Le 13 octobre prochain, le chanteur Troye Sivan sortira son troisième album, Something To Give Each Other, mais il a déjà attiré l’attention sur autre chose en juillet dernier : le manque criant de diversité corporelle dans le vidéoclip de sa chanson Rush. Lorsque les internautes lui ont fait remarquer qu’il était seulement entouré de corps minces et majoritairement blancs, il a répondu qu’il entendait les critiques et qu’il ne s’en était pas rendu compte au moment de la création. Une autre preuve éloquente du manque de sensibilité des membres de nos communautés à la diversité… des corps.
Loin de moi l’idée de m’attaquer au jeune artiste en vous invitant à déverser toute la colère accumulée dans votre quotidien sur une cible à bonne distance, sans la moindre nuance. Cela dit, il m’apparait important d’analyser la situation. Devant le tollé, Sivan a répondu à Billboard : « Pour être honnête, ce n’était pas une idée que nous avions — nous ne nous disions évidemment pas “Nous voulons avoir un type spécifique de personne dans la vidéo”. Nous avons simplement réalisé la vidéo, et nous n’y avons pas réfléchi. » Je ne doute pas de la véracité de sa réponse. Troye Sivan n’a pas consciemment exclu un type de personne. Toutefois, il n’a pas considéré l’effet symbolique extrêmement puissant que les images de son clip peuvent avoir.
J’entends déjà plein de gens répliquer qu’on va trop loin avec la diversité et que l’ère dans laquelle nous vivons semble nous obliger à inclure partout la diversité sexuelle, la diversité culturelle, la diversité corporelle, la diversité en ce qui concerne les habiletés motrices (handicaps) ou la neurodiversité. Je trouve toujours ça étrange (lire ici : odieux) d’entendre des voix s’indigner des efforts déployés pour que le plus grand nombre de personnes se sentent représentées et non invisibilisées en société. Chaque fois, j’ai l’impression qu’elles s’opposent à la vertu. Bien entendu, ladite vertu a ses limites. Il faut bien représenter les diversités, et pour ce faire, il faut s’y intéresser pour vrai, impliquer les membres de ces diversités à divers degrés de la création, ne pas les inclure juste pour les inclure et ne pas mal les représenter. Mais finalement, très souvent, un type de diversité n’a pas sa place dans une œuvre.
Revenons au chanteur. S’il n’a pas pensé au caractère homogène de sa distribution, c’est peut-être parce qu’il n’était pas assez sensibilisé à la grossophobie et à la représentation maladroite, voire dégradante, des personnes plus ou moins grosses dans l’espace public. C’est dommage. Parce qu’il a une voix, une tribune et la capacité d’influencer le monde avec son art. Il a donc manqué une occasion de faire progresser la société.
Mais est-ce qu’il mérite qu’on le cloue au pilori ? Non. Est-ce que certaines personnes avaient raison de
critiquer le manque de diversité corporelle en disant aux interprètes : « Mangez quelque chose, bande
d’idiots ! » Bien sûr que non ! Personne n’a la permission de commenter la grosseur, la maigreur ou la minceur d’autrui, encore moins ses habitudes alimentaires. Croyez-le ou non, les personnes minces ont également des complexes corporels. C’était d’ailleurs le cas de Troye Sivan pendant des années…
D’autres me diront que les artistes de la musique mettent de l’avant les corps minces, tonifiés et musclés depuis la nuit des temps, alors pourquoi s’en faire aujourd’hui ? Eh bien, parce qu’on est sur une lancée, parce qu’on est des millions à sortir notre tête de notre cul et parce qu’il est temps de déconstruire tous les carcans, de faire exploser toutes les idées reçues et de révolutionner plusieurs de nos façons de penser. En tant que personnes queers, qui avons osé ne pas suivre le modèle sexuel, relationnel ou de genre de la majorité, nous avons le devoir de continuer de défoncer les portes, plutôt que de nous excuser d’exister, après avoir obtenu quelques gains majeurs et mineurs, en ayant peur de déranger.
Ironiquement, certaines des personnes queers les plus légendaires ne donnent pas l’exemple. Sam Smith a affronté vents et marées pour faire accepter son homosexualité, puis sa non-binarité, en plus de vivre d’énormes fluctuations de poids dans l’œil du public, avant d’assumer ses rondeurs avec fierté. Pourtant, iel-même s’entoure d’une quantité impressionnante de corps minces dans ses clips et ses spectacles. Peut-être qu’iel imagine offrir sa propre représentation des corps qui ne respectent pas les standards, mais on pourrait s’attendre à un minimum d’efforts quand vient le temps de faire briller les autres.
Dans un même ordre d’idée, RuPaul Charles a été ostracisé parce qu’on le trouvait trop noir, trop gai et trop féminin. Maintenant qu’il se trouve au sommet de la gloire, avec énormément de pouvoir, il continue d’engager des membres du Pit Crew taillés au couteau, alors que certaines franchises de Drag Race à l’international donnent dans la diversité corporelle, au plus grand plaisir des fans. L’idée n’est pas d’ajouter un fardeau supplémentaire sur les épaules des queers en déresponsabilisant les hétéros-cis. Mais il est grand temps que nos communautés changent leur regard sur la visibilité des corps. De tous les corps.