Revamper la Saint-Valentin

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Depuis quelques années, nous réclamons de plus en plus un changement dans nos relations amoureuses. Polyamour, relation de trouple, à distance, avec ou sans sexe, etc. Une simple fuck friend peut devenir une personne extrêmement signifiante dans nos vies. Nous créons ainsi avec l’Autre, les Autres, les cadres dans lesquels s’épanouiront ou devraient s’épanouir nos relations sentimentales et/ou sexuelles. Mais il y a encore loin du sexe aux lèvres, tant le carcan hétéronormatif prend encore beaucoup de place dans nos têtes, que l’on parle de polyamour ou encore d’exclusivité sexuelle. Le bon petit couple, deux êtres qui s’aiment d’un amour tendre, poussant le carrosse de l’enfant nouvellement arrivé dans leur vie, tenant en laisse un labrador, avec comme toile de fond, une grande maison avec piscine où trône devant le garage un gros VUS (électrique, il va sans dire) a encore la vie longue. D’autant que c’est celui qui nous est encore et toujours présenté dans la publicité.

La réalité, nous le savons, est souvent bien différente. C’est pour cela que les contes de fées se terminent toujours par « Il et elle se marièrent et eurent beaucoup d’enfants », point barre ! La suite, on ne veut pas la savoir, elle se conjugue avec le quotidien, les contraintes professionnelles, la routine. J’ai découvert au cours de mes expériences de couple, qu’elles soient longues — plusieurs années — ou courtes, qu’elles finissaient par m’étouffer. En fait, je souhaitais que la passion perdure comme aux premiers temps de la relation. Que je ne sois pas obligé de redescendre sur terre pour commencer à négocier les destinations vacances, la façon de m’habiller, les heures à laquelle je dois être rentré, et enfin, autour d’interminables discussions sur l’exclusivité sexuelle. Dès que le conjoint du moment prononçait son désir que l’on soit fidèle, je sentais la porte d’une prison se refermer lourdement. Une seule envie : fuir.

N’étant pas non plus à l’aise avec l’hypocrisie bourgeoise (concept très XIXe siècle, mais qui se porte encore bien de nos jours), je ne me serais pas vu en couple en « trompant » l’autre. Il fallait qu’il sache ce que je faisais, et que ce n’était pas contre lui. Et ce petit coup de canif dans le contrat implicite prenait très vite des allures de drame dans lequel je plongeais aussi. Hypocrisie bourgeoise, car comme beaucoup, vous savez que de nombreux couples bricolent leurs propres petits arrangements pour composer avec les libertés que l’on peut prendre ou non avec le sexe, avec ou sans le ou la conjoint.e. En règle générale, ces arrangements font partie du domaine du très privé. On en parle peut-être à des ami.e.s, mais dès que l’on sort du domaine de l’intimité, en famille, au travail, on préfère s’en tenir à une présentation de son couple qui correspond à la norme sociale. Et pourtant, on sait que les clôtures sont faites pour être sautées et elles le sont, mais dans le silence, pour que les conventions soient sauvées. Il est vrai que c’est plus socialement acceptable d’annoncer à ses collègues que l’on va se marier, plutôt que de raconter la bonne baise à trois que l’on a eu.e. avec un.e invité.e de passage dans le lit conjugal.

Long préambule pour avancer que la Saint-Valentin n’a pas une grande valeur à mes yeux. Passons rapidement sur l’aspect totalement mercantile de l’événement — qui fait le bonheur des fleuristes, des chocolatiers ou encore des restaurateurs — et sur de trop grandes digressions sur la définition de ce qu’est ou devrait être un couple. Restons collés à l’événement qui se veut avant tout festif (violons à la clef, pétales de roses déposés pour nous guider jusqu’à la chambre à coucher après un petit souper en tête à tête à la chandelle).

Il y a une quarantaine d’années, Fabienne Thibeault et Richard Cocciante chantaient Question de feeling avec ce passage : « Y’a trois milliards d’humains sur terre. Et combien de cœurs solitaires ». Aujourd’hui, nous sommes huit milliards et le nombre de cœurs solitaires a dû suivre la courbe. En fait, le petit couple correspondant à l’image traditionnelle tant vantée à la Saint-Valentin ne doit plus représenter autant de couples que cela. Alors gardons-nous une petite gêne avant d’exposer de façon ostentatoire sur les réseaux sociaux la façon dont nous allons passer cette soirée du 14 février avec l’Être aimé. Pensons que cette fête peut être une journée moins trippante pour les cœurs solitaires. Il serait peut-être bon d’en revamper le concept et, pour utiliser un mot très à la mode qu’il en devient galvaudé, de penser à une Saint-Valentin plus inclusive. Plus à l’image des relations que nous souhaitons avoir dans la société avec l’Être aimé, bien sûr, mais aussi avec les proches, les ami.e.s, les voisin.e.s et même les inconnu.e.s croisé.e.s dans la rue. Cet amour que nous voulons témoigner à une seule personne, pourquoi ne l’étendons-nous tout simplement pas aux Autres. Pour leur montrer par des mots, par un sourire, qu’on les reconnait avant tout comme des êtres humains et qu’ils et elles méritent tout autant que nous notre respect et, pourquoi pas, notre simple plaisir d’être content.e.s qu’ils et elles existent, même si nous ne savons pas grand-chose à leur propos.

Un ami d’origine africaine, Fabrice Nguena, dont j’aime la sagesse, m’a fait découvrir cette expression : Ubuntu. Le mot est difficilement traduisible tant il est riche de sens, mais ceux-ci convergent vers une seule et même idée que l’on pourrait résumer ainsi : « Votre humanité est inextricablement liée à la mienne ». J’ai aussi trouvé une traduction que j’apprécie beaucoup : « Je suis parce que nous sommes ». Ce lien que l’on doit retrouver et cultiver, parce que nous ne pouvons exister qu’avec les autres. Des études sérieuses présentent les communautés 2SLGBTQ+ comme des réformatrices sociales, qui secouent les colonnes du temple hétéronormatif, phallocratique et utra-genré. Mais poussons encore plus loin notre déconstruction des carcans qu’on accepte encore comme étant « naturels » tellement nous avons été formés, si bien qu’on ne les questionne même plus, qu’on ne voit plus à quel point ils nous séparent, à quel point ils génèrent de l’exclusion… Investissons plutôt la Saint-Valentin pour en faire une grande fête de l’amour, de l’amour à donner aux autres, sans exception.

Rappelons-nous que l’amour ne se réduit pas qu’à l’être aimé ou à quelques proches, rappelons-nous de faire la démonstration de notre amour à d’autres, parce que nous ne pouvons pas exister sans les autres, même si nous ne les connaissons pas. Ce faisant, des cœurs se sentiront moins solitaires. 

Voilà le genre de Saint-Valentin qui me ferait vraiment bander, au-delà de tous les petits et gros cœurs rouges et que l’on retrouve dans les magasins à l’approche de la journée J. Des cœurs vides qui doivent être réinvestis d’un sens plus profond et portés par plus d’un. Quant aux chocolats, aucune critique, n’hésitez pas à m’en faire parvenir, qu’ils soient en forme de cœur, d’anges ailés ou non, de phallus, de vulve, ou autres, je suis preneur.

Je crois que je commence à vous aimer. 

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