C’est au début des années 90 que la communauté gaie de Montréal s’approprie le petit parc de quartier situé au coin sud-ouest des rues Sainte-Catherine et Panet. La communauté gaie souhaite ainsi attirer l’attention de tous sur les ravages de cette terrible maladie qu’est le sida. Rapidement, ce parc est devenu un lieu de rassemblement et de commémoration. Si personne ne remet en question l’existence de ce parc, l’aménagement qu’on en a fait, il y a quelques années, suscite encore aujourd’hui des réactions très divergentes, allant de l’admiration à la plus profonde déception. Qu’on l’aime ou non, le Parc de l’espoir ne laisse pas indifférent.
Lors de son inauguration, en 1996, le Centre Canadien d’Architecture et la revue Canadian Architecture le décrivent comme l’un des plus beaux exemples d’intégration d’art urbain au service des citoyens grâce à ses facilités d’accès, la pureté de ses lignes et son symbolisme. En fait, plusieurs organismes d’architecture le considère comme l’un des plus beaux parcs commémoratifs au Canada.
Mais pour d’autres, il est froid, laid, déprimant. «Maudit que c’est laid ici», s’exclame Paul, un gai de 41 ans qui s’y prélasse comme une dizaine d’autres habitués tous les dimanches après-midi, quand la température le permet.
Paul n’est évidemment pas le seul à critiquer l’apparence du parc. De nombreux habitants du quartier disent subir quotidennement sa laideur. «Depuis le tout début de ce projet, rien n’a été fait au goût des gens qui vivent autour de ce parc», considère Nicole Laviolette, citoyenne de la rue Wolfe. «Comprenez-moi bien. Je n’ai rien contre le fait qu’il y ait un parc commémoratif pour les victimes de cette terrible maladie, mais pourquoi n’y a-t-on pas incorporé un peu plus de verdure?»
Certains considèrent que l’allure générale du parc est trop morbide, que la plaque commémorative (dont l’oxydation a été accélérée pour lui donner un aspect décrépit) est affreuse, que les petits rubans ont rapidement l’air de déchets ou que l’écran géant ne sert à rien.
D’autres toutefois, trouvent que, justement, ce parc ressemble au sida, que son côté solennel et froid est tout à fait approprié. Pour Charles, qui habite a proximité du parc depuis 11 ans, «les matériaux utilisés aident à se souvenir des personnes disparues. Sans doute parce que les bancs de granit noir rappellent, par leur forme, des pierres tombales. (…) Certains considèrent que cela est très lugubre, mais pour moi, ce parc est un mausolée sans cadavre, un monument aux victimes comme on le fait pour les morts à la guerre, par exemple. Toutefois, je ne crois pas que son nom, Parc de l’espoir, soit très cohérent avec l’aménagement et l’esprit qui s’en dégage.»
Lors des consultations au milieu des années 90, tous les groupes ont pu prendre la parole : les commerçants, le Service de police (qui voulait un parc tout blanc, vide, avec un gros lampadaire pour mieux le sécuriser), les militants, les politiciens, les fonctionnaires et, évidemment, les personnes atteintes, qui ont eu un certain droit de véto par l’entremise du Comité des personnes atteintes du VIH (CPAVIH). D’ailleurs, le premier projet présenté par le Comité du Parc, un regroupement de bénévoles, et l’architecte-paysagiste Christian Deshaies, qui proposait l’aménagement d’une petite butte de granit brute sur laquelle les utilisateurs auraient pu grimper et s’asseoir, a rapidement été mis de côté. Les personnes atteintes y ont vu une allégorie trop ludique et ont refusé la maquette. «Le sida n’est pas un jeu, ni une étape joyeuse de la vie. C’est une maladie honteuse, c’est une mort affreuse. Le parc doit refléter cette réalité», avait-on entendu lors des rencontres publiques.

Retour sur les origines du parc
S’il y a un parc où l’implication des citoyens a joué un rôle important, c’est bien celui-ci. Dès 1990, les militants d’Act Up y terminent leur marche du premier décembre. «Nous avions accroché 1 400 rubans noirs dans les arbres pour marquer de façon percutante les morts dans la communauté gaie», rappelle Michaël Hendricks, militant d’Act Up à l’époque. Dans les jours qui suivent, la Ville fait enlever les rubans par ses services d’entretien. Quelques semaines plus tard, en janvier, les militants d’Act Up regarnissent les arbres de 1 400 rubans multicolores, rappelant les couleurs de l’Arc-en-ciel. Et des milliers de gens les imitent et emboîtent le pas. Pendant plusieurs mois, on a pu y voir des rubans mémoriaux (sur lequels le nom de personnes décédées avait été inscrit), des oursons, des objets personnels qui se retrouvent au pied des arbres. La Maison Funéraire Aaron venait y déposer les fleurs et rubans laissés après les enterrements. Une campagne populaire auprès des politiciens s’est mise en branle et les réunions des Comités de quartier ont été saisies de la nécessité d’un parc officiel pour les victimes du sida. Entre temps, le parc était devenu le lieu privilégié pour les actions de Act Up et pour maintes manifestations gaies ou d’organismes sida.
Après son élection, Sammy Forcillo, à sa première allocution au Conseil Municipal, a demandé au maire Doré de consacrer cet espace aux victimes du sida. «Même après la mort de Raymond Blain (le conseiller municipal du quartier, décédé des suites du sida), la Ville ne fait rien» disait-il.
Une plaque non officielle est installée par les citoyens, en guise d’appropriation, lors du premier party Wild & Wet en mai 1993. Le tournage du film Médecin du cœur, sur la bataille du docteur Réjean Thomas, a capté ce moment. On y lisait «Parc commémoratif des victimes du sida».
À la Ville, les élus hésitaient à donner au parc le nom d’une maladie, alors que les fonctionnaires, outrés qu’un groupe de bénévoles prenne en charge le projet, ne facilitaient pas les choses et mettaient des bâtons dans les roues : on prétextait que les rubans pouvaient tuer les arbres, on exigeait des aménagements loufoques (par exemple, on parlementé longtemps pour que les machines-aspirateurs puissent déambuler librement dans le parc); on ne voulait pas enlever le fameux philodendron de Mongolie, dont il n’y aurait supposément que trois spécimens à Montréal; on rugissait contre les deux bénévoles qui, tous les dimanches, faisaient le ménage du parc… Les prétextes pour ne pas bouger se multipliaient. Au printemps, toutefois, de guerre lasse lors de l’événement Héritage, une semaine d’activités pan-canadienne consacrée au fléau du sida, le parc est finalement désigné officiellement par la Ville.
Et, lors du marchethon Ça marche, en septembre 1994, devant plus de 25 000 marcheurs, une plaque commémorative est enfin dévoilée. Faite d’un acier qui a la particularité de rouiller rapidement, symbolisant les souffrances des sidéens, la plaque de l’architecte paysagiste Marc Pageau fait couler beaucoup d’encre. Un citoyen, croyant bien faire, est même venu la peindre d’un argent étincelant…
Alors que la trithérapie faisait son arrivée dans le paysage, le maire Bourque, de concert avec le conseiller Forcillo, débloque 2 500 000$ pour l’aménagement du parc.
Suites aux consultations publiques, le comité du parc proposa un concept de parc qui, à la manière des places publiques de France, permet une bonne circulation. Des tombeaux symboliques deviennent des bancs publics, si rares dans le secteur. Des réceptacles autour de la plaque commémorative sont destinés aux fleurs et offrandes aux victimes. Les petits murets veulent représenter le passage vers la mort que le sida a imposé prématurément à tant de gais. À l’arrière, l’arbre précieux, sauvegardé dans un petit espace gazonné, représente la vie. Dans le plan initial, des pommetiers devaient aussi être plantés pour apporter, au printemps, une touche de rouge, mais on les a éliminés du projet, soi-disant pour des raisons de sécurité.
Pour la petite histoire, sachez que la plaque de granit noir près du mur de l’immeuble recouvre un graffiti homophobe «Sida=vie, Dieu est contre les gais». La vie des gais et des sidéens n’était pas si rose que ça au milieu des années 90, faut-il le rappeler.
À l’été 1996, le Parc est inauguré officiellement. Il est alors entretenu par les employés de la Ville et, bénévolement, par Danny, le balayeur de rue qui y ramasse les seringues et autres détritus.
Tout semble enfin réglé. Mais moins d’un an après, le Comité des citoyens de la rue Panet déplore que des activités de vente de drogue s’y déroulent et certains citoyens exigent de nouveaux aménagements. Comme le visage du sida a beaucoup changé depuis 15 ans, certains, dont Denis Paquin du Centre Canadien d’Architecture (CCA), voudraient lui redonner une nouvelle vie, actualiser le parc aux nouvelles réalités de la maladie.
Le conseiller municipal de Saint-Jacques, Robert Laramée, a fait débloquer de l’argent, somme qui sera allouée dans le prochain Plan Triennal d’Immobilisation. Ces quelques 200 000$ seront affectés à des travaux majeurs d’aménagement. «Le plus important est de ramener de la verdure dans le parc, particulièrement à l’avant, près de Ste-Catherine. Les tombeaux pourraient se retrouver dans le fond, peut-être à la verticale comme j’ai déjà vu ailleurs. En fait, il n’y a pas de plans d’établis pour l’instant, mais il est certain que le parc sera transformé», explique le conseiller qui travaille avec le CPAVIH, acteur des premiers instants du parc. «Mon but à court terme est d’emmener une amorce de réflexion, puis nous aimerions mettre sur pied un appel d’idées, un concours pour les réaménagements dont la construction est prévue pour l’automne 2003 et l’hiver 2004. Je n’aimerais pas que le parc perde son côté mémorial, c’est essentiel. Il faudrait par contre réajuster son aménagement pour qu’il soit plus agréable pour les citoyens du quartier» précise Robert Laramée.
Dans l’histoire du Village, le parc de l’espoir tient une place importante et continue de faire partie de son évolution.