De plus en plus, on considère que la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas uniquement en une absence de maladie ou d’infirmité. Les aspects émotionnels, mentaux, physiques et spirituels sont concernés, de même que les liens entre la santé, le bien-être et les facteurs culturels et sociaux.
En Europe, l’association suisse Dialogai a mené, il y a 4 ou 5 ans, une importante enquête sur la santé des hommes gais de Genève en la comparant aux données de la population masculine générale. Les résultats confirmaient ce que plusieurs intervenants craignaient : les hommes gais déclaraient plus de symptômes de troubles physiques, souffraient plus de maladies chroniques, avaient plus de cholestérol, de tension et de glycémie que les autres hommes. La moitié disaient avoir souffert de dépression ou d’anxiété, 60 % se sentaient isolés, la moitié avaient déjà souffert d’agressions physiques et verbales… L’enquête révélait aussi que les gais consommaient pas mal plus de substances psychoactives que la population générale. À partir de ces recherches, Dialogai a défini différents projets : une liste de thérapeutes gay-friendly (un besoin exprimé par la communauté locale); un centre de dépistage rapide et volontaire réservé aux hommes gais, qui délivre des conseils adaptés à chaque cas selon le principe de la réduction des risques ; un programme d’ateliers de mieux-être.
En Grande-Bretagne, le Terrence Higgins Trust est parti du même postulat de déterminants de santé spécifiques et s’est lancé en partenariat avec d’autres dans une impressionnante production de brochures, sites Internet, magazines, couvrant toutes les questions, du GHB à la syphilis en passant par le crystal, le dialogue entre partenaires ou le stress.
C’est dans cette mouvance que l’organisme communautaire Séro Zéro vient de changer son nom pour RÉZO. Plus qu’une opération cosmétique, ce changement vient officialiser la démarche entreprise depuis quelques années par l’organisme pour élargir son mandat. En plus de la sensibilisation au VIH/sida, Rezo aborde désormais différentes dimensions de la santé physique, mentale, affective et sociale des hommes gais et bisexuels.
À Montréal, on estime qu’environ 12 % des hommes gais et bisexuels sexuellement actifs vivent avec le VIH. Et, bien que l’espérance de vie des personnes séropositives se soit grandement améliorée, elles sont plus nombreuses à éprouver des besoins en matière de santé, notamment en matière de santé mentale. Mais ces besoins, bien des hommes séronégatifs les éprouvent également.
Grâce à une enquête réalisée en 2008 auprès d’hommes gais et bisexuels de la grande région de Montréal (Êtes-vous satisfait ? Peut-on faire mieux…), l’organisme RÉZO a cerné la teneur de ces besoins. Près de la moitié des répondants ont affirmé vivre un niveau élevé de stress et d’anxiété, alors que plus du tiers étaient aux prises avec un problème d’image corporelle. La santé sexuelle demeure évidemment au nombre des préoccupations des hommes gais et bisexuels, mais on dénote aussi de sérieuses inquiétudes face à la solitude et à l’isolement (près du tiers), à la pauvreté et au manque de ressources (une personne sur cinq) ainsi qu’à la consommation abusive d’alcool ou de drogues (plus de 15%).
Les changements vécus par les gais depuis vingt ans, avec l’apparition des trithérapies de lutte contre le VIH motivent qu’on opte, ici et ailleurs, pour une approche plus globale de la santé, qui intègre bien-être psychologique, santé sexuelle (et des dépistages réguliers) et consommation d’alcool et de drogues. Les cultures homosexuelles ont évolué avec un réinvestissement important dans la sexualité, le développement des sites de rencontres sur Internet, l’apparition du bareback, l’abandon du préservatif pour une partie de la population homosexuelle, l’augmentation des IST, la sécurité négociée, le sérotriage et la minimisation des risques d’exposition au virus.
Il est sain qu’un organisme qui a une aussi grande expérience de terrain que SéroZéro élargisse son mandat à travers une renaissance en RÉZO, comme moyen de revitaliser la prévention. La proposition est sans doute également politique : sortir de l’association gai/maladie, pour faire ressortir l’importance de la santé et du mieux-être; se baser sur les potentiels de la communauté gaie, riche et créative. Par une série de projets qui sont progressivement ajoutés à ses services, l’organisme nouvellement rebaptisé compte devenir rapidement une référence importante pour les hommes gais et bisexuels de Montréal au niveau de leur mieux-être.
Cette approche santé gaie ne veut pas dire reléguer le VIH/sida au deuxième ou au troisième plan. À travers les projets mis de l’avant, on voit bien que le VIH/sida reste au cœur des préoccupations de RÉZO dans une approche de santé gaie. C’est plutôt un léger changement de philosophie, un regard plus large qui puisse inclure les modes de vie, les pratiques, les cultures sexuelles, en essayant d’avoir une compréhension approfondie de ce qui se passe. On ne peut que se réjouir d’une telle évolution.