Denys Arcand l’avait prédit à travers sa filmographie. Il y a d’abord eu Le déclin de l’empire américain. Puis, Les invasions barbares et L’âge des ténèbres. Enfin, plus récemment, La chute de l’empire américain.
Cela étant dit, ma chronique d’août aurait très bien pu s’intituler La servante écarlate. Quand la désormais série culte est sortie en 2017, basée sur l’œuvre de la romancière canadienne Margaret Atwood éditée en 1985, on parlait alors de roman de science-fiction dystopique. Désormais, cette fiction qui se voulait très loin de notre monde, où des femmes sont dévalorisées jusqu’à l’asservissement, semble plus que jamais réelle. En effet, la République de Gilead possède désormais de nombreuses similitudes avec les États-Unis. La religion et les idéologies conservatrices dominent la politique au point d’interdire aux femmes l’avortement, c’est-à-dire de disposer de leur corps comme bon leur semble. Bienvenue dans la chute de l’empire américain, où toutes ces belles paroles de l’Amérique moderne ne semblent être qu’un marketing hypocrite de plus dans les rouages du capitalisme. Petit rappel narratif. Dans La servante écarlate, les femmes sont divisées en classes : les Épouses, qui « dominent » la maison, celle-ci étant régie par l’argent et le pouvoir de leurs époux, bien sûr.
Les Marthas, qui entretiennent la maison et s’occupent aussi de la cuisine, en d’autres termes, les servantes, les bonnes de la maison. Il y a aussi les Éconofemmes, les épouses des hommes pauvres (qui conjuguent les rôles d’Épouse, de Martha et de Servante), puis les Tantes, qui endoctrinent les Servantes sous le règne du patriarcat. Les Servantes, vêtues d’amples robes écarlates — d’où le titre de la série — tiennent le rôle de la reproduction humaine, c’est-à-dire qu’elles se font violer, sans possibilité d’avorter, pour donner naissance à un enfant pour les Époux et les Épouses. Enfin, mentionnons celles qui se retrouvent au bas de l’échelle, soit les Jézabels, des prostituées illégales, mais très sollicitées par les Commandants, alors que toutes les autres femmes (celles qui sont trop âgées, infertiles, rebelles, lesbiennes, etc.) sont déportées dans les Colonies où elles manipulent des déchets toxiques, étant ainsi vouées à la mort par le monde des hommes. Tout ça, sous le régime totalitaire d’hommes généreusement armés et affamés de pouvoir. Does it ring a bell to your ears? Think Big!
Le 24 juin dernier, alors que les Québécois célébraient la fête nationale, les femmes de la planète, et particulièrement les Américaines, faisaient le deuil d’un vieux rêve : la légalisation de l’avortement. En effet, la Cour suprême des États-Unis a invalidé le droit à l’avortement (1) avec sa décision de révoquer son arrêt emblématique Roe c. Wade qui, depuis 1973, garantissait aux Américaines le droit d’avorter, la majorité de ses juges l’estimant aujourd’hui totalement infondé. Bien sûr, ces juges sont en majorité des hommes (2) ! Et voilà que les évêques (des hommes !) saluent cette décision. Quelques semaines plus tôt, toujours aux États-Unis, et pour la énième fois de l’histoire, un jeune homme pénétrait dans une école et tuait, encore une fois, plein de gens, notamment parce qu’il avait pu se procurer légalement une arme. Une autre loi ridicule qui ne vise qu’à solidifier la domination du patriarcat sur les femmes. Comme dans La servante écarlate, une majorité d’hommes instaurent des politiques, sous le couvert de la religion ou d’autres dogmes, afin de contrôler les naissances et le corps des femmes, sous un régime de peur où les armes servent de protection au patriarcat. Pendant ce temps des femmes, des enfants et des hommes innocents se font tuer au quotidien. Pour rien. Au quotidien, des femmes se font violer. Pour rien. Et elles doivent garder leur bébé. Pourquoi ?
Au quotidien, des femmes décident de se faire avorter et il n’appartient qu’à elles et à elles seules d’en décider ainsi ! En toute légitimité. Du moins, c’était le cas jusqu’à tout récemment aux États-Unis. Ces femmes qui militent depuis des lustres, comme celles qui furent aux côtés de Gloria Steinem et autres féministes dans les années 1970, le savent : aucun droit n’est acquis.
D’autant plus que l’Equal Rights Amendement n’a jamais été ratifié chez nos voisins du Sud… Quelle honte ! Sans considérer les femmes comme égales des hommes, on n’hésite pas à légaliser, en toute conscience, les armes à feu. Les hommes se donnent les moyens de leurs ambitions. Bien sûr, les États-Unis ne sont pas les seuls coupables. Ce n’est pas uniquement la chute de l’empire américain, même si cet empire se targue de dominer le monde. Tous les pays ont leur honteuse part de collaboration en ce qui a trait au sort des femmes sur la planète, et ce, depuis belle lurette. Dans le premier tome du livre Archives lesbiennes : d’hier à aujourd’hui, paru aux Éditions saphiques du RLQ — auquel j’ai eu la chance de prêter ma plume — je citais cette déplorable, mais néanmoins célèbre formulation du Pseudo-Démosthène au IVe siècle av. J.-C., au sujet du sort habituel réservé aux femmes grecques de l’Antiquité : « Nous avons les courtisanes en vue du plaisir, les concubines pour nous fournir les soins journaliers, les épouses pour qu’elles nous donnent des enfants légitimes et soient les gardiennes fidèles de notre intérieur (3). »
Outre le fait que les filles étaient mariées sans leur consentement dès l’âge de 15 ans et que les femmes, même mariées, n’avaient aucun droit dans la cité, les rôles ont malheureusement très peu changé. Bien que la période estivale batte son plein à Montréal, notamment avec la Fierté qui se veut inclusive et festive, je ne pouvais célébrer sans rappeler les essentiels. D’abord, aucun droit n’est acquis. Si la droite religieuse arrive à utiliser ses pouvoirs au point d’interdire l’avortement en 2022, la balance conservatrice peut très bien faire des ravages quant aux droits des populations LGBTQ+. Demeurons sur nos gardes ! Qui plus est, tant que les armes sont légales et distribuées à profusion, puis conjuguées à des discours haineux et homophones, nous ne sommes malheureusement pas à l’abri de tragédies comme celle d’Orlando aux États-Unis. D’ailleurs, au moment d’écrire ces lignes, une fusillade mortelle vient d’avoir lieu près d’un bar gai à Oslo en Norvège. Alors que la piste du « terrorisme islamiste » est privilégiée, des gens sont morts au nom d’un « je ne sais quoi » pour « je ne sais quelle raison ».
La violence n’est jamais une solution. Pendant ce temps, la marche LGBT de la capitale de la Norvège est annulée. Le drapeau arc-en-ciel est en berne. Les armes tirent à bout portant. L’utérus des femmes est contrôlé. L’Amérique pleure. C’est la chute de l’empire américain.
SOURCES
1.Dans certains États, comme dans le Missouri, l’avortement a immédiatement été interdit, y compris en cas de viol ou d’inceste. Voir Agence France-Presse, 25 juin 2022 : ici.radio-canada.ca
2.Voir le Los Angeles Times, 24 juin 2022 : latimes.com
3.Pseudo-Démosthène, Contre Nééra, cité dans Archives lesbiennes : d’hier à aujourd’hui, tome 1, 2022, p. 33.