Dans le film «La Vierge des tueurs» de Barbet Schroeder, l’écrivain F. Vallejo de retour à Medellin après 30 ans d’absence, rencontre Alexis, 16 ans, qui fait partie de ces assassins qui tuent à la commande. L’amour va naître entre eux, un amour interdit et fou à l’image de cette ville, où Alexis tel un ange exterminateur, tire sur n’importe qui pour peu qu’il dérange. De rues en rues, d’églises en églises, de meurtres en meurtres, Fernando découvre à travers Alexis, une ville inconnue, chargée de violence et de haine.
Vous avez vécu quelques années en Colombie, non?
J’ai vécu de 6 à 11 ans en Colombie, un pays où je m’efforce de retourner annuellement. Je suis «Colombien de cœur ». Je nourrissais le rêve d’y tourner, dans la langue du pays, avec une équipe locale. L’occasion s’est présentée à mes yeux en découvrant les écrits de Fernando Vallejo, auteur colombien très important dont le style exclut toutefois une adaptation littérale. En discutant avec Fernando, il m’a suggéré de porter mon choix sur La Vierge des tueurs, une autofiction sanglante où son double se trouve confronté à la violence de Medellín.
Comment avez-vous abordé la question de l’homosexualité, avec vos comédiens ?
Pour moi c’était très important de faire une histoire d’amour, et de traiter l’homosexualité comme si c’était un acquis. J’ai essayé de communiquer ça à mes acteurs. Je crois que tout le monde a en lui des tendances homosexuelles, ce n’était pas trop dur pour eux d’aller les chercher, mais on peut avoir peur et mon travail a été de convaincre les jeunes acteurs que ce n’était pas dangereux de puiser dans ces choses-là. Je leur ai montré Fraise et Chocolat et certains films de Fassbinder et d’Almodovar. Quant à l’acteur principal, il a un frère homosexuel et il y pensait très souvent.
C’est aussi l’histoire d’un garçon jeune avec un homme plutôt mûr.
C’est le cœur du film. L’histoire raconte cet apprentissage. L’adulte essaie d’inculquer quelques principes à l’enfant même s’il le fait en riant beaucoup et en se moquant de tout. L’enfant participe en riant car il est séduit par ce personnage. C’est un père comme beaucoup rêverait d’en avoir, un père complice. Mais il y a aussi un apprentissage dans l’autre sens : Fernando apprend à découvrir la nouvelle réalité de la ville de son enfance à travers cet enfant. Cet écrivain découvre aussi une langue et une grammaire nouvelle.
On en arrive au sujet du film : le meurtre comme la chose la plus naturelle du monde.
C’est une tradition colombienne qui dure en fait depuis près de cent ans, d’une façon quasi ininterrompue. Cette culture de violence se reflète dans le film. Elle a pris des proportions épouvantables avec l’arrivée du trafic de cocaïne et la présence à Medellin de milliers de bandes armées.
Le taux d’impunité des crimes est de 97%. Je crois que c’est un taux bien supérieur à celui du Far-West à la pire époque. C’est la réalité de cette ville. Même à l’intérieur de la Colombie, Medellin est une exception : trois fois plus de meurtres par nombre d’habitants que Bogota.
Notre personnage principal, à travers son histoire d’amour, va se trouver mêlé, confronté à cette violence. Dans un premier temps, il est bouleversé et horrifié ; mais cet enfant, c’est l’amour de sa vie, il ne l’abandonnera jamais. S’il s’agit d’être confronté à un choix : être témoin des meurtres ou abandonner l’enfant, il choisit de rester avec lui et de devenir indirectement complice.
Je voulais que le spectateur ressente une « espèce d’anesthésie progressive » face à cette violence, comme ce qui arrive à Fernando. Si l’on veut survivre à Medellin, il faut progressivement s’insensibiliser. Il a aussi une profonde horreur de ce qui est arrivé à sa ville. N’oublions pas que pour lui, c’est l’humanité toute entière qui est en jeu et contre laquelle il s’insurge, pas seulement Medellin. Il voit Medellin comme l’avant-garde de ce qui va se passer dans le reste du monde. Ou de ce qui pourrait se passer n’importe où si quelques verrous et une couche de vernis venaient à disparaître.
Vous ne craigniez pas que le film «choque parce qu’il ne choque pas» ?
C’est un film dans lequel des choses choquantes sont données comme des principes de base et sont traitées très naturellement et très simplement, comme la réalité de la situation et l’histoire le veulent.
À la fois par rapport à l’histoire et au tournage, il me semble que le film a parfois une approche documentaire.
Comme tous mes films, celui-là a aussi un aspect documentaire. J’ai voulu ancrer le plus possible le film dans la ville de Medellin, j’ai voulu que la ville soit un des personnages du film. Bien qu’il se soit exilé depuis plus de 30 ans, toute l’œuvre de Vallejo est inspirée par Medellin, et en particulier La vierge des tueurs, en partie autobiographique. Il y a un aspect documentaire et documenté, de même que dans Barfly. Mais le plus important est pour moi le respect de l’écrit. Il s’agit d’un écrivain et les dialogues qui ont l’air très naturels, sont en fait très écrits. C’est ce travail qui me passionne complètement : ancrer un texte dans une réalité et ce faisant, arriver à trouver un style qui correspond à celui de l’écrivain. Le style de Vallejo est plein d’humour, à la fois flamboyant et précis, très écrit avec des passages très parlés. Il est aussi toujours à la première personne. Il fallait un côté documentaire pour installer le film dans la ville, mais il fallait aussi rendre le côté hallucinatoire, bref utiliser à la fois la caméra à l’épaule et les mouvements de grue.