Je suis généralement contre l’idée que les hétéros interprètent des personnages homosexuels, mais deux acteurs sont en train de me faire changer d’idée. La façon dont jouent Paul Mescal, dans le film All of Us Strangers, et Éric Bruneau, dans la série In Memoriam, est une leçon pour tous les straights qui essaient sans succès de nous représenter à l’écran.
Puisque la première phrase de ma chronique a certainement fait monter plein de monde dans les rideaux, commençons par un résumé de ma posture initiale. Dans un monde idéal, où les injustices en société n’existeraient plus, on pourrait affirmer que n’importe quel acteur devrait pouvoir jouer un gai, peu importe son orientation sexuelle, parce que son travail est de se glisser dans la peau d’autrui. Pourtant, cette idée ne passe pas le test du réel pour deux raisons.
La première : il existe encore une homophobie extrêmement dommageable dans l’industrie du cinéma et de la télévision. Les acteurs gais prennent un risque en affichant publiquement leur orientation sexuelle : cette simple information peut convaincre plusieurs personnes en position de pouvoir — et dans le grand public — qu’ils ne sont pas crédibles pour jouer les hétéros. Ce qui peut les mener au chômage ou les cantonner à des rôles queers qui, même s’ils sont plus diversifiés qu’avant, n’offrent pas encore les nuances des personnages hétéros. Donc, moins de défi.
Sachant que leur carrière peut plafonner ou décliner s’ils sont ouvertement gais, plusieurs acteurs se concentrent sur les rôles d’hétéros en tentant de cacher les traits de leur homosexualité en auditions durant les portions hors personnage, ce qui les rend moins naturels que leurs collègues, donc moins intéressants. Et s’ils font un aussi bon travail qu’un acteur hétéro, ils seront parfois mis de côté, parce que leur popularité est moins grande ; popularité qui, ne l’oublions pas, est largement alimentée par les portions de vie privée qu’on partage dans les magazines, sur les réseaux sociaux et sur les tapis rouges ; trois milieux où les acteurs gais dans le placard filtrent plus que les hétéros le contenu qu’ils partagent.
Évidemment, certains acteurs queers jouent des rôles d’hétéros avec succès et semblent contredire tout ce que je viens d’écrire. Pensons à Neil Patrick Harris (How I Met Your Mother), Cynthia Nixon (Sex and the City), Luke Evans (The Hobbit), Jodie Foster (The Silence of the Lamb) ou Jonathan Bailey (Bridgerton). Mais n’oublions jamais que l’argument des exceptions ne sera jamais aussi fort que l’écrasante quantité de queers dans le placard d’hier à aujourd’hui.
Deuxième raison soutenant mon opinion initiale : les hétéros qui jouent des homos sont rarement crédibles. Soit parce que certains détails de leurs personnages offrent une représentation stéréotypée qu’ont laissé passer les scénaristes, réalisateurs, producteurs, diffuseurs ou patrons de studios qui n’ont pas assez de personnes queers dans leur entourage pour avoir une vision nuancée des communautés arc-en-ciel. Soit parce que les straights sont incapables de reproduire l’attirance intangible qui doit se dégager entre deux partenaires. La fameuse chimie nécessaire entre deux personnes qui jouent des partenaires amoureux ou sexuels.
Quand je regarde un film et que je vos deux acteurs se donner un bec sur la bouche sans ce je-ne-sais-quoi qui ne me donne pas l’impression que deux amis ont perdu un pari et qu’ils doivent s’embrasser durant un party de frat boys, je suis déçu. Quand la représentation des ébats sexuels entre deux hommes ne dépasse pas la mécanique hautement chorégraphiée et que je ne suis pas traversé par la moindre pulsion de désir qui redéfinirait la forme de mes sous-vêtements, je suis frustré.
Cela dit, deux magnifiques exceptions sont apparues dans mon champ de vision récemment. L’hiver dernier, le film All of Us Strangers m’a cassé en deux. Pas seulement en raison de son scénario ultra touchant, mais grâce à la complicité spectaculaire qui unit Andrew Scott, un acteur queer au talent stupéfiant, et Paul Mescal, un acteur hétéro en voie de devenir l’une des plus grandes vedettes de sa génération (on le verra sous peu jouer dans la suite de Gladiator). En plus de faire preuve d’une vulnérabilité vertigineuse dans son personnage, Mescal n’a pas peur de vivre de réels moments de tendresse avec Scott. Leur complicité dans le film et lors des entrevues promotionnelles saute aux yeux de quiconque les regarde.
Éric Bruneau m’a laissé une impression similaire dans In Memoriam. Bien entendu, des milliers d’homosexuels ont gloussé à l’idée que le bel adonis joue l’un des nôtres, mais Bruneau prouve à nouveau qu’il est bien plus qu’une belle gueule ! Sa sensibilité fait du bien à l’âme. Sa façon de toucher Thomas Antony Olajide, qui interprète son copain, est empreinte de sincérité. Et ses scènes de rapprochements dans une salle de bain avec l’acteur Samuël Côté sont un bijou d’intensité sexuelle. Au-delà de leur talent indéniable, Éric Bruneau et Paul Mescal semblent avoir une chose en commun : ils sont assez solides dans leur masculinité et dans leur identité pour assumer leurs émotions et aller jusqu’au bout de leur proposition d’acteurs. Et pour cette raison, j’ai un immense respect pour eux.