Dimanche, 27 avril 2025
• • •
    Publicité

    Les queers d’un bord, les hétéros-cis de l’autre ?

    Je refuse de construire des murs autour d’un concept. Je ne veux pas vivre dans un monde où l’on imagine que le mariage est un concept qui devrait rester dans la cour des hétéros. Où l’on prétend que la drag devrait être réservée aux queers. Et où les codes esthétiques propulsés par les communautés arc-en-ciel ne devraient pas être adoptés par le reste de l’humanité.

    Les personnes qui voient les choses en noir et blanc me font faire de l’eczéma. Celles qui fabriquent des petites boites, dans lesquelles enfermer des phénomènes, me découragent. En toute naïveté, je croyais que la tendance à tout placer dans une case allait diminuer avec l’ouverture des mentalités, mais la vie semble me démontrer le contraire. La première fois que j’ai identifié ce réflexe, c’est lorsque j’ai entendu plusieurs personnes LGBTQ+ dire que le mariage devrait rester une affaire de straigths. Faux. La véritable première fois que j’ai senti que des petites cases servaient à définir les gens… c’est quand j’ai pris ma première respiration, un certain 10 juin, il y a une trentaine d’années, quand mes cellules de poupon ont compris ce qu’on attendait des garçons et des filles, ce qu’on leur réservait et ce qu’on soustrayait à leurs vies, ce qu’on imaginait pour leur chemin amoureux, ce qu’on dessinait sur la trajectoire de leur avenir professionnel en fonction de leurs résultats scolaires, ce qu’on devait avoir accompli à tel âge (diplôme, boulot, couple, propriété, bébé, chien) et tout ce que la société se plaisait à classer pour se calmer l’anxiété.

    J’ai commencé à m’insurger davantage quand j’ai entendu des queers affirmer qu’on devrait laisser le concept du mariage aux hétéros-cis. Pas dans le sens de rendre le mariage inaccessible ou illégal pour les queers. Mais dans le sens de « c’t’une affaire de straigths, pis ça devrait rester une affaire de straigths ». Je comprends que le mariage puisse être vu comme un carcan ou un paquet de troubles, et qu’on ne veuille pas y adhérer. Je vois pourquoi les personnes queers, qui ont eu le courage de faire éclater les frontières de l’orientation sexuelle et du genre, se permettent de remettre en question les possibilités romantiques et relationnelles.

    Néanmoins, j’en reviens à mon amour des nuances : peut-on simplement se réjouir que les personnes LGBTQ+ qui désirent se marier puissent le faire, sans les juger et sans prétendre qu’elles se fondent dans le moule hétéro et qu’elles n’ont aucun libre arbitre ? N’y a-t-il pas un espace dans nos esprits pour envisager que la symbolique et l’engagement sous-entendus dans le mariage puissent intéresser certain.e.s queers, sans les pointer du doigt en disant qu’iels s’aplatissent devant l’institution hétéro qui nous dicte comment vivre ?

    Dans un même ordre d’idée, à quoi ça sert de véhiculer l’idée que la drag doit être réservée aux personnes LGBTQ+, voire exclusivement aux hommes gais comme certain.e.s adeptes le prétendent encore ? Bien sûr que le plaisir de personnifier un genre différent du nôtre a connu ses lettres de noblesse grâce aux queers. Bien sûr que les drags sont au cœur de la naissance du mouvement militant pour les droits de nos communautés. Bien sûr que les êtres les plus en vue de cette discipline ont longtemps — et encore souvent — été des hommes gais cisgenres qui jouaient avec les archétypes associés au féminin. Mais il faut vivre sous une roche pour ne pas avoir entendu parler des personnes trans qui font de la drag depuis des décennies, des drag kings, des femmes qui se transforment en drag queens… et des hétéros-cis qui ont envie de vivre l’expérience à leur tour. Si la drag est un art qu’on ne cesse de présenter pour son pouvoir de libération, d’expression et sa capacité à propulser la confiance de ses artistes, pourquoi réserver le tout aux communautés queers ? Est-ce parce que l’envie de jouer avec les codes de genre a généré tant de jugements, d’insultes et de violences de la part des hétéros-cis qu’on ne peut imaginer que des personnes issues de ce même groupe veuillent s’amuser dans le même carré de sable ? Ou parce que ces mêmes hétéros-cis nous ont si longtemps ostracisé.e.s que nous voulons leur rendre la pareille ? Avons-nous vraiment envie de devenir une pâle copie de nos bourreaux ?

    Si vous avez répondu oui à la dernière question, cela signifie-t-il que seules les personnes queers peuvent jouer avec les codes du genre, que les Harry Styles et les Jay du Temple de ce monde ne devraient pas être célébrés pour leurs choix moins traditionnellement masculins et qu’une certaine esthétique pourrait nous être réservée ? Ou ne devrait-on pas rappeler aux responsables des magazines, des émissions de télé et des campagnes de publicité que le jupon de leur ignorance dépasse quand iels célèbrent d’abord les hétéros-cis qui font preuve d’audace esthétique en floutant les codes du genre, alors qu’iels ont si peu souligné les queers qui l’ont fait bien avant ? Ne devrait-on pas nous élever au-dessus de la mêlée en refusant de reproduire les comportements ghettoïsant qui nous ont tant fait souffrir ?

    Du même auteur

    SUR LE MÊME SUJET

    1 COMMENT

    LEAVE A REPLY

    Please enter your comment!
    Please enter your name here

    Publicité

    Actualités

    Les plus consultés cette semaine

    Publicité