Le 17 septembre prochain, le Gala des prix Gémeaux remettra pour la première fois des prix d’interprétation sans distinction du genre. La nouvelle a fait grand bruit durant les derniers mois. À lire certaines chroniques et autres commentaires, on pourrait croire que le monde va s’écrouler sous le poids d’un « lobby ultra minoritaire » et qu’on s’apprête à dépasser les limites de la décence. Non seulement je n’en crois rien, mais il m’apparait clair que les catégories genrées n’auraient jamais dû exister.
Selon Statistiques Canada, seulement 0,14 % des citoyen.nes se définissent comme non binaires. Admettons que l’une de ces personnes devienne une interprète de grand talent et qu’elle mérite une nomination pour sa performance dans une série ou un film. Que faire ? L’ignorer ? Lui offrir une nomination dans la catégorie correspondant au sexe qui lui a été attribué à la naissance, même si elle s’affiche ouvertement non genrée ? Et si la solution était simplement de ne pas classer les interprètes en fonction de leur genre ?
Plusieurs individus s’insurgent contre la volonté de changer une tradition pour des exceptions. À mes yeux, c’est plutôt l’occasion de réaliser que le concept est inutile depuis toujours. L’interprétation n’est pas un sport. Contrairement aux adeptes du 100 m, du tennis ou du hockey, qui doivent être séparé.e.s lors des compétitions en raison des capacités biologiques propres aux genres, les interprètes utilisent leurs émotions, leur voix, leur âme et leur non verbal pour donner vie à leurs personnages. Cela n’a rien à voir avec le genre.
En télé et au cinéma, personne n’a réclamé une division des genres dans les catégories de la meilleure réalisation, du meilleur scénario ou du meilleur montage. Est-ce parce que ce sont des métiers derrière la caméra, alors que les interprètes évoluent devant la lentille ?
Les esprits qui pensent ainsi n’ont-ils jamais réalisé que les prix soulignant l’excellence en animation télé n’ont jamais été genrés ? Pourquoi ne montent-ils pas aux barricades pour exiger des catégories de meilleur animateur et meilleure animatrice ? Est-ce parce que cela ferait doubler le nombre de trophées, étant donné que les prix en animation sont divisés en plusieurs créneaux (talk-show et émission de variétés, émission de sport, émission de service, etc.) ? Mais alors, qu’en est-il de l’humour ? Les apôtres des catégories genrées auraient dû faire résonner leurs voix depuis des années en constatant que le Gala des Olivier n’a jamais genré ses récompenses.
Au fond, les galas récompensant l’interprétation ne font que rattraper le gros bon sens. Les Grammy ont mis de côté la vision genrée en 2012. Les MTV Video Music Awards ont emboité le pas cinq ans plus tard. La Berlinale décerne des trophées sans genre depuis 2021. Depuis, les Brit Awards, les Spirit Awards et les prix Écrans canadiens ont pris la même direction. Bref, quiconque parle d’une mode passagère se met le doigt dans l’œil. En réponse au brouhaha créé par l’annonce des catégories d’interprétation non genrées, en décembre 2022, Maya Gourd-Mercado, directrice générale de l’Académie des prix Gémeaux, affirmait ceci à La Presse : « C’est dans l’air du temps, mais je n’ai pas l’impression que c’est juste une mode. C’est une chose dont on parle depuis plusieurs années, vers laquelle on avance inexorablement. » Maintenant, on souhaite que l’ADISQ se mette à jour en imitant les événements qui ont entrepris le virage. Questionnée à ce sujet, Julie Gariépy, productrice exécutive des Galas de l’ADISQ, a affirmé que la parité au sein de l’industrie musicale est encore bien fragile.
Son argument fait écho à la crainte de plusieurs personnes qui voient les catégories non genrées comme une façon d’invisibiliser les femmes. À cela, on peut répondre que les galas au cinéma et à la télévision sont le dernier maillon d’une longue chaine qui part de la création, avant de passer par le financement, la production et la diffusion. Pour avoir des femmes en nomination, donnons-leur accès autant qu’aux hommes à des rôles substantiels qui leur permettront de nous éblouir et de récolter des distinctions lors des galas de récompenses. Cela dit, ne nous cachons pas la tête sous le sable : le milieu des arts est sexiste, tout comme la société. Aux Oscar, seules trois femmes ont remporté le prix de la meilleure réalisation pour un long métrage : Chloe Zhao, Jane Campion et Kathryn Bigelow. Bien sûr qu’on peut s’arrêter à la surreprésentation des hommes dans cette catégorie non genrée, mais on peut aussi aller plus loin et favoriser la diversité quand vient le temps de choisir qui réalisera quel film, tant pour les œuvres à petit et à grand budget. Si on veut faire un parallèle avec le monde de la musique, faisons jouer la musique des femmes dans les radios, engageons-les comme têtes d’affiches des festivals et mettons-les en lumière autant qu’on le fait avec les hommes.
Enfin, si vous affirmez que telle actrice et tel acteur mériteraient de gagner cette année, mais que le trophée non genré nous empêchera de célébrer les deux, dites-vous que toustes les finalistes des catégories genrées auraient aimé gagner également et que le public aura toujours des préférences, peu importe le genre, et des déceptions face aux choix finaux.