Sophie Dupuis est désormais bien établie dans l’environnement cinématographique québécois. Après Chien de garde et Souterrain, la réalisatrice propose désormais une incursion dans le monde de la drag avec le film Solo, mettant en vedette Théodore Pellerin, Anne-Marie Cadieux et le Français Félix Maritaud, remarqué notamment dans 120 battements par minute. Le film sera présenté ce mois-ci au Festival international du film de Toronto.
Comment présenterais-tu le film ?
SOPHIE DUPUIS : C’est l’histoire de Simon, joué par Théodore Pellerin, qui est une drag-vedette de la scène montréalaise. Il rencontre Olivier, une nouvelle drag queen qui est arrivée récemment au Québec et qui se joint à leur bar. C’est une rencontre fulgurante et il va se développer une grande histoire d’amour. Ils vont se mettre à créer ensemble, à faire de la drag ensemble et à former un duo. Puis, la relation va devenir toxique, va devenir difficile à vivre pour les deux parties. En même temps, Simon vit le retour de sa mère qui est une grande chanteuse d’opéra qui a quitté le pays (et sa famille) il y a 15 ans pour aller travailler à l’étranger. Simon, qui est jeune quand même, dans la mi-vingtaine, essaie de reconnecter avec elle et c’est difficile. Donc, c’est deux relations difficiles en même temps.
Quelles ont été tes inspirations ?
SOPHIE DUPUIS : Il y avait deux sujets qui m’intéressaient vraiment et pour lesquels je faisais beaucoup de recherche depuis longtemps. Il y a les rouages, les développements, les mécanismes d’une relation toxique. Je lisais beaucoup là-dessus et je trouvais que c’était un beau défi scénaristique. J’avais envie d’aborder ça avec les acteurs : c’est mon gros trip, travailler avec les acteurs. Je pense que c’est ma partie préférée. Je me disais que ça allait être intéressant d’approfondir ça ensemble. Je trouvais ça riche comme base de travail. Puis il y a mon obsession pour l’art [de la] drag qui se développait depuis plusieurs années déjà : pour tout ce que c’est, pour tout ce que ça représente dans la société… Pour moi, c’est des grands artistes, les artistes drags.

À un moment donné je me suis dit : pourquoi pas mettre ces deux trucs-là ensemble ?
Je ne voulais pas faire un film sur l’art de la drag. J’avais envie que ça soit leur environnement, leur passion, leur contexte de vie, mais que ce soit un film d’amour. Donc, quand j’ai mixé ça ensemble, ça a fait un joyeux mélange. Ce qui est intéressant aussi c’est le rapport à l’image. Quand t’es un artiste drag, tu te présentes sur une scène devant public et après ça quand tu es dans une relation amoureuse, tu commences à avoir comme un souci de performance, de bien faire les choses, d’être un bon amoureux. J’aimais […] aussi mettre ça en relation, cette sorte de performance-là constante d’un personnage, autant lorsqu’il est sur scène que lorsqu’il est en intimité avec son amoureux.
Quel a été ton plus grand défi dans la réalisation de ce film ?
SOPHIE DUPUIS : Je dirais […] que c’était vraiment tout l’aspect « drag » du film. Parce que, déjà, chacun de mes personnages drag devait construire deux personnages : le personnage de drag et le personnage derrière la drag. C’était comme un peu préparer deux films en même temps, en fait, on se disait parfois, surtout au niveau du CCM (coiffure costume maquillage).
J’ai aussi laissé beaucoup de place aux acteurs. On avait Tracy Trash dans le film, qui est une grande professionnelle, qui a dû créer un autre personnage dans le film, autant dans sa drag que le personnage derrière. Mais chaque acteur a fait des cours de danse avec Gerard Reyes — qui était notre chorégraphe, mais aussi coach — pour explorer la féminité, apprendre à marcher en talons, faire explorer sa physicalité. On voulait que le personnage de drag vienne des comédiens. C’est sûr que moi j’ai imposé des musiques, mais je discutais quand même avec eux pour voir si ça les intéressait, si c’était le genre de performance qu’ils pourraient avoir envie de faire et donc on créait tous ensemble ces choses-là. Ça a été un gros défi, mais c’était tellement fun. C’était jouissif. C’était festif, on était toujours comme un peu dans la célébration, c’était tripant. Puis en plus j’ai tout fait ça avec une jambe cassée ! C’était un défi de plus. Avec du recul, tout le monde on se demande comment j’ai réussi à faire ça. J’étais tellement heureuse et passionnée de faire ça, on dirait que ça m’énergisait. Je pense que le film a aidé à ma guérison plus que ma jambe cassée a nui au film.
Ton film porte une attention particulière aux relations frère-sœur. D’où t’est venu
cet intérêt ?
SOPHIE DUPUIS : Moi, je suis enfant unique, mais ça a toujours été quelque chose qui m’a fasciné, les relations fraternelles. J’ai des beaux exemples de belles et magnifiques relations fraternelles ou entre sœurs. Des relations très proches, très bienveillantes, douces, pleines d’amour… J’idéalise ce genre de relation-là parce que je l’envie. Je voyais cet amour-là qui dépasse beaucoup le jugement, on dirait que c’est un lien très fort difficile à défaire, à déconstruire. J’avais envie que Simon ait ce point de repère-là dans sa vie : quelqu’un qui allait l’aimer, même s’il fait des erreurs. Parce que souvent, ce qui arrive, c’est que les gens qui vivent des relations toxiques vont perdre beaucoup de bonnes relations saines autour d’eux et s’isoler. Je l’aime beaucoup le personnage de Maude [la sœur], qui est joué par Alice [Moreault]. Alice voulait faire un hommage à sa relation avec son propre frère.

Ton film a déjà de bons échos auprès des LGBTQ+ ?
SOPHIE DUPUIS : Le film n’est pas encore sorti et je vois à quel point c’est important, et que ce film va faire du bien. Quand je parle avec des gens de l’aspect LGBT de mon film, il y a beaucoup de gens, j’ai l’impression, qui disent « enfin ! » Avec ce film-là, je dis à la communauté queer : « Vous aussi vous faites partie de la culture québécoise ». Parce que ce qu’on voit sur les écrans, ça ne les représente pas vraiment. Ce qu’on voit sur nos écrans, c’est « ah non je suis gai, ah non je découvre que je suis trans, qu’est-ce que je vais faire avec ça ? Est-ce que les gens vont m’aimer encore ? » Là, dans ce film, c’est célébré, ce n’est jamais un problème. C’est une histoire d’amour, point. C’est important qu’on décide de financer et de produire ça.
Si tu avais à faire un spectacle de drag, tu choisirais quelle chanson ?
J’avais le fantasme de faire un numéro de drag pour le wrap party sur Nasty de Janet Jackson. Toxic de Britney Spears — surtout avec le sujet du film — ça fonctionnerait. Sinon, Free yourself de Jessie Ware, ou Fais-le encore de ROSE LA MATRAK, une chanson qu’on a utilisée pour la bande-annonce !
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