Eh oui, la pandémie de la COVID-19 n’a pas épargné le couple gai le plus connu de la bande dessinée : Conrad et Paul. On s’en doute, la libido survoltée de Paul ne s’accorde que peu avec les règles du confinement et le bédéiste Ralf König se fait un malin plaisir à nous en présenter les états d’âme, grands et petits.
Cette nouvelle BD a ceci de particulier qu’elle ne suit pas un plan narratif préétabli, comme le fait normalement Ralf König. Histoire de dérider la population allemande, le bédéiste avait en effet décidé de publier quotidiennement, sur Facebook, quatre planches entre le 18 mars et le 31 octobre 2020. Le présent recueil est donc une petite chronique de la pandémie, passée à la moulinette de l’actualité et des commentaires des internautes de l’époque et transposée dans l’univers de Conrad et Paul.
Rien ne va plus pour Paul. Celui-ci pense tout d’abord que le confinement ne va durer que quelques jours, au pire quelques semaines, et entend donc reprendre au plus vite sa vie sexuelle débridée. Après tout, s’insurge-t-il « les rapports sexuels sont un droit humain ». Quelle n’est donc pas sa consternation lorsque le très prosaïque Conrad lui révèle que ça va minimalement durer plusieurs mois.
Il ne mesure cependant l’ampleur de la crise que lorsqu’il apprend que le concours Eurovision est annulé et il s’écrie alors que c’est le signe de l’Armageddon ! Les premières pages décrivent un quotidien ponctué par la crise du papier de toilette, les théories conspirationnistes, l’écœurantite des recherches de la moindre nouveauté sur Netflix, mais également sur la redécouverte d’une intimité imposée. Paul expérimente bien le sexe sécuritaire extrême en baisant via Zoom, mais il n’y trouve qu’un plaisir modéré. Après quelques pages, un fil narratif se dessine lorsque, au détour d’une visite au supermarché, Paul découvre que l’homme le plus viril d’Allemagne y travaille comme gérant et porte le nom prédestiné de M. Canon !
Il n’en faut pas plus pour que ses amis fassent la queue devant l’épicerie afin de mater l’Apollon à distance ou, pour les plus téméraires, lui demander où se trouve le beurre. C’est d’ailleurs l’engouement du public pour l’épicier balaise qui a amené le bédéiste à le développer et à faire de cette intrigue l’un des moteurs principaux de la BD. Paul tente bien de sublimer sa fascination pour M. Canon en contemplant avec nostalgie sa collection de dick pic, mais c’est peine perdue. Il est également rongé par le doute puisqu’il est dans la cinquantaine : comment un jeune trentenaire pourrait-il s’intéresser à lui.
À moins de l’appâter en l’incluant dans un de ses romans de SF érotiques ? La BD est toujours traversée d’une bonne dose de critique sociale, même si certaines références sont parfois difficiles à saisir pour un public nord-américain. À l’époque, les impératifs d’une publication quotidienne ne permettaient pas de développer la psychologie des personnages avec son envergure habituelle. On peut d’ailleurs regretter que Conrad y tienne un rôle plus effacé. Malgré certains temps morts, l’ensemble constitue une véritable capsule temporelle de l’année 2020, incluant une délicieuse mention de Donald Trump, et offre des éclats de rire francs, de même que des moments plus dramatiques ou tendres, notamment une conclusion très romantique entre les deux personnages-titres.
INFOS | Conrad et Paul : le temps d’un virus / Ralf König. Paris : Glénat, 2024, 192 p.