Je ne pensais jamais prononcer ces mots-là. Mes parents ne m’ont jamais vu venir et mes amis étaient sur le cul quand je leur ai annoncé : je quitte Montréal après 18 ans. Moi, l’Abitibien qu’on surnommait le « gars de la ville » quand je vivais à Amos, je délaisse la métropole à laquelle j’ai tant rêvé.
Quand je visitais Montréal en famille à huit ans, pris quelque part entre le planétarium, le Centre Eaton, pis un match des Expos, à une époque où mes hormones n’étaient pas encore assez réveillées pour me concentrer sur le paquet des joueurs et compenser le fait que c’est le sport le plus ennuyant de l’histoire, je sentais qu’on allait faire un bout ensemble un jour.
J’ai d’abord fait un détour avant de m’établir dans la grande ville. Quelques semaines après mon 17e anniversaire, j’ai déménagé ma vie dans une petite chambre des résidences étudiantes de Jonquière pour étudier en journalisme. Pas seulement parce que je rêvais d’écrire dans La Presse ou de prononcer « Ici Samuel Larochelle, Radio-Canada, Montréal », mais aussi parce que j’avais entendu dire que mon programme était plein d’homosexuels. Asti que j’ai été déçu! Après trois ans d’études à Jonky town et trois dates sans même un p’tit bec sua bouche, j’ai déménagé vers Montréal, la ville aux milles théâtres, la ville de mon futur professionnel, la ville où le monde est pas tout blanc pis hétéro.
Peu à peu, j’ai appris à frencher, j’ai regardé un film collé pour la première fois, j’ai (enfin) découvert la sexualité et j’ai pris la pleine mesure de l’expression : « être un gai de 19 ans dans grand’ville! » Je faisais du dating un travail à temps partiel. Je rencontrais six de mes amis par semaine. J’allais voir au moins cinq spectacles par mois. Je découvrais les quartiers les uns après les autres, sauf quand on m’invitait dans Hochelaga à la nuit tombée, parce que j’avais entendu trop d’histoires dramatiques aux nouvelles.
Montréal, c’est ici que j’ai assisté aux Francos, au Jazz, à Complètement Cirque, au tournoi de tennis et à la Fierté. J’ai vécu dans le Village, dans Rosemont et… presque quinze ans dans Hochelaga sans avoir peur de marcher tout seul le soir venu, parce que le quartier me faisait penser à une petite ville de région et parce que je ne pouvais quand même pas me priver de tous les gais dans Hochelag!
Pendant la pandémie, je me suis mis à rouler des kilomètres partout sur l’île, de Pointe-aux-Trembles à Beaconsfield, en passant par le bar près du Canal Lachine et la crème à glace devant le métro Papineau. Montréal, plus je voyais ta verdure, plus je réveillais le gars de région qui dormait à moitié à l’intérieur de moi. Plus je roulais près de ton fleuve, dans tes clairières et sous tes arbres, plus mon corps criait qu’il en voulait davantage. Moi, l’Abitibien allergique à toute, au pollen, aux graminées pis aux animaux. Moi qui voyais dans le béton une invention qui me sauvait la vie. Moi qui gloussais à l’idée de ne pas voir de moustiques qui aiment piquer les grands blonds bouclés avec trop de sucre dans le sang. Je commençais à réaliser que je ne voyais plus les étoiles depuis trop longtemps.
Depuis l’été 2020, je sens quelque chose bouger en moi. Les festivals avec leurs foules immenses me font faire de l’anxiété rien qu’à y penser. J’ai des envies de meurtre chaque fois que je croise un.e hosti qui utilise son cellulaire sur haut-parleur dans les lieux publics. Même si je n’entends jamais mes copropriétaires, je ne veux plus avoir de voisins. Je ressens le besoin d’avoir un permis de conduire, j’achète mon premier char pour aller donner des shows en régions, pis il suffit que je sois pris dans le trafic une fois pour que je remette en question ma place sur terre. Je trouve qu’il y a trop de bruit, trop de lumière, trop de voitures, trop de monde.
Pendant des mois, j’utilise ma tête comme un missile tête chercheuse. Je regarde tout ce que Centris a comme annonces. Je visionne neuf saisons de Vendre ou rénover pour savoir quoi ne pas faire comme décoration et comment ne pas avoir un couple qui se parle comme de la marde. Je consulte tous mes proches pour trouver des réponses à mes questions existentielles : Est-ce que moi, Samuel Larochelle, citadin devant l’éternel, je vais quitter Montréal? Est-ce que je vais m’éloigner de mes amis, alors que ça fait dix ans que je vois nos relations s’effriter, depuis qu’iels ont des bébés, des grosses jobs et qu’iels se valorisent de façon exagérée dans leur couple? Est-ce que je vais mettre des kilomètres entre moi et la queerness qui respire à tous les coins de rue? Est-ce que je vais survivre dans une région en tant qu’homosexuel qui a souvent les cheveux longs, parfois les ongles vernis et des vêtements un brin colorés? La réponse est oui. Je n’y arrive plus ici. Je m’en vais.