Quelques feuilles rouges à un arbre, le chant du départ des outardes et me voilà fin prêt pour une dépression automnale. D’autant qu’en ces temps de Covid-19, et le possible maintien d’un potentat peroxydé qui joue comme dans une mauvaise série B à vouloir devenir le maître du monde, surement désigné par Dieu, on ne souhaite qu’une seule chose, un véritable été des indiens pour ne pas sombrer dans une mélancolie pré hivernale.
Mais gardons espoir. Le mouvement Black Live Matter aura eu au moins apporter quelque espoir, petit, certes, mais à ne pas négliger. Des non-noir.e.s embarquent de plus en plus se rendant compte que leurs «petits» privilèges n’ont plus aucun sens. Des non-noir.e.s qui sont des allié.e.s. Je me méfie du terme allié utilisé ad nauséaum et qui masque encore pour moi un paterna-lisme néo-colonial, du style, Donnez-nous la main et on va vous apprendre à traverser la rue. Non, je pense qu’un changement s’opère, lentement bien évidemment, un changement de paradigme. Nous ne sommes plus là pour soutenir, aider, conseiller, mais pour être tout simplement à côté. Nous ne sommes plus là pour prendre la parole à la place des minorités, mais parce que cette parole nous touche, qu’elle nous ouvre des perspectives et des occasions de se repenser autrement.
Il devrait en être ainsi pour les femmes et les minorités sexuelles, voire pour toutes les minorités. Non plus demander à ce que l’on nous soutienne, mais à ce que l’on s’engage réellement indépendamment de notre genre, sexe, orientation sexuelle, couleur de peau et culture. Et de laisser ainsi émerger une parole que l’on refusait d’entendre ou, pire, que l’on raillait. Isabelle Brais, femme de l’actuel premier ministre du Québec, exhortait dans un tweet (le 14-07-20) les hommes à s’insurger contre [leurs] frères déviants. Indépendamment du lexique obsolète que cette femme utilisait pour parler des hommes vertueux, qu’elle appelle des chevaliers, des princes, des gentlemans, Isabelle Brais n’avait pas tort. Car tout autour du mouvement Me Too, beaucoup d’homme ont préféré faire le dos rond, s’enfermer dans un silence (complice de genre ?) plutôt que de s’engager à ne plus tolérer certaines pratiques abusives de leurs pairs. Comme le dit un certain proverbe : le silence des pantoufles est parfois plus dangereux que le bruit des bottes.
En fait, c’est à chacun de nous, à partir de la place que nous occupons ou dans laquelle on nous a enfermé.e.s de sortir du silence et d’affirmer ce que nous souhaitons comme société, plus juste et surtout plus équitable. Car si les gains des dernières années sont tangibles, ils n’en demeurent pas moins inachevés et surtout ils restent extrêmement fragiles face à la montée des extrêmistes complotistes et souvent religieux qui mettent dans un même panier qu’ils n’hésiteraient pas à faire brûler, l’écologie, le féminisme, le LGBTisme (terminologie qu’ils ont inventé) et le mouvement anti-raciste. Nos acquis si durement conquis doivent être protégés. Bien sûr, au Canada, au Québec, c’est différent. Et pourtant notre plus proche voisin devrait nous réveiller sur les dangers d’un ressac. Les minorités sont la majorité en fait. On fait tous partie de minorités et si l’on parle des femmes, c’est une très importante minorité. Les plus opprimées sont – et ce n’est pas un hasard – au plus bas de l’échelle sociale. Ce sont elles qui vivent le plus d’ostracisme, qui doivent le plus lutter pour exister un minimum. Contrairement aux discours qui voudraient qu’à travers la lutte contre les abuseurs, la redéfinition du rôle de l’homme, l’intégration des populations migrantes, c’est en fait la société occidentale qui serait en péril. Ajoutons qu’en première ligne, ils s’en prennent aux LGBTQ qui par leur vision nouvelle de la famille s’attaquerait directement aux fondements même de la société. Et pourtant, une
nouvelle lecture de l’histoire, un nouveau rapport à l’autre qui ne soit plus sur le modèle dominant-dominé selon des critères totalement dénués de fondements scientifiques devraient pourtant faire réfléchir les hommes blancs cisgenres sur non pas une disparition programmée, organisée, pour un chaos futur mais sur une chance pour eux de sortir du moule dans lequel ils ont été élevés, auxquels ils tentent de correspondre tant bien que mal et qui est totalement aliénant. Prisonniers de leur propre servitude, ils devraient peut-être à s’en affranchir.
Car après tout, à l’échelle du temps et de l’espace, nous sommes tous dans le même bateau, certains aux commandes, et le plus grand nombre dans les soutes, mais compte tenu de ce que nous vivons aujourd’hui, notre bateau ressemble de plus en plus à une frêle esquisse. Et pourtant, il n’en tiendrait qu’à nous…