QUESTION D’ÉTIQUETTES ET DE MOTS NOUS IDENTIFIANT
Quel mot nous définit? Comment vous décrivez-vous quand on vous demande “Cou’donc, es-tu comme ça?” Aimeriez-vous que l’on fasse un ménage dans nos étiquettes? Lors du Forum des gais et lesbiennes tenu au printemps dernier, des jeunes ont discuté de la difficulté de se retrouver avec les mots qui nous identifient. Pour la majorité des filles, le mot “lesbienne” est vieillot et représente une image de femmes démodées. Elles voudraient trouver un mot qui les représente dans leur dynamisme. Les jeunes gars aiment le mot “gai”, qui les représente sous une image agréable, mais regrettent que, parfois, on ne retient que le côté “trop sauté” du mode de vie. Les bisexuels et les trans, qui ont de la difficulté à s’identifier dans la communauté des gais et des lesbiennes, se retrouvent encore moins dans ces mots… Ils voudraient donc, comme il est de bon ton dans la communauté depuis toujours, trouver un mot qui nous définit avec nos distinctions, nos modes de vie. En anglais, le mot “queer” semble faire l’unanimité. Pour exprimer la même chose, des jeunes proposent maintenant le terme “allosexuel”.
Le mot queer désigne tout une variété d’individus qui ont en commun d’avoir des comportements “hors norme”, ne faisant donc pas de distinction entre le masculin et le féminin. Son utilisation, tout d’abord aux États-Unis puis en Europe, «est l’appropriation d’une insulte, volée aux homophobes, puis transformée en outil d’identification positive», écrit Hilde sur le site e-sappho. «Le terme queer est très utilisé en Europe, peut-être parce qu’il décrit un très large éventail de gens qui ont toujours eu de la difficulté à se faire reconnaître dans leurs différences», précise Line Chamberland, sociologue.
Quelques personnes, avec en tête les jeunes dynamiques du Projet-ACE de Lanaudière, ont donc proposé le terme “allosexuel”. Sur leur site, le mot est utilisé sans équivoque, avec une note explicative au début et hop! la visite continue.
Au contraire de queer, qui est l’affirmation de notre spécificité, une façon de dire «nous ne sommes pas de charmantes personnes qui veulent vivre discrètement pour ne pas choquer la masse», le mot “allosexuel” est une normalisation par la base, un dénominateur commun. En utilisant le suffixe “sexuel”, on y limite sa définition, son essence. Le préfixe “allo”, qui veut dire ni un ni l’autre, décrit bien une catégorie de gens qui ne sont pas hétérosexuels.
«Je dis bravo à ces jeunes qui ont eu l’ingéniosité de trouver un mot inclusif, innovateur», souligne Line Chamberland. On sait qu’il y a belle lurette que des militants tentent de trouver un mot rassembleur qui veut dire de manière positive, bizarre, inattendu, singulier.
«Attention, avec le mot queer, on veut dire ici tous ceux qui sont différents des hétérosexuels conformistes. Ceci est très important. Il s’agit des lesbiennes, des gais, des bis, des travestis, des trans et de ceux qui partagent leurs idées… enfin, de tous les marginaux et leurs sympathisants, soit tous ceux qui sont présents au défilé!» souligne Michel Dorais, auteur de La diversité sexuelle. «Et pour une fois, c’est une appellation non négative qui est mise de l’avant!» dit-il!
Selon Eve Kosofsky Sedgwick dans son étude Construire des significations Queer, parue en 1998, à la base, le terme queer définit tout ceux qui se définissent avec des caractéristiques hors du commun (hommes se définissant comme lesbiennes, lesbiennes qui couchent avec des gars sans être bi, hommes féministes, etc.) et ceux qui refusent les cloisonnements. Les queer sont également ceux qui ont réagi au mouvement gai, à partir du début des années 90, qu’on a vu se transformer en marché gai, histoire de mieux se faire accepter dans la société.
Les mots crus
Les mots et les définitions ne cadrent pas pour tout le monde : il y a des gens qui ne s’y reconnaissent pas toujours. Tout comme il y a des gars qui ne se disent pas gais mais homosexuels, parce que les homosexuels sont «ceux qui vivent une belle p‘tite vie rangée (plate?) qui ne dérange pas la majorité ou même pas les gais straights» s’explique avec étonnement Robert, militant dans les années 80. «Prétendre vivre comme tout le monde est un leurre pour ne pas avoir à affronter une éventuelle discrimination. C’est d’être poule mouillée que de nier les mot gai, queer… On se place à droite en évoquant le fait que nous soyons pareils aux autres… sauf au lit, dans le secret de l’intimité. Je m’excuse, mais se dire allosexuel est encore une fois une normalisation de la droite…», s’exclame-t-il, enflammé.
«C’est avoir peur d’être différent parce que vivre en marge, c’est plus difficile…», conclut-il.
«Je n’aime pas ce mot réducteur. Je suis différent, ma vision du monde est différente, c’est insultant de vouloir me mouler dans la norme», dit Benoît, 34 ans, intervenant dans le milieu scolaire. «Moi, je ne vis pas, comme mon frère, une vie rangée. J’ai un chum depuis sept ans et nous avons une relation ouverte, nous faisons régulièrement des trips à plusieurs… Je ne me reconnais pas dans ce terme qui me donne à la fois la connotation de pervers sexuel avec son sexuel bien en vue. Je suis différent et j’en suis fier, mais je mène quand même une vie saine.»
Pour Ross Higgins, anthropologue, militant de longue date et ancien président des Archives gaies du Québec, «ce mot n’est pas celui souhaité. Ce n’est pas un mot rassembleur et de plus, il est facilement sujet à la moquerie. Il s’agit certes d’un mot original et je souligne les efforts des gens qui y ont pensé, mais quand même, ce n’est pas le mot qui nous ressemble. Je pense même que tant qu’à faire, il est préférable de ne pas trouver de mot qui nous chapeaute tous et continuer de nous décrire et de mieux décrire nos différences avec les nomenclatures bi, lesbienne, gais et trans», dit-il.
Selon Line Chamberland, pris dans sa sémantique, le mot est correct bien qu’il faille l’expliquer à chaque emploi, du moins pour des mois à venir! «C’est à voir si les gens vont l’utiliser au quotidien, s’il va entrer dans le vocabulaire usuel. Au 19e siècle, plusieurs mots ont été inventés pour nous décrire, par exemple tribade, uranien… Finalement, c’est le mot homosexuel, plus médical, qui a été retenu par les gens. »
«Ce que je déplore avec ce mot est qu’encore une fois, l’accent est mis que sur la connotation sexuelle et ne fait pas mention des sentiments, de l’émotion, de l’amour», considère quant à elle Élaine Langlois, bénévole impliquée dans la communauté au GRIS et au théâtre de l’Énergyne.
Au contraire, Guy Forest, psychothérapeute, nous dit que c’est justement notre spécificité que de vouloir être en relation et avoir des relations sexuelles avec quelqu’un de notre sexe. «Allosexuel est un mot qui étonne, mais qui nous définit assez bien. Mais est-ce qu’un simple mot peut enrayer tous les maux? Bien que la sémantique permette de bien analyser une société, c’est y donner beaucoup d’importance que de débattre d’un mot.»
Encore perplexe face au mot «allosexuel», Michel Dorais, auteur de La diversité sexuelle, se fait philosophe. «Le mot fait sourire de prime abord, mais est-ce peut-être à cause de la nouveauté. Nous ne rions pas des allophones, il n’y a pas de connotation comique, alors que dans allosexuel, on voit l’image des fifs qui se saluent en disant : ‘’Allo!’’ et ça fait sourire», dit-il.
Pour Line Chamberland, la référence aux chroniques des magazines et émissions jeunesse (Allo vedettes, Allo santé, Allo Ados) peut nuire à l’implantation du mot.
Michel Dorais, qui utilise depuis des années l’expression «diversité sexuelle» pour traduire le mot queer, se dit d’un côté satisfait que quelqu’un ait trouvé un adjectif alors que son mot est en fait un concept.
Line Chamberland, pour sa part, souligne que le mot queer a une portée politique, avec ses radicaux et ses revendicateurs qui confrontent la société, et qu’il est anti-conformiste, voire même dans sa propre définition.
«Une fois la surprise passée, je me dis que [allosexuel] est peut-être un terme approprié, innovateur, avec un mot québécois francophone qui dit vraiment qui sont les queer. On ne situe pas les minorités par ce qu’elles ne sont pas, mais par ce qu’elles sont. Il est très pertinent d’avoir un terme qui englobe les minorités sexuelles», remarque Michel Dorais, qui souligne que le mot queer n’a pas fpénétré le lexique au quotidien.
«Personne, dans la vie courante au Québec, sait ce que queer veut dire. Peut-être que le mot allosexuel va correspondre à une émotion, un signifiant chez les gens qui vont l’adopter naturellement. C’est l’avenir qui lui donnera ses lettres de noblesse ou le feront mourir par l’usage dans la vie courante, et ce sont les gens qui font des mots des outils d’une langue vivante», poursuit ce professeur en sciences sociales de l’Université Laval à Québec.
«Il faut prendre conscience que nous ne sommes plus à l’époque où des mots et des définitions étaient imposés», rappelle Line Chamberland. Aujourd’hui, chacun utilise le mot qui le décrit mieux. «Il y a 20 ans, le mot lesbienne était galvaudé tandis qu’il est maintenant utilisé, même par les gais. Certaines lui préfèrent femmes gaies, et c’est correct ainsi. Ma crainte est que le mot allosexuel ne désigne pas la spécificité des femmes. Ça serait dommage de perdre notre identité.»
Au delà de l’utilisation de mots et de termes, l’important est sans doute, comme le considère Michel Dorais, «qu’il y a là une reconnaissance d’une réalité qui s’impose enfin. Voilà la véritable reconnaissance.»