L’un des stéréotypes les plus persistants à propos de la propagation du VIH est qu’il touche majoritairement les hommes, et plus précisément les hommes cisgenres ou transgenres ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Or, selon ONUSIDA, les femmes représentaient 54 % des personnes infectées par le virus dans le monde en 2021. À l’occasion de la journée internationale de la femme, la docteure Nadine Kronfli, spécialiste des maladies infectieuses au Centre universitaire de santé McGill, fait le point sur l’impact du VIH chez les femmes, les défis qui leur sont propres et les pistes de solutions pour améliorer leur situation.
Les femmes et le VIH au Canada
Selon l’Agence de la santé publique du Canada, parmi les 62 790 personnes vivant avec le VIH à la fin de 2020, 75,4 % étaient des hommes et 24,6 % des femmes. Lorsque l’on s’attarde aux cibles 90-90-90 pour 2030 (90% des personnes vivant avec le VIH connaîtront leur statut; 90% suivront un traitement antirétroviral; 90% des personnes sous thérapie antirétrovirale auront une charge virale indétectable), on note que les femmes progressent plus lentement vers l’atteinte de ces cibles. Chez les hommes, les progrès s’établissaient en 2020 à 90 %-87 %-96 % contre 88 %-85 %-90 % pour les femmes. Le portrait laisse comprendre que celles-ci connaissent moins leur séropositivité et sont moins représentées dans les taux de traitement et de suppression de la charge virale.
Selon la docteure Kronfli, ces chiffres montrent clairement que plusieurs femmes tombent à l’extérieur de la cascade des soins au Canada. La chercheuse torontoise établie à Montréal depuis plus de six ans se spécialise en l’amélioration de l’accès aux soins de santé pour les populations vulnérables. Son travail l’a amenée à noter que parmi les femmes qui glissent entre les mailles du système, certains profils sont surreprésentés : les autochtones, les femmes incarcérées, les utilisatrices de drogues dures et celles qui n’ont pas de domicile stable. Les conséquences pour elles sont des délais de traitements plus longs, une baisse de la rétention au sein du système de santé ainsi qu’une baisse du taux de suppression virale. Pour la docteure Kronfli, il y a lieu d’améliorer la situation en s’intéressant au contexte socioculturel de ces groupes et en impliquant des acteurs communautaires dans la recherche de solutions : « Il y a tellement à apprendre sur la façon dont nous pouvons impliquer ces femmes dans leur propre parcours de soin. Nous devons faire des recherches communautaires et co-concevoir des programmes avec des organismes qui ne sont pas nécessairement à l’intérieur du système de santé afin que les politiques mises en place soient culturellement sûres et compétentes. »
Des défis propres aux femmes
Le sexisme, la violence et les stigmas sont certains des problèmes les plus accrus chez les femmes atteintes de VIH. La docteure Kronfli rappelle que plusieurs femmes atteintes du virus l’ont contracté à la suite d’un viol, ce qui est extrêmement traumatisant pour elles. Les femmes désireuses de concevoir un enfant vivent également dans la peur constante du rejet de la part de leur partenaire ou dans la crainte d’être jugée parce qu’elles ne donnent pas le sein : « Malgré le fait que les mères dont la charge virale est indétectable ne posent aucun risque pour leur enfant, elles vivent quand même dans la peur de l’ostracisation.
Ces situations peuvent complètement paralyser l’évolution sociale des femmes », explique la docteure Kronfli. La chercheuse rappelle également que le portrait que se font les gens des femmes atteintes du VIH est tout simplement trompeur. Elle souligne trois perceptions erronées qui sont largement partagées par la population générale et certains acteurs du système de santé : le fait que les femmes sont une minorité parmi les personnes vivant avec le VIH, le fait que la transmission mère-enfant est éradiquée et le fait que les femmes de plus de 50 ans sont peu à risque : « j’ai lu récemment le cas de deux bébés infectés parce que la mère n’était malheureusement pas sous antirétroviraux, déplore-t-elle. Par ailleurs, en 2021, une femme sur cinq vivant avec le VIH avait plus de 50 ans. Toutes les femmes de tous les âges sont à risque! »
Établir des solutions sur mesures en collaboration avec les femmes
C’est pour faire une différence que la docteure Kronfli s’implique au sein du réseau CTN (Canadian HIV Trials Network). L’organisme réunissant les experts de partout au Canada a pour objectif de faciliter et de soutenir des essais cliniques sur le VIH, menés en collaboration avec la communauté et à l’initiative des chercheurs. La docteure Kronfli est plus précisément impliquée dans le Groupe de travail sur la prévention auprès des femmes et des populations vulnérables. Le groupe rassemble des femmes issues de certaines populations afin de réaliser des recherches ayant pour but d’adresser les situations endémiques de ces niches et d’établir des stratégies de prévention sur mesure. La chercheuse confie que le travail effectué au sein du CTN a permis de révéler que la cascade des soins au Canada manque les nuances propres aux besoins de chaque population : « il est primordial que les recherches aillent au-delà de la cascade de soins, afin d’inclure les problèmes sociaux. Les traitements contre le VIH doivent prendre en compte les besoins spirituels, culturels et reproductifs des femmes et approcher leur situation de manière beaucoup plus holistique. »
Journée internationale de la femme : faire une différence aujourd’hui et chaque jour
La journée internationale de la femme est l’occasion parfaite, selon la docteure Kronfli, de mettre en lumière la situation des femmes vivant avec le VIH au Canada et le manque de ressources qui leur sont dédiées. La chercheuse plaide notamment en faveur d’un plus grand nombre d’organismes qui proposeraient aux femmes un soutien de la part de paires qui vivent les mêmes enjeux. Elle cite en exemple le Centre d’Action Sida Montréal, qui lutte contre la discrimination et défend les droits des femmes atteintes du VIH. Elle rappelle toutefois que les ressources spécifiques sont peu nombreuses et que les femmes sont encore largement sous-représentées dans la discussion publique à propos du VIH : « Les femmes ne représentent pas la voix des personnes vivant avec le VIH au Canada. Les gens pensent encore que la personne séropositive typique est un homme gai ou bisexuel. Il est temps que les femmes soient également reconnues par la population et par les acteurs de l’industrie comme aussi sensibles à l’infection et à la stigmatisation. »
Si vous vous identifiez comme une femme vivant avec le VIH et cherchez du soutien, visitez https://casm-mtl.org/ pour en savoir plus sur leur mission de sensibilisation et de prévention auprès de la communauté montréalaise.
Cet article a été rendu possible grâce au soutien de VIIV Healthcare