Neuf femmes artistes basées au Québec sont réunies dans le cadre de l’exposition femmes volcans forêts torrents, présentée cet été au Musée d’art contemporain de Montréal (MAC). Le but ? Établir un pont entre l’art et le territoire, l’environnement, afin de mettre en évidence un regard nouveau sur notre relation avec les éléments naturels et de provoquer des réflexions sur nos écosystèmes. Parmi ces femmes se trouve Sabrina Ratté. Connue pour ses œuvres numériques et ses expériences immersives, l’artiste présente une installation mélangeant son et art numérique et mettant de l’avant des spécimens végétaux, le tout dans une atmosphère futuristique. L’œuvre, intitulée Floralia, vient d’être acquise par le MAC.
Tu as étudié en cinéma, mais tu es actuellement une artiste visuelle. Sens-tu que les cinéastes ont bien leur place au sein du monde de l’art contemporain et de l’art visuel ?
Sabrina Ratté : Je ne viens pas vraiment du monde du cinéma. J’ai fait mes études là-dedans, et je suis allée à Concordia justement parce que le département de cinéma faisait partie du département des beaux-arts, alors qu’à l’UQAM le département de cinéma est dans le département de communication. Il y avait cette approche artistique. Le cinéma est quand même dans sa propre bulle. Il y a une tendance à vouloir rendre les limites plus poreuses, mais je sens qu’il y a en effet une petite forme de séparation. D’être dans une expo comme celle du MAC, pour moi, c’est la preuve que l’art numérique n’est plus juste dans les festivals comme MUTEK et Elektra, qui font un super boulot. Tout se mélange en fait. On commence enfin à voir que l’art numérique, c’est de l’art contemporain aussi.
Ton œuvre Floralia traite de la nature et de l’environnement. Penses-tu que son exposition au MAC, à la Place Ville-Marie, en plein centre-ville de Montréal (et donc en milieu urbain) affecte son interprétation ?
Sabrina Ratté : Définitivement. Ça influence nécessairement l’expérience qu’on en fait.
Particulièrement Floralia, que j’ai présentée dans des contextes très différents. Je l’ai par exemple présentée à OASIS, l’expérience immersive, ou sur le mur d’un bâtiment en France. Le MAC à Ville-Marie a ses propres contraintes techniques, mais ça fait partie de la game et ça permet d’être plus créatif, il faut voir ça positivement ! [Dans ce cas-là,] ça fait une expérience plus intime avec l’œuvre.
Tu as révélé que ton œuvre Floralia a été inspirée de Donna Haraway, d’Ursula Le Guin et de Greg Egan, des auteurs de science-fiction. Puises-tu ton inspiration dans la littérature, notamment par crainte d’être trop influencée par l’art visuel des autres ? Comment se forgent tes inspirations ?
Sabrina Ratté : Quand j’ai commencé — dans les alentours de 2010 — à vraiment faire de l’art numérique, j’étais vraiment influencée par des artistes contemporains, mais plutôt pionniers de l’art par ordinateur et d’art vidéo, comme Lillian Schwartz. Je pense que, d’une certaine manière, j’apprenais mon langage et j’apprenais par ceux qui ont déjà creusé leur sillon. C’étaient mes professeurs, en quelque sorte. Une fois que j’ai senti que [je commençais] à développer un langage avec la forme et que [j’étais] un peu plus à l’aise, j’ai commencé à plus m’intéresser à l’architecture, par exemple. Je me disais : « Ah ! Je veux faire des lieux, des endroits immersifs, j’ai envie de traverser l’écran et d’aller vivre dans cet univers-là. » C’est comme si, finalement, une fois que j’étais assez en confiance avec mon médium, ça m’a comme ouvert plein de portes sur d’autres types d’inspiration. Et là, je pense que je suis rendue plus à la biologie, à l’évolution de la vie. Je trouve qu’il y a tellement de liens à faire avec l’art numérique et l’intelligence artificielle. C’est pas par réaction ou par peur d’être influencée par d’autres artistes, mais vraiment parce que je trouve que le médium artistique est un portail vers d’autres intérêts auxquels je n’aurais pas été naturellement
attirée sans avoir travaillé avec la vidéo.
L’exposition femmes volcans forêts torrents traite des enjeux environnementaux et de l’écologie. Es-tu optimiste face à l’urgence climatique ?
Sabrina Ratté : Je ne pense pas. (Rires.) Je pense que c’est un peu difficile d’être optimiste dans notre situation actuelle. C’est quand même une question que je me suis posée quand j’ai fait Floralia, justement parce que cette œuvre-là représente un tournant pour moi.
Pendant la pandémie, j’avais beaucoup de réflexions sur l’écologie. Je me suis dit que j’avais envie de creuser davantage et de savoir comment approcher ces questions-là qui sont super angoissantes. Les attitudes face à ces questions-là sont super extrêmes : [soit] on est dans l’apocalypse et c’est la fin du monde, [soit] il y a du monde qui nous disent que la technologie va nous sauver, ou [soit] il y a plein de gens qui sont dans le déni et qui vont dire que ça n’existe pas, le réchauffement climatique… Je me suis dit : « C’est quoi l’attitude qu’il faut avoir face à ces réalités-là ? », et la réponse n’est évidemment pas claire et simple. C’est des questions tellement vastes et intéressantes. Moi, plus […] je lis là-dessus, plus j’apprends à dealer avec ma propre petite vie individuelle. Un titre de Donna Haraway c’est Staying with the trouble, habiter le trouble. Je pense que c’est tellement la meilleure attitude, en tout cas pour moi : apprendre à vivre avec cette réalité-là, tout simplement, et faire ce qu’on peut.
Et qu’en est-il des femmes en art ?
Sabrina Ratté : Je suis plutôt optimiste. Je vois beaucoup beaucoup de progrès qui se fait. Je pense que c’est sûr que ça dépend des milieux. En tant qu’artiste à Montréal, je suis dans un milieu privilégié pour ça. Mais il y a évidemment toujours du travail à faire. Il faut continuer à « vivre avec le trouble » à ce niveau-là aussi. Il y a du progrès qu’il faut quand même souligner, et l’expo est géniale parce que ça met de l’avant plein d’artistes femmes talentueuses dans une institution prestigieuse, donc c’est la preuve que le travail continue à se faire !
INFOS | L’expo collective femmes volcans forêts torrents est présentée dans les locaux temporaires du MAC à la Place Ville-Marie jusqu’au 18 août 2024.
https://macm.org