Mercredi, 12 février 2025
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    Pierre Lapointe, cœur abîmé à découvert

    En plus d’être prof de musique à Star Académie cet hiver, Pierre Lapointe lance 10 chansons démodées pour ceux qui ont le cœur abîmé, titre d’un album aussi vulnérable qu’époustouflant qui nous habitera encore longtemps.

    Tu es apparu dans le paysage musical en empruntant des codes à la vieille chanson française, mais j’ai l’impression que tu te renouvelles constamment.
    Pierre Lapointe : J’ai toujours voulu faire évoluer la chanson. Punkt était un exercice où on faisait tout exploser. Sentiments humains, c’était plus glam rock. Dans La forêt des mal-aimés, j’explorais jusqu’à quel point je pouvais être pop, avec des sons électros qu’on entendait peu dans ce temps-là et des trucs ringards dans lesquels je pigeais allègrement. Ça faisait de moi un chanteur très post-moderne. Je mélangeais plein de vieilles affaires pour faire du nouveau.

    Qu’en est-il de ton nouvel album ?
    Pierre Lapointe : Je l’ai écrit sans m’en rendre compte. Durant la pandémie, je me suis enfermé pendant une semaine, sans chum et sans amis. J’écrivais presque jour et nuit sans savoir quelle heure il était. Puisque j’avais déjà le matériel pour enregistrer l’album Chansons hivernales, j’écrivais pour passer le temps et pour offrir les chansons à des artistes qui chantent mieux que moi. Je me suis inspiré de Brel, Aznavour, Michel Legrand, Nina Simone, David Bowie. Un jour, à Paris, alors que je passais du temps avec Julien Clerc, Carla Bruni et Mélissa Lavaux, j’ai réalisé qu’ils aimaient mon travail, parce que je fais de la musique française plus que les Français osent en faire désormais. J’ai ensuite dit à mon gérant que je ne donnerais pas mes chansons qui dorment et que j’allais faire un album de chanson française à l’ancienne.

    Qu’ont-elles de démodé, ces 10 chansons ?
    Pierre Lapointe : Leur facture. Le fait de construire des textes de façon aussi rigoureuse et d’arriver avec une structure composée de couplets, ponts et refrain, c’est rétro, quand on compare avec le hip-hop qui occupe les premières places des palmarès. Mais déjà, être démodé, c’est quoi en ce moment ? Sur les réseaux sociaux, le vintage est vraiment à la mode et les images de toutes les époques se mélangent. L’idée de courants me semble de moins en moins vraie. J’ai toujours dit que le meilleur moyen de ne pas être démodé était de ne pas être à la mode.

    Tu parles de tes idoles déjà mortes et de la volonté de les imiter. Qui as-tu tenté d’imiter ?
    Pierre Lapointe : Les Dadas et Jean Cocteau. Au fond, tout le monde essaie de correspondre à une image et d’en jeter plus à la gueule des gens. Mon métier, ce n’est que ça. Avant mes débuts, je marchais en jogging sur Mont-Royal, je vivais dans un petit 4 et demi et je travaillais, six mois avant, comme concierge dans un foyer de personnes âgées. Lorsque le premier album est arrivé, les gens m’appelaient « monsieurrrr » et me parlaient en poésie. Je me suis fait prendre par le personnage que je projetais publiquement.

    Photo: Kelly Jacob

    Comment est-il né ?
    Pierre Lapointe : Quand j’étudiais en théâtre à Saint-Hyacinthe, on a fait l’exercice du neutre pour savoir ce qu’on dégage sans effort et tout le monde disait que je pourrais jouer un prince, alors qu’on venait de faire plein de jokes de cul et que j’étais habillé en jogging. Plus tard, quand je suis arrivé sur scène pour chanter la première fois, j’étais si stressé que j’ai décidé de m’habiller avec un habit sixties trop serré, je suis arrivé pieds nus et je n’ai rien dit. Les gens ont compris que j’étais sûr de moi et que je faisais de la scène depuis des décennies, alors qu’à l’intérieur, je me décomposais. Quand est venu le temps de promouvoir le premier album, je suis resté dans cette veine-là. En écoutant « Comme les pigeons d’argile », je ne peux m’empêcher de comparer cette vulnérabilité très claire aux métaphores, parfois abstraites, parfois directes, de tes débuts. Pierre Lapointe : Aujourd’hui, je peux me révéler, mais je ne le fais pas toujours. Quand j’ai parlé de la maladie de ma mère dans La Semaine, on m’a demandé des photos d’elle, mais j’ai refusé. Je reste pudique. On n’a jamais vu mon chum ni ma maison. Cela dit, à mes débuts, j’avais un univers émotif anormalement riche qui nécessitait beaucoup de gestion. Ça avait besoin de sortir, mais je n’avais pas le recul pour parler de mon vécu assez rough. J’ai donc décidé de faire comme un peintre qui travaille la matière, avant de commencer à illustrer des choses : je pensais que si je touchais les gens en restant abstrait dans mon écriture, j’allais un jour les faire brailler en utilisant des images précises. J’ai travaillé comme ça pour les premiers albums, le temps de vivre ma vie et de devenir un vrai adulte.

    Qu’est-ce qui t’a fait franchir cette étape ?
    Pierre Lapointe : Ma dépression à 26 ans quand je vivais mon plus gros peak, La forêt des mal-aimés. Je n’étais plus capable de marcher, je m’endormais et je me réveillais en pleurant. C’était atroce. Peu à peu, ça m’a aidé à devenir un peu plus adulte. Vers 37 ans, j’ai commencé à me sentir bien. C’est pour ça que je suis capable d’écrire des chansons aussi vulnérables et que je joue avec la création sans la sacraliser. Je suis dans une dynamique de jeu.

    À quel point est-ce vertigineux de savoir que les gens voient ce que tu as dans le cœur ?
    Pierre Lapointe : J’ai toujours parlé de moi. Dans  Le lion imberbe , je parlais de quelqu’un qui n’est pas bien nulle part. Tel un seul homme, c’est le fondement de ma personne : l’enfant de 5 ans qui réalise qu’il va mourir et qu’il est inutile. Ça m’a libéré de l’écrire, car pour la première fois, j’avais réussi à faire du beau avec ce sentiment qui m’habitait depuis toujours et qui me suit encore.

    Tu affirmes aussi qu’il y a un mythe de la sincérité autour des personnalités publiques.
    Pierre Lapointe : On a souvent l’impression que les gens sont vrais parce qu’ils montrent leur appartement. Moi, j’ai quand même fait la chanson Quelques gouttes de sang où je dis à la personne qui m’a laissé qu’elle n’a pas le droit parce qu’on ne laisse pas quelqu’un comme moi (comme un enfant qui dit : « Je vaux plus cher que tout le monde »), que je me branle tous les soirs en pensant à lui et qu’il m’appartient encore pendant ce temps-là. Ça, c’est de l’intimité. Je reste très pudique sur des détails futiles, mais quand vient le temps de parler d’émotions, je n’ai aucune pudeur.

    La maladie de ta mère génère-t-elle une urgence de dire certaines choses en création ?
    Pierre Lapointe : J’ai toujours senti cette urgence, mais maintenant, je vis concrètement la peine d’une perte de quelqu’un qui m’est cher, une perte de contrôle et le deuil d’une forme de relation que je n’aurai jamais avec elle. Je suis très proche de mes parents, mais notre relation ne ressemble en rien à ce que j’aurais voulu. Même chose pour eux, je pense. N’empêche, cette urgence de vivre, je l’ai depuis que je suis enfant. Elle est en phase avec mes moyens aujourd’hui. Quand j’ai eu la nouvelle, j’animais le Premier Gala de l’ADISQ et j’avais une migraine qui a duré deux jours et demi. Mon manager m’a dit que j’étais peut-être en choc post-traumatique : je venais de placer ma mère dans un foyer. Il m’a suggéré d’arrêter un peu.

    L’as-tu écouté ?
    Pierre Lapointe : J’ai appelé ma comptable pour savoir si je pouvais arrêter de travailler durant un an. Je me suis mis à créer sans pression et à voyager. J’arrivais parfois à la maison le vendredi et j’annonçais que je partais mardi à Paris ou à Londres pour me ressourcer. J’ignorais si l’argent que je dilapidais allait revenir, mais tant pis. Je ne suis pas millionnaire, mais j’avais besoin de me reposer et de faire la paix avec les événements. J’ai aussi reconnecté avec le dessin dans cette période-là, alors que ma mère rêvait de devenir artiste visuelle : quand elle a commencé à disparaître, j’ai pris le relais en me donnant le droit d’y aller.

    L’album contient une conversation avec la mort et une chanson dans laquelle tu réfléchis à ce qu’il advient des petits et grands moments qui nous composent. Quel est ton rapport avec la mort ?
    Pierre Lapointe : Enfant, j’étais suicidaire. J’avais beaucoup de difficulté à l’école. Le jour où j’ai réalisé que je n’étais pas stupide, mais que je ne cadrais pas dans cette boîte-là, j’ai dit à mes parents : « Préparez-vous, il n’y a plus rien pour m’arrêter. » Quand mon prof de français-théâtre en secondaire 4 m’a vu jouer, il m’a gardé après un cours pour savoir ce que je voulais faire plus tard. J’ai dit que j’envisageais peut-être de jouer. Il a proposé de me coacher pour les auditions dans les écoles. Je suis entré à Saint-Hyacinthe. Une autre prof m’invitait à aller au musée avec elle. Une chance que j’ai eu ces gens-là.

    En quoi ta musique connecte-t-elle davantage avec les gens qui ont le cœur abîmé ?
    Pierre Lapointe : Tout le monde a le cœur abîmé. On a tous une blessure et des rêves inassouvis. On se fait tous un petit personnage socialement acceptable pour se donner confiance, mais on est tous à la même place. Par contre, quelqu’un qui ne fait pas d’introspection, qui n’est pas intéressé à voir un psy et qui pense que les autres ont toujours tort ne sera pas interpellé par mes chansons. À la blague, je dis que c’est quasiment un album de croissance personnelle pour apprendre à être bien. Pourtant, c’est ce que je fais depuis le début.

    INFOS | L’album 10 chansons démodées pour ceux qui ont le cœur
    abîmé est disponible depuis le 24 janvier 2025.
    Pierre Lapointe est professeur à STAR ACADÉMIE, sur TVA et TVA+ dès maintenant.
    https://pierrelapointe.com

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