Jeudi, 3 octobre 2024
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    Les 17 meurtres d’homosexuels à Montréal qui ont tout fait basculer

    Entre 1989 et 1993, 17 meurtres d’hommes gais ont été commis à Montréal. Les médias n’en parlaient presque pas. La police refusait d’y voir un signe d’homophobie, voire de considérer l’hypothèse d’un meurtrier en série. Pire, les homosexuels mouraient déjà dans l’indifférence totale en pleine crise du sida. Trente ans plus tard, la journaliste Marie-Ève Tremblay a creusé le dossier dans Le Village : meurtres, combats, fierté, un balado bouleversant sur OHdio.


    Quand as-tu appris l’existence de ce dossier ?
    Marie-Ève Tremblay : CBC Podcasts, qui avait déjà produit deux saisons du podcast The Village : The Montreal Murders, avait découvert ces meurtres survenus à Montréal. Quand on m’a parlé de 17 meurtres d’hommes gais tenus sous silence, qui ont généré des luttes dont les conséquences ont permis de changer les choses et de vivre dans la société dans laquelle on vit, je suis tombée en bas de ma chaise. Je n’en avais jamais entendu parler ! Quand j’en discutais avec les personnes LGBTQ+ autour de moi, elles n’étaient pas au courant non plus. Je trouvais ça super important de raconter cette portion importante de notre histoire.


    Pourquoi as-tu eu envie d’investir des mois de travail sur ce sujet ?
    Marie-Ève Tremblay : Je suis heureuse qu’on me donne la chance d’en parler même si je ne fais pas partie des communautés LGBTQ+. Parfois, ça peut être un enjeu. Les personnes concernées peuvent vouloir qu’on les laisse raconter elles-mêmes leurs histoires. Moi, on m’a fait confiance. J’ai l’habitude de raconter des histoires humaines, sensibles et taboues. C’est dans mes cordes d’approcher des gens qui ont vécu des situations difficiles et qui ne veulent pas toujours se confier d’emblée, mais qui acceptent de le faire parce qu’elles connaissent mon travail. J’ai aussi l’impression d’avoir un pas de recul intéressant pour mener le projet. Je suis à l’écoute, j’apprends les faits et j’essaie de garder une certaine distance qui peut être journalistiquement très intéressante pour un tel contenu. Par-dessus tout, j’ai fait ce projet parce que je crois que tout le monde devrait prendre conscience de cette histoire, qu’on fasse partie des communautés LGBTQ+ ou non.


    Sentais-tu une responsabilité supplémentaire puisque tu parlais de communautés marginalisées ?
    Marie-Ève Tremblay : C’est comme ça dans tous mes projets, parce que des humains sont concernés. Avec mon travail, je peux nuire ou faire du bien. Mon but, ce n’est évidemment pas de nuire. L’année dernière, j’ai fait le balado Sugar Baby sur une femme victime d’exploitation sexuelle qui n’en avait jamais parlé. J’avais la vie de cette jeune femme-là entre les mains. Bien sûr que ça exige une part de sensibilité supplémentaire. Dans ce genre de projet, mon plus grand souci est que les gens qui ont accepté de se confier soient satisfaits quand ça sort. Ça a été le cas avec Le Village. Michael, Claudine et Roger sont tellement contents. Selon eux, c’est la première fois qu’une production expose les faits avec autant de justesse et de sensibilité.


    Quels témoignages ont été les plus difficiles à obtenir ?
    Marie-Ève Tremblay : Celui d’un policier gai qui était dans le placard, alors que les homosexuel.le.s étaient victimes de brutalité policière. Et, bien sûr, les proches des victimes qui ont été tuées de manière très violente il y a 30 ans. Ces hommes étaient souvent dans le placard. Les parents n’étaient pas au courant que leur fils était gai. Quand ils ont appris le décès de leur enfant, certaines familles ont voulu camoufler le tout. Il y avait donc beaucoup de non-dits. Trente ans plus tard, quand tu arrives pour faire une série en disant à un homme que tu veux parler du décès de son frère, parce qu’il est lié à une lutte historique, c’est délicat. Parfois, la blessure était trop grande.


    Comment as-tu trouvé l’équilibre entre l’objectivité professionnelle et l’empathie dont tu devais faire preuve, lorsque des personnes qui témoignaient à ton micro vivaient de grands moments d’émotions ?
    Marie-Ève Tremblay : Je me laissais le droit de faire preuve d’empathie. Ces personnes ont vécu des situations tellement difficiles. Quand Roger me parle de son conjoint et qu’il a de la difficulté à retenir ses larmes, alors qu’il n’est pas émotif en général, cela va de soi que je lui propose une pause et de prendre une gorgée d’eau. J’ai le droit d’être touchée en tant que journaliste. La neutralité se trouve surtout dans la façon de relater les faits avec exactitude et de vérifier les informations qu’on me donne.


    Es-tu consciente à quel point c’est ébranlant, pour les personnes qui ont traversé cette époque, d’entendre des témoignages sur ce qu’elles ont vécu et, pour les plus jeunes générations, d’entendre les émotions et les détails sur tout ce qui s’est passé ?
    Marie-Ève Tremblay : Je suis tellement heureuse que ça vous touche et que vous vous
    sentiez interpellé.e.s par ça. Je sais que plusieurs jeunes personnes LGBTQ+ ont pleuré et qu’elles devaient écouter un épisode à la fois, parce que c’était trop émotif pour elles. Au fond, même si je voulais raconter d’où on vient comme société en discutant avec des personnes plus âgées, je trouve aussi très important qu’on s’interroge sur où on est rendu et le chemin qui reste à faire.


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