Né à Montréal en 1943, John Banks dit avoir eu sa première relation sexuelle à 9 ans avec un adolescent de 16 ans. Il se souvient d’avoir vécu cette expérience sans ressentir ni honte ni culpabilité, acceptant l’événement avec sérénité. Ce qui n’est pas le cas de ses parents ! Troublés et inquiets, ils l’envoient consulter un psychiatre avec pour objectif de le « guérir». Mais, le guérir de quoi, se demande le gamin ? Quelques mois plus tard, il abandonne la thérapie, considérant la démarche inutile puisqu’il se sent parfaitement bien dans sa peau tel qu’il est.
Une telle réaction mérite d’être soulignée car elle s’avère assurément très rare en ces temps où la sexualité, source de péché, est vertement réprimée et condamnée hors des liens sacrés du mariage et de la reproduction. Alors, imaginez l’homosexualité !…
Faut-il parler d’un John Banks fort précoce pour son âge ? Lui qui commence à fréquenter les bars gais dès 1958, alors qu’il n’a que 15 ans. C’est cette précocité, sans doute, qui l’amènera très vite à comprendre la situation dans laquelle il se trouve ; à percevoir avec lucidité sa différence, sa marginalité. Et le climat de répression alors omniprésent, qu’il ne cessera de combattre tout au long de sa vie.
Dès 1964, il rejoint à Vancouver le groupe ASK (Association for Social Knowledge) et participe à leur combat, notamment celui mené auprès des policiers afin qu’ils cessent leur harcèlement. « C’était si libérateur, précise-t-il, de faire partie d’une bande marchant dans les rues et posant des actions. » Peu après, lors d’un séjour à San Francisco, il découvre une communauté où la libération est déjà bien amorcée. De retour à Montréal, force lui est de constater que la ville aussi a changé, notamment grâce à Expo 67. « À la fin des années soixante, dit-il, on a commencé ici à se prendre en main. Michel Tremblay faisait jouer ses pièces et publiait des livres. On organisait des manifs, entre autres au carré Dominion. Les policiers débarquaient en trombe et nous prenaient en photos. Le but était surtout de nous intimider. C’est avec l’arrivée du maire Jean Drapeau que la police est devenue plus sévère et plus répressive. J’ai connu l’époque des descentes sauvages et brutales, notamment celle du bar le Mystique où les agents étaient armés de… mitraillettes ! Je m’en rappelle, c’était un vendredi soir, alors le lendemain tout le monde est descendu dans la rue afin de manifester. Deux mille personnes ont bloqué la rue Sainte-Catherine entre Peel et Drummond 1. »
En 1975, c’est sur une autre rue, la rue Duluth, que l’on revoit John Banks. Michael Hendricks — le premier homme au Québec à épouser un autre homme — y a ouvert un restaurant, Au Jardin. Comme les affaires ne marchent pas très bien, il lui propose de l’acheter pour 5 000 $. John Banks saute sur l’occasion, emprunte la somme requise, adapte le menu aux nouveaux goûts du jour et se lance dans l’aventure, laquelle connaît un succès immédiat. Une autre aventure : celle de travailler quelques années auprès de la célèbre Marlene Dietrich à l’époque où, délaissant le cinéma, elle parcourt le monde en produisant des spectacles dans des cabarets. Lors des célébrations du 15e anniversaire des Archives gaies du Québec, John Banks présentera une conférence, intitulée Dietrich/Fétiche, et une vidéo sur la star. Il sera également invité à l’Université Concordia par la Cinéclub Film Society pour parler de sa relation avec l’actrice et présenter son film culte L’Ange bleu.
Mais le John Banks « militant » n’est jamais loin. En 1979, lisant dans la presse que des groupes aux États-Unis soulignent le 10e anniversaire de Stonewall, il a l’idée d’organiser une marche. « Non pas pour réagir contre quelque chose, précise-t-il, mais pour simplement fêter, célébrer, vivre un moment agréable. J’ai contacté des amis et réussi à convaincre 52 d’entre eux, dont plusieurs femmes sensibles à notre cause. Comme nous n’avions pas de drapeau gai, j’ai cousu deux draps ensemble et confectionné un triangle que nous avons peint en rose. C’était ça notre parade et nous en étions fiers. Cette manifestation, elle servira ensuite de modèle aux futures Fêtes de la Fierté. » L’année suivante, l’ADGQ (Association pour les droits des gai(e)s du Québec) lui proposant de prendre la relève, il accepte volontiers, convaincu qu’il fallait absolument que le mouvement enclenché se poursuive.
Cette fois, la foule s’élèvera à plus de 250 personnes ! Lui-même poursuit sa démarche et son implication dans le milieu en animant une émission d’information à Radio-Centreville et en fondant la revue Sortie dans laquelle il rédige plusieurs articles. Malgré sa durée de vie éphémère, John Banks considère toujours que ce fut l’un des plus importants magazines gais à être publié au pays. Succédant à celles de 1996 et de 1998, la 3e édition de La Veille Électronique se tient, en 2008, au parc de l’Espoir. John Bank agit comme animateur, dans le cadre des fêtes du 25e anniversaire des Archives gaies du Québec, secondé par Louis Dionne, Serge Laflamme et de nombreux bénévoles. L’aménagement consiste en « une intervention sculpturale et multimédia [où] les gens sont invités à livrer un témoignage face aux diverses réalités qu’engendrent le VIH/sida dans leurs vies 2. » Les hommages sont ensuite diffusés sur des écrans révélant, note Ross Higgins, « leurs pensées, leurs sentiments, leurs souvenirs sur les pertes, les souffrances, les luttes et les espoirs vis-à-vis d’une pandémie qui dure depuis 19813. »
C’est le même Ross Higgins que l’on retrouve, en 2015, en compagnie de John Banks dans le documentaire de Paul Carvalho, Montréal, mon amour, mon histoire 4, dont l’un des épisodes, intitulé Centre-ville : l’âge des lumières, porte sur le night life. Rappelant les nombreux progrès accomplis au fil des décennies, ils évoquent la répression face à la prostitution, les maisons de jeu et la communauté gaie, de même que la naissance du Village. « Je suis fier d’être fier d’être gai ! », conclut John Banks. Et fier, il le sera encore davantage lorsqu’il est invité, en 2017, à titre de coprésident d’honneur par Fierté Montréal ! Depuis lors, il continue d’œuvrer bénévolement aux Archives gaies du Québec. « Ce sont les plus grandes archives gaies francophones au monde, clame-t-il. Et elles s’avèrent importantes car elle nous rappellent comment les choses se déroulaient autrefois et pour faire en sorte que cela ne se reproduise plus. Il est essentiel de ne pas perdre notre histoire. Plus que simplement la mémoire des choses, les archives sont une véritable leçon sur ce qui s’est passé jadis. »
PAR Serge Fisette
NOTES
- Les citations sont extraites des documentaires John Banks, une vie d’engagement d’Alexis Baribeault (2018) et John Banks : A life of engagement de Simone Beaudry Pilote, The Quebec Gay Archives, 2019 : https://www.youtube.com/watch?v=nz58ucV1XHY.
- https://ratsdeville.typepad.com/ratsdeville/files/veille_electronique.pdf.
- Ross Higgins, « La Veille électronique », L’Archigai, no 18, octobre 2008, p. 1.
- Paul Carvalho, Montréal, mon amour, mon histoire, Les Films Perception Inc., 2015 : http://agq.qc.ca/2018/02/12/extrait-de-centre-ville-lage-lumieres-ross-
higgins-john-banks-de-lagq/.