Combinant audacieusement le parfum des polars avec l’extravagance des paillettes, Sins of the Black Flamingo s’inscrit dans une mouvance de récits s’appropriant avec assurance les codes du kitch tout en les inscrivant au cœur d’un récit à la fois classique et innovateur. Et on en redemande! Se déroulant sous le soleil écrasant de la Floride, la bande dessinée rend hommage aux films noirs avec un gentleman cambrioleur qui cache son identité sous un domino pailleté aux propriétés mystiques, son visage demeurant ainsi brouillé face aux systèmes de surveillance.
Dès le départ, Black Flamingo (Sebastian Harlow pour les intimes) assume pleinement son côté narcissique et outrancier, de même que son appropriation d’un symbole quétaine à souhait : le flamant rose. Oui, il œuvre dans l’ombre, à la recherche d’artefacts magiques, mais souhaite paradoxalement qu’on remarque bien son style et son panache. Il fait siennes les demandes les plus farfelues et n’hésite d’ailleurs pas à l’affirmer avec force dans son crédo: « Le ridicule est ce que je fais de mieux. » Le récit s’ouvre sur le vol d’une tablette, symbolisant l’âme d’un golem, dérobé à son créateur à l’aube de la Seconde Guerre mondiale.
Les héritiers de ce dernier ont toujours en leur possession le corps d’argile et souhaitent symboliquement le réunir à la tablette pour rendre hommage à leur grand-père. Le résultat les surprendra cependant puisque la tablette contient l’âme de l’amant de leur aïeul et qu’une fois réunis, le golem prend subitement l’apparence d’un séduisant jeune homme. Fin de l’histoire? Pas vraiment puisque l’escapade de notre héros l’amène à plonger dans les arcanes de collectionneurs nazis et à y découvrir un parchemin révélant l’existence d’un collier permettant de contrôler un démon.
Désirant éviter qu’un tel objet soit utilisé par les forces du mal, Black Flamingo s’infiltre dans une soirée chic afin de soutirer le collier au propriétaire des lieux, mais réalise avec stupéfaction que celui-ci cercle déjà le cou d’une victime : un ange déchu qui trône dans son plus simple et séduisant appareil. Premier numéro d’une série de cinq, le récit d’Andrew Wheeler, auteur de l’anthologie LGBTQ Shout Out, n’hésite pas à explorer les moments les plus noirs de l’histoire. Au cours de ses aventures, Black Flamingo rappelle ainsi le drame des porteurs du triangle rose qui, une fois libérés des camps de concentration, furent à nouveau persécutés par leurs « libérateurs ».
Étrangement, le tout s’inscrit au cœur d’une trame narrative dont le ton demeure étonnamment léger. De son côté, le coup de crayon de Travis Moore et Tamra Bonvillain se distingue par une grande fluidité de mouvement et présente des décors vifs ainsi que des visages particulièrement expressifs. Notre héros semble par ailleurs cacher certains secrets puisque son regard lui permet de voir bien au-delà de apparences et de révéler la noirceur souvent atroce qui s’y cache. D’où lui vient cette habilité et qu’est-ce qui se cache vraiment derrière son assurance débonnaire? Un seul numéro suffit à être immédiatement accroché et on ne peut qu’attendre avec impatience la suite de ses aventures.
INFOS | Sins of the Black Flamingo / Andrew Wheeler, Travis Moore, Tamra Bonvillain & Aditya Bidikar. Portland, Or.: Image Comics, 2022.