressourcer aujourd’hui, à l’aune de ces valeurs qui, pour moi, ont bercé mon enfance, mon adolescence. Quand je vois aujourd’hui les jeunes, le monde, la façon dont les nouvelles vont très vite et tout le temps dans des choses qui nous abattent; il y a une espèce de main mise sur l’information, toujours terrible. On voit bien aujourd’hui la parole qu’on peut donner à tous les extrêmes, on voit bien ce que ça donne quand on voit un Trump aux États-Unis… C’est affligeant et complètement délirant.
Parlant politique, dans La Belle Saison les féministes réclament des salaires égaux aux hommes et que leur corps ne soit plus un objet publicitaire. Ironique puisqu’en 2016, l’égalité salariale n’est pas toujours là et le corps de la femme est plus que jamais considéré comme un objet. Où en sommes-nous avec le féminisme en 2016 ?
Aujourd’hui (8 novembre) justement, il y a eu un article dans les journaux disant que les femmes sont payées 15 à 20% de moins que les hommes donc c’est une revendication qui reste constante et c’est inacceptable aujourd’hui de se rendre compte que les femmes n’ont pas le même salaire que les hommes. Pour moi, c’est une revendication majeure. On voit aussi dans ces périodes noires de régression que c’est toujours le corps des femmes qui est exposé et non celui de l’homme. La façon dont les femmes sont montrées dans les publicités, il y a toujours quelque chose de complètement réducteur, car on fait effectivement participer plus les femmes au culte de l’image, à n’en faire que des objets. Il y a comme une manière de les prostituer à l’image.
On dénonce cela dans le film et nous sommes dans les années 70. Plusieurs décennies plus tard, on semble même avoir régressé…
Moi j’ai des copains qui vivent au Québec et qui me disent que l’égalité des femmes et la façon dont les femmes se comportent est beaucoup plus en avance que chez-nous. C’est-à-dire qu’en France il y a toujours ce relent d’une culture machiste. Et on le voit bien en politique et à plein d’endroits, comme quoi ça ne bouge pas!
Dans La Belle Saison, Delphine est agricultrice et vit dans une petite ville de France. Malheureusement, l’homophobie en milieu rural semble encore aujourd’hui davantage présente que dans les grands centres urbains.
Une de mes meilleures amies a vécu avec des parents agriculteurs et découvert son homosexualité assez jeune. Elle était aussi assez militante et je me suis beaucoup inspirée de son vécu dans les années 70; de la difficulté de l’annoncer à ses parents, le fait de fuir à Paris pour justement vivre sa vie homosexuelle, car elle n’osait pas affronter le regard de ses parents, voisins et amis. Donc oui, c’est encore quelque chose de très présent à la campagne et beaucoup de gens m’ont raconté leur histoire et difficultés. Pour mon amie, c’était très difficile, car la campagne c’est quelque chose qu’elle aime, alors il y avait cette impression d’être coupée en deux. Ça crée évidemment un formidable terreau pour faire un film, car du coup il y a vraiment une dramaturgie pour ce personnage.
C’est votre Brokeback Mountain au féminin?
Il est vrai que ça rejoint – à un autre niveau – les cowboys dans Brokeback Mountain et la façon dont ils sont coupés en deux par rapport à ce que leur impose la normalité d’une vie, par rapport à leurs désirs, une époque, etc. Je trouvais que c’était beau d’imaginer de faire un film aussi mondialement connu que Brokeback Mountain et de se dire qu’un film de femmes, avec des personnages féminins pouvaient avoir cet aura là. Il en reste néanmoins que La Belle Saison a eu dans le monde entier une très très bonne presse, mais que l’accueil public a toujours été un tout petit peu en dessous. On a encore l’impression que, pour les femmes, parler d’homosexualité, c’est quelque chose de tabou, qui doit être caché. Finalement, c’est plus difficile pour les femmes, et en plus un film fait par une femme, que le film soit visible par beaucoup de monde.
En 2013 vous êtes en cours d’écriture de La Belle Saison, lorsque vous voyez La vie d’Adèle. Vous avez confié à Télérama: « Pourquoi faudrait-il qu’il y ait un seul film définitif sur l’homosexualité féminine, et que celui-ci soit réalisé par un homme? Il faut au contraire que de plus en plus de cinéastes s’emparent du sujet, hommes et femmes. » Est-ce plus difficile pour une cinéaste lesbienne de faire sa place comme réalisatrice dans un milieu davantage masculin?
Aujourd’hui, ça a bougé avec l’émergence de jeunes femmes cinéaste, comme Céline Sciamma. Il y a quelque chose de plus accepté, de plus à la mode en lien avec l’homosexualité, mais c’est vrai qu’à mon époque c’était beaucoup plus difficile. Déjà comme femme on est assez exclues, alors en plus comme homosexuelle…Alors que pour les hommes ça n’existe pas; un film fait par un homme qui n’est pas homosexuel, mais qui parle des homosexuels, c’est moins excluant. Mais dès que c’est une femme – en plus homosexuelle – qui fait un film alors là c’est très segmentant, on vous montre toute suite du doigt. C’est bien dommage, car il y a de grands cinéastes homosexuels, de Fassbinder à Gus Van Sant, donc laissons aux femmes la même possibilité de pouvoir s’exprimer, de pouvoir faire des grands films!
Vous êtes une des pionnières en ce qui a trait à la représentation de l’homosexualité dans le cinéma français (avec vos films Les Amoureux, La Répétition). Que pensez-vous de la représentation du lesbianisme dans le cinéma contemporain?
Je trouve que ça a tendance à bouger, devenir presqu’une norme. Heureusement, il y a de l’air, même si parfois c’est presque caricatural, on a l’impression qu’il faut mettre une lesbienne dans presque tous les films… Disons que dans tous les cas, ça fait du bien, c’est jamais assez et que même si c’est caricatural, ça mérite d’exister.
Heureusement, ça existe… Malheureusement, c’est encore parfois mal perçu, comme le maire de la commune de Camaret-sur-Aigues, qui avait exercé une censure en retirant de sa commune les affiches de La Belle Saison, représentant les actrices Izia Higelin et Cécile de France enlacées et dénudées (des épaules), alors qu’il n’y avait rien de digne de censure…
C’est un maire du Front National… C’est une façon d’attirer sur lui la publicité, montrer son vrai visage, celui de la censure, de la haine de l’homosexualité, ce qui est dégoutant et terrible. Ce sont des gens qu’il faut absolument combattre de toutes nos forces, ne rien laisser passer de leur façon de voir les choses…Heureusement, le film est passé dans sa commune et a fait salle comble et c’est tant mieux, car on est mort si ces gens-là prennent la place.
La Belle Saison est dédié à feu Fabienne Vonier, distributrice qui fut membre du « Club des 13 », formé de 13 personnalités du cinéma français, qui dénonçait les difficultés croissantes de financement et de distribution en France des films dit « du milieu ». Il définit les films du milieu comme étant à la fois grand public et à prétention artistique. Est-ce que vous voyez votre cinématographie comme faisant partie du milieu?
Oui je pense que c’est exactement à peu près où se situent mes films. Fabienne Vonier a été la productrice de mes films Les Ambitieux, Partir, Trois Mondes et la distributrice de La Répétition. C’est une femme qui m’a accompagnée et aidée, quelqu’un de merveilleux. J’aurais aimé continuer avec elle – et avec mon amie (Elizabeth Perez) qui est actuellement ma productrice – car Fabienne a beaucoup compté pour moi et lui rendre hommage était la moindre des choses.
Des projets à venir?
On devrait commencer à tourner, au printemps, mon prochain film qui est une adaptation du roman de Christine Angot, Un Amour Impossible! C’est magnifique et bouleversant!
La Belle Saison sera présenté au Festival Image+Nation, le 2 décembre à 19h, au Musée des Beaux Arts de Montréal. PGM22