Certains artistes passent leur carrière à surfer sur un ou deux succès, qu’ils déclinent à l’infini avec plus ou moins d’inspiration et de talent. D’autres, plus audacieux, expérimentent et construisent d’album en album un projet artistique global et évolutif. C’est le cas de Christine and the Queens qui s’aventure au fil du temps sur des terres passionnantes, mais pas toujours évidentes. Avec ce quatrième album Paranoïa, Angels, True love, l’artiste nous propose un triptyque conceptuel et ambitieux.
Souvent, Christine and the Queens a abordé la question de l’identité de genre et de la sexualité dans sa musique. Sur Paranoïa, Angels, True Love, on voit l’artiste poursuivre sa quête à travers le processus artistique, comme un moyen d’explorer l’identité en tant que construction. Depuis l’an dernier avec Redcar pour Redcar : les adorables étoiles, Chris ce genre au masculin et est donc un chanteur, auteur, compositeur. Sa transition spirituelle et physique — sans intervention médicale — lui a inspiré, avec la perte de sa mère et une séparation amoureuse douloureuse, l’album concept Paranoïa, Angels, True Love qui compte, pas moins de 20 pièces.
Écrit, interprété et produit par Chris, assisté du super-producteur Mike Dean (Beyoncé, Justin Bieber, Snoop Dog, The Weeknd, Drake, Madonna), ce nouvel album inclus des collaborations prestigieuses, dont celles de Madonna et de 070 Shake.
On entend Madonna sur trois titres : Angels Crying in My Bed, I Met an Angel et Lick the Light Out. Sa forte présence contrebalance admirablement l’énergie de Chris, et c’est un doux clin d’œil à la vidéo virale où ils dansaient tous les deux sur scène en 2015. En fait, certaines chansons de cet album évoquent la Madonna de l’ère Ray-of-Light avec leur légèreté et leurs synthés légers. Bjork aussi semble être une autre influence de l’album.
L’artiste du New Jersey 070 Shake apparaît sur deux chansons, dont True Love, où elle et Chris explorent comment aimer à travers la musique elle-même, aux côtés d’une bande-son profonde. En parlant de cet album Chris dit s’être inspiré « directement de la splendide dramaturgie de Angels in America, cette pièce de théâtre mythique de Tony Kushner», une œuvre majeure qui met en scène la société américaine des années Reagan, mêlant politique et histoires intimes, réalisme et merveilleux avec, pour fil noir et narratif, l’épidémie de sida. Chris considère que cette suite discographique (Paranoïa, Angels, True Love) est « la clé d’une transformation à cœur ouvert, d’une prière pour le Soi, celui qui respire et prend vie à travers tous les amours dont il est composé. L’agonie de Prior dans Angels in America est un dessein profond et douloureux, une faille lumineuse dans le temps qui permet alors aux anges de s’y plonger et de lui offrir ce qui changera le cours de son destin : le repos dans l’amour véritable.»
Derrière ces phrases qui peuvent paraître un brin ésotérique à certains et cette recherche du « repos dans l’amour véritable », on est touché et envouté par la musique et la musicalité de la voix de l’artiste. C’est là qu’il excelle. Pour preuve : To Be Honest, tout en intensité, parfaite introduction à un nouvel univers grandiose, puissant, presque rock dans ses intentions La voix est tantôt céleste et douce, tantôt transformée électroniquement et obsédante. Mais ce qui transparaît, c’est l’émotion incandescente, ce qu’il sait faire en tant qu’artiste. Cette émotion est d’autant plus forte que l’album est parfois dépouillé, comme sur Flowery Days. Sur cette chanson, les seuls instruments qui accompagnent le chant sont un simple piano et des percussions. Il laisse le chant de Chris prendre le devant de la scène, en superposant parfois plusieurs pistes vocales. Tears can be so soft est une chanson downtempo sensuelle et addictive dans le style des années 90. La ballade évoque le manque et le souvenir des choses passées et futures, ainsi que le pouvoir curatif des larmes : « Les larmes sont si douces/Quand on s’y plonge/Qu’on les laisse voguer ».
Dans To Be Honest, Chris utilise sa vulnérabilité pour raconter une histoire sur la recherche de puissance dans les moments d’insécurité, et sur la facilité avec laquelle on peut se perdre lorsqu’on se sent petit. La chanson passe sans transition à l’avant-dernière chanson I Feel Like an Angel, un retour joyeux et triomphant au son des années 1980 qui a fait la réputation de Chris. Paranoïa, Angels, True Love est un album de funambule, un peu casse-gueule. La ligne est mince, et Chris marche dessus avec l’assurance d’une personne dotée d’une écriture musicale hors norme, l’audace de celui qui veut créer plutôt que répéter ce que d’autres ont déjà visité, tout en glissant une somme de références, l’exigence de celui qui se frotte à la complexité minimaliste sans se départir d’une pop exaltée, d’un lyrisme rock et de basses triphop. Magnifique clair-obscur, l’album Paranoïa, Angels, True Love évoque une renaissance mystique, à écouter comme on regarde un bon film.
En tournée
Christine and the Queens a récemment donné deux concerts électrisants à Coachella, qualifiés de véritable triomphe, a également donné plusieurs concerts à guichets fermés à Los Angeles, San Francisco et San Diego. L’artiste est à présent en pleine tournée internationale des festivals et se produira notamment sur la scène de Primavera à Madrid, Glastonbury au Royaume-Uni, Roskilde au Danemark, Rock en Seine à Paris. Et il passera également par Montréal dans le cadre du Festival de Jazz, les 8 et 9 juillet, de même qu’à Québec pour le Festival d’été, le 11 juillet.
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