Lorsque Gabriel Cholette apprend que les queers et les trans envahissent le skatepark du Mile End, tard les jeudis soir, il découvre une bulle qui flotte dans une mer hétéronormée. Il consomme des drogues qui le font basculer. Et il fait des rencontres qui ravivent des souvenirs amoureux et familiaux parsemés de violence. Trois ans après Les carnets de l’underground, l’écrivain vous invite au Straight Park (Éditions Tryptique).
Tu écris que « La pensée profonde se pense lentement ». Est-ce que l’écriture te prend du temps ?
Gabriel Cholette : Chaque fois que je commence un projet, j’ai l’impression de devoir réapprendre à écrire complètement. Le livre m’a donc vraiment posé des défis. Heureusement, j’ai été accompagné par l’éditeur Nicholas Dawson qui m’a beaucoup aidé à peaufiner l’écriture. On a fait huit versions de travail. La phrase que tu cites, je la disais car pendant la pandémie, j’ai vécu beaucoup d’anxiété. Ça bloquait mon écriture parce que j’avais trop de jugement critique. Quand je me permettais d’aller au fond de moi, c’est là que les choses émergeaient.
Pourquoi as-tu eu envie de camper un livre dans les soirées LGBTQ+ du skatepark ?
Gabriel Cholette : Ma première visite a déclenché une étincelle en moi. J’ai perçu quelque chose de très familier pour la communauté LGBTQ+ : le sentiment d’avoir toujours à dépasser les frontières. À ce moment-là, j’ai remarqué dans ma vie une scission entre le jour et la nuit. La façon dont je me présentais au travail et les discussions que j’avais étaient complètement différentes de la nuit. Pour moi, c’était une frontière. Quand j’ai découvert ce qui se passait au skatepark, je considérais que ça en disait plus que ce que c’est : ce regroupement en temps pandémique dans un milieu sportif masculin témoigne d’un manque d’espace pour les personnes trans et queers et d’un besoin de transgresser.
Même si vous faites les mêmes manœuvres que les skaters straights, vos looks et votre musique sont différents. Tu as d’ailleurs craint de les déranger.
Gabriel Cholette : J’ai longtemps été un garçon qui a eu peur des représailles et j’ai été happé par un sentiment d’imposture dès qu’on m’a dit qu’on irait au skatepark. Ça évoquait chez moi des souvenirs de l’adolescence, comme les skateux qui fumaient des joints en sortant de l’école. Mais ça m’excitait aussi. Le skateux est un symbole de la sexualité. C’est le gars sexy qui me faisait peur et qui m’attirait en même temps. Cela dit, les personnes trans sur place ont été des modèles positifs pour moi avec leur bravoure. Elles me montraient que je pouvais confronter ma peur.
Les habitué.e.s te font remarquer que tu t’écroules peu après chacune de tes arrivées en raison de ta consommation. Tu écris prendre de la drogue pour perdre ta sévérité de garçon effrayé. Pourquoi avoir pris cette voie ?
Gabriel Cholette : Avec la drogue, j’essayais de faire taire cette petite voix de jugement. J’ai été attiré par la drogue comme une mouche l’est par la lumière. Au début, ça teintait mes soirées d’un sentiment de grâce. Ça me permettait de sortir de moi-même et de découvrir mes plaisirs à l’extérieur des jugements hétéronormatifs. Puis, assez vite, je me suis rendu compte que j’utilisais les drogues pour contrer mon malaise social. Cette gêne vient de quand j’étais enfant et que mon père me criait après : ça voulait dire qu’il y aurait une punition si je sortais du cadre.
Sur les lieux, tes rencontres te replongent dans plusieurs souvenirs amoureux teintés de violence, de non-consentement et de honte. Comment décrirais-tu ton schéma relationnel ?
Gabriel Cholette : Quand on a un père colérique, ça crée des enfants très empathiques avec beaucoup d’écoute. Ça attire vers nous des gens qui ont besoin de notre oreille, qui ont souvent des traumas personnels à régler et qui reconnaissent en nous une forme d’écoute très profonde. Ce sont des gens qui ont généralement un grand vide à combler et qui peuvent être explosifs. Je pense que j’ai daté des figures ressemblant à mon père plusieurs fois durant la vingtaine.
Tu constates que tu te transformes pour plaire et pour répondre aux attentes, en cachant aux autres ce que tu ressens et ce que tu penses. Combien de temps peut-on maintenir ce modus operandi avant d’imploser ?
Gabriel Cholette : On peut maintenir ça jusqu’à 28-29 ans, sans vouloir être âgiste. Je l’observe chez beaucoup de mes amis. Ce livre, je l’ai écrit sur mon expérience personnelle, mais si j’ai eu envie de le faire, c’est aussi parce que je sens une grande tristesse autour de moi et beaucoup de problèmes de dépression chez les hommes gais. On vit avec énormément de pression. On oublie parfois que, même si on est des garçons, on a aussi un côté féminin très fort qui demande à s’assumer. Vers la fin de la vingtaine, il y a quelque chose qui ne se peut plus. Et c’est quand ça craque que la lumière passe au travers.
INFOS | Cholette, Gabriel, Le straight park, Éditions Triptyque, Queer, 2024, 126 p.