Dimanche, 23 mars 2025
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    DURANT LA GUERRE : Des jours sans fin de Sebastian Barry / Agonie d’une passion de Jarl-Erich Horlange

    Voici deux romans sur fond de guerre. Le premier est de Sebastian Barry (qui est Irlandais) et se déroule aux États-Unis, notamment durant la guerre de Sécession. L’autre est un roman québécois signé d’un pseudonyme, Karl-Erick Horlange, qui a lieu durant la Deuxième Guerre mondiale. Deux conceptions de la guerre s’y font jour, mais surtout deux manières de voir le monde. Deux façons de réécrire l’Histoire avec des personnages homosexuels, ce qui est rare. 

    Des jours sans fin est un très beau livre, délicat et puissant, qui raconte le destin d’un jeune Irlandais Thomas McNulty, personnage faisant partie de la famille McNulty à laquelle s’est attaché le romancier dans ses romans précédents, famille qui s’est dispersée dans le monde, exilée par obligation, s’établissant sur des terres inhospitalières et aliénantes. Les romans de Barry, comme Un long long chemin (Joelle Losfeld Éditions,2006) et Le testament caché (collection Folio, 2009), sont des méditations profondes sur le temps et la nature et sont tout simplement passionnants. 

    Thomas McNulty pour échapper à la famine de son pays émigre aux États-Unis en passant par le Québec. Il rencontre en 1851 John Cole qui gagne sa vie comme travesti dans des spectacles et qui, même, se prostitue avec des hommes trop longtemps éloignés de leur femme. On le surnomme « la fée des prairies ». Thomas et John sont deux jeunes hommes et on les verra vivre pendant plus de vingt ans. Ils traverseront non seulement le pays américain (de la Californie au Tennessee), mais également son histoire avec les guerres contre les Indiens, la présidence d’Abraham Lincoln et particulièrement la tragédie qu’est la guerre de Sécession.

    Le couple homosexuel n’a pas la vie facile, combattant le froid, la faim, la peur (dans les batailles), les maladies (comme le choléra). Les deux jeunes hommes, qui s’habillent très souvent en femme, sont inséparables. Ils vont même adopter une enfant sioux, Winona, et prendront un vieil homme, McSweny, comme grand-père. Thomas sera un jour accusé d’un meurtre, subira un procès, ira en prison et sera condamné aux travaux forcés. Il espère que John l’attendra. 

    Sebastian Barry se sert d’un monde ancien pour décrire le monde actuel. Son livre fusionne tout ce qui est maintenant d’actualité : un couple d’homosexuels, la question des genres (les deux héros sont à la fois des hommes et des femmes), l’adoption d’un enfant par deux hommes, etc. Il redéfinit ainsi par son récit la notion de famille. C’est aussi une fiction sur l’âge (à la fin du roman, Thomas, le narrateur, a cinquante ans), sur l’amour plus fort que la guerre dans l’affection indéfectible et la passion discrète.

    Tout cela dans une Amérique violente, au milieu du sang et de la mort. Une boucherie. Mais l’Amérique est aussi autre chose : une terre à la nature magnifique. Des jours sans fin tient du western et du road-trip, mais également du roman d’amour et du roman d’apprentissage. 

    Des jours sans fin / Sebastian Barry

    Le sous-titre du roman de Karl-Erick Horlange, Carnets sous l’Occupation (1942-1945) dit tout. Voici sous forme de journal intime trois ans de la vie de Franz von Arx, né Allemand et installé à Paris. C’est un homme plein de contradictions et d’ambiguïtés vivant dans une capitale sous la botte allemande. Il tombe amoureux de Pierre, aussi ambivalent que lui.

    Les deux hommes fricotent avec ceux qu’on a appelés les collaborateurs; l’un écrit pour Je suis partout, l’autre à La Gerbe, deux journaux violemment antisémites set anticommunistes; ils fréquentent les cocktails, les expositions (par exemple, celle sur le sculpteur Arno Breker et ses statues d’hommes parfaits). Franz, qui semble plus lucide, fréquente des écrivains comme André Gide; il déteste Drieu la Rochelle, ci-devant directeur de La Nouvelle Revue français, comme il hait les pamphlets de Céline.

    On pourrait dire de lui que c’est un être faible, s’arrangeant comme il peut avec la situation sous les Nazis.  Mais en fait, ce qui semble le plus intéresser Horlange – qui, en fait, récrit les carnets de Franz qu’il a trouvés – mais tout cela est de l’invention littéraire -, c’est l’histoire d’amour entre Franz et Pierre.

    Celui-ci est amoureux de Catherine, mais fait l’amour avec Franz, qui voudrait le posséder encore plus. Franz n’en finit plus de se pencher sur cette relation qui lui échappe, la rationalisant en noircissant de longs feuillets, la décortiquant à travers plaintes et frustrations. Il étale ses états d’âme et ses réflexions sur l’amour – qui s’avère impossible à vivre pleinement et exclusivement.

    Au fur et à mesure des semaines et des mois, les absences de plus en plus prolongées de Pierre le taraudent. Sa passion semble s’éroder. Tout se bouscule après l’année terrible de 1942. Les notes se font de plus en courtes et espacées. Franz oubliera Pierre, rencontrera en 1944 Gilles, saura qu’il est de nouveau amoureux. Mais, tout de même, il écrit, en conclusion, pessimiste : «Toute vie modeste est une vie ratée.»

    Karl-Erick Horlange a adopté pour ces carnets le style de cette époque: une langue classique, à la fois archaïque, concise et fine, apte à nous faire participer à cette comédie humaine, à son importance comme à sa médiocrité. Réussi.  

    Des jours sans fin / Sebastian Barry, traduit de l’anglais (Irlande) par Leatitia Devaux. Paris: Joelle Losfeld Éditions, 2016. 259p. 

    Agonie d’une passion : Carnets sous l’Occupation (1942-1945) / Jarl-Erich Horlange. Montréal: À compte d’auteur, 2018. 172p.

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