Ce sont dans ses bureaux à Montréal que le ministre de la Justice me reçoit en personne. Bien entendu, crise de la Covid-19 oblige, toutes les mesures de distanciation physique, en sus des masques, sont respectées. Une heure d’entrevue à parler des thérapies de conversion mais aussi d’autres sujets qui concernent les organismes communautaires.
Entre autres les subventions, le processus d’attribution, les défis que ces organismes rencontraient en raison de la pandémie. La plupart des questions que nous avons posées à tous les ministres de la Justice, responsables du Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie, qui se sont succédé.es.
Malheureusement, la plupart du temps, ils et elles débutaient leur mandat à ce poste et n’étaient pas toujours au fait de toutes les tenants et aboutissants des défis de nos communautés. Soulignons à juste titre leur ouverture d’esprit et leur désir d’apporter leur pierre au long chemin de la route pour l’acceptation, le respect et l’égalité. La preuve, Simon Jolin-Barrette tenait absolument que le premier projet de loi qu’il déposerait nous concerne.
Réglons tout de suite une question. Pour celles et ceux qui croyaient que le jeune ministre était gai tant il était discret sur sa vie privée, la réponse est non.
Je suis hétérosexuel, j’ai une compagne et un enfant. Si je suis discret c’est que je veux les tenir éloigner de la vie publique que je mène, je ne pense pas que ce soit leur place. De plus, les moments que je passe avec eux sont les seuls où je peux véritablement décrocher de mes fonctions et de mes responsabilités. Ce sont les raisons qui me poussent vers cette discrétion.
Le Fédéral a aussi décidé d’agir contre les thérapies de conversion, qu’est-ce votre projet apporte de différent?
La différence avec le fédéral, c’est que j’agis dans ma sphère de compétences au Québec, c’est-à-dire le droit civil. La sphère de compétences au fédéral, c’est le droit criminel. Le gouvernement fédéral veut faire des thérapies de conversion une infraction au droit criminel pour les personnes âgées de moins de 18 ans. Nous, nous ne souhaitons pas qu’il y ait de thérapies de conversion au Québec. Nous allons faire en sorte qu’elles soient interdites pour toutes les personnes, qu’elles soient mineures ou majeures.
Une personne qui serait victime de thérapies de conversion au Québec aurait des recours au civil et pour des dommages, donc on porte une présomption pour que la personne obtienne réparation en dommages moraux ou dommages corporels, et on vient aussi créer une infraction pénale qui s’élève à 50 000$ pour une personne physique et jusqu’à 100 000$ pour une personne morale. Et comme on modifie les lois des professions, si la personne qui offre de telles thérapies est membre d’un ordre professionnel, elle est passible d’une possible radiation par son ordre professionnel. Les deux projets de loi sont complémentaires, celui du fédéral en matière criminelle, et celui du Québec en matière civile.
Est-ce que cela engage un ordre professionnel à surveiller ses membres pour que celles-ci ou ceux-ci respectent la loi?
Le rôle d’un ordre professionnel est avant tout la protection du public. Actuellement, on a une bonne collaboration avec les différents ordres, que ce soit celui des thérapeutes, celui des psychologues ou celui des sexologues. Ils avaient déjà proscrit chez leurs membres les thérapies de conversion. Nous on vient le nommer pour n’importe quel autre ordre. Par exemple, un avocat qui inciterait ou accompagnerait une personne pour une thérapie de conversion pourrait être aussi radié de l’ordre des avocats. Peu importe l’ordre professionnel, ces thérapies ne pourront être plus pratiquées. C’est un message fort et clair que nous envoyons avec la modification des codes de profession.
C’est un projet de loi qui doit faire l’unanimité même parmi les partis de l’opposition?
Je le pense. En septembre dernier, Jennifer Maccarone [députée libérale représentant Wesmount-Saint-Louis – NDLR] avait déposé un projet de loi dans ce sens, et j’ai déjà dit
aux libéraux que j’étais prêt à travailler avec eux s’il y avait des amendements à apporter. J’ai été nommé en juin dernier comme ministre de la Justice, et il était important pour moi que le tout premier projet de loi que je déposerais soit en lien avec l’interdiction des thérapies de conversion.
C’est aussi un message clair que je veux envoyer pour montrer que le Québec est une société ouverte, inclusive, et que certains comportements ne sont pas tolérables. C’était pour moi une priorité quand je suis arrivé en poste puisque cela faisait suite à la motion déposée l’an passé au mois de juin 2019 et adopté à l’unanimité par l’Assemblée. Et si le projet de loi que je propose était adopté, cela ferait du Québec la juridiction la plus avancée, plus avancée que l’Ontario, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard.
Est-ce que vous pensez qu’il peut y avoir des contestations de cette loi par des groupes religieux ou conservateurs en matière de droits de la personne devant les tribunaux au nom de leur liberté de conscience?
C’est possible. Cela fait partie des risques de tout projet de loi que l’on dépose, mais pour le gouvernement du Québec, il est clair que si le projet de loi était contesté, on le défendrait jusqu’au bout. Il n’y a rien qui justifie dans une société comme la nôtre de permettre des thérapies qui peuvent avoir des conséquences graves sur la santé psychologique et même physique des gens qui seraient soumis à ces thérapies. Et devant des contestations possibles, nous avons de très bons arguments à faire valoir.
De plus, c’est une loi qui n’entraîne aucune dépense pour le gouvernement?
Et potentiellement des revenus pour l’État! (Rires)
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