La communauté LGBT et les superhéros n’ont pas une histoire ancienne, c’est le moins qu’on puisse dire. Il faut, en effet savoir, qu’à partir de 1954, l’industrie américaine met en place un système d’autocensure, le Comics Code Authority (CCA), interdisant, entre autre, toutes mentions d’homosexualité.
Ce code, et le timbre apposé qui attestait du respect de ce dernier, découle des propos enflammés et agitateurs de Fredric Wertham dans son ouvrage intitulé Seduction of innocent. En effet, ce dernier y développe une opinion basée sur aucune données tangibles, si ce n’est ses propres préjugés, mais qui gagne rapidement en popularité : les comics sont responsables du phénomène de la délinquance juvénile et introduisent dans l’esprit des enfants et adolescents innocents des images pernicieuses et perverses.
Selon lui, le fait que Wonder Woman était tout aussi forte et indépendante qu’un homme en faisait une lesbienne. De même, la relation de Batman et Robin était jugée ambigüe et distillait des idées de fantasmes homoérotique dans ces mêmes esprits fragiles. Il faut cependant avouer que certaines images portaient effectivement à interprétation comme en juin 1954 où l’on peut apercevoir Batman et Robin au levé du jour dans le même lit.

Suite aux pressions populaires, à la mise en place d’un Sous-comité sénatorial sur la délinquance juvénile dont le mandat ne portait que sur l’influence néfaste des bd, et par crainte de voir les ventes chutées, un code fut adopté de manière préventive par l’industrie et demeura en vigueur jusqu’en 1989. Il faut par ailleurs noter que celui-ci fut basé sur le Hays Code, adopté en 1934, qui s’appliqua à l’industrie cinématographique et eut les mêmes conséquences désastreuses en terme de censure et de sous-représentation des communautés GLBT.

Les superhéros étaient alors la chasse gardée de deux principales écuries aux États-Unis, DC Comics et Marvel, et ces derniers se sont longtemps révélés frileux à l’idée de déroger des règles misent en place par le CCA. Bien évidemment, il était possible de lire des sous-textes LGBT chez certains personnages mais il ne s’agissait bien souvent que de vœux pieux de la part des lecteurs. C’est le cas, par exemple, de Wonder Woman et Batman et Robin. De même, chez les X-Men où les pouvoirs des mutants ne se révèlent qu’à l’adolescence : devait-on y voir une métaphore sur la découverte de l’orientation ou de l’identité sexuelle des jeunes GLBT? Peut-être, mais comme rien n’est clairement affirmé, ce n’est que ça : une simple métaphore.
La première représentation de personnages gais dans le monde des superhéros survint en 1980 dans Hulk #23, où Bruce Banner échappe de peu à un viol initié par deux hommes. Bref, tout sauf une image positive. Quant au premier héros gai des grandes écuries de comics, il se présente, chez Marvel, sous les traits du montréalais Northstar, de son vrai nom Jean-Paul Baubier, dans la série Alpha Flight.
Pendant longtemps, les lecteurs s’interrogèrent quant à sa sexualité mais Marvel répliquait simplement qu’il n’était pas gai mais plutôt a “fairy” (une fée), ce qui est plutôt amusant puisque le terme anglais était justement utilisé, en slang américain, pour désigner des hommes gais. Finalement, en mars 1992 (Alpha Flight #106), dans un numéro surprenant qui traite également de la problématique du sida, le héros fait sa sortie du placard. Anecdote surprenante : dans la biographie du personnage, il est mentionné que Jean-Paul Baubier fut membre du Front de libération du Québec dans ses jeunes années.

À la suite de l’immense controverse suscitée par cette révélation, Marvel bat cependant en retraite et désexualise son personnage jusqu’en 2002 où il fait de nouveau son apparition dans la série des X-Men en tant que personnage ouvertement gai. Malheureusement, le personnage fut tué, revint à la vie et, depuis, semble être dans les limbes. On put également suivre ses aventures dans Ultimate X-Men, qui se déroule dans un univers parallèle, où Colossus, un Russe qui peut transformer son corps en métal organique indestructible, se révèle être son petit copain.
Il est d’ailleurs assez intéressant de noter que les deux premières occurrences importantes de superhéros gais chez des éditeurs américains sont, en fait, des étrangers. En effet, Norsthar est Canadien, qui plus est Canadien-français, et Colossus est Russe. Une certaine distance est donc alors prise face au phénomène de l’homosexualité chez les superhéros : ils existent mais ce ne sont pas des Américains. Bref, l’homosexuel, c’est l’autre!
DC Comic, de son côté, intégra quelques personnages secondaires gais dans certaines séries, notamment Off-Ramp et Frostbite dans Young Heroes in Love, le premier couple gai de l’histoire des comics (à noter que le costume de Frostbite se limite à un anneau sur chaque téton ainsi qu’une paire de cuissard). Certains superhéros sont également confrontés aux problématiques de l’homophobie comme ce fut le cas avec Green Lantern face à son ami Terry Berg lynché par deux brutes (Green Lantern : Brother’s keeper).

Les personnages les plus intéressants de l’heure sont cependant, et sans aucun doute, le couple formé par Apollo et Midnighter dans la série The Authority publié chez Wildstorm, une filiale de DC Comics.
Appolo y est l’équivalent de Superman, un être dont la puissance provient directement de l’énergie du soleil, alors que Midnighter est un Batman doté de deux cœurs, d’une force physique supérieure et qui peut anticiper les millions de variations de stratégie de combat d’un adversaire. Midnighter est d’une grande férocité, particulièrement lorsque la vie d’Appolo est en danger, et n’hésite pas à tuer ses ennemis avec grande brutalité.
Les deux hommes sont mariés et ont adopté un enfant. La série est d’une extrême originalité, d’une grande sensibilité même dans les situations les plus inhumaines – je pense ici au volume 4 de la série intitulé Transfer of power – et a remporté un prix du Gay & Lesbian Alliance Against Defamation (GLAAD).

Du côté des adolescents, on retrouve également un couple de superhéros avec Wiccan et Hulkling dans The Young Avengers chez Marvel, cette fois ci. Hulkling est un métamorphe et possède une force et une invulnérabilité surhumaine. De son côté, Wiccan est un sorcier dont les pouvoirs incantatoires semblent illimités. Dans une scène assez amusante, les deux jeunes hommes tentent de révéler aux parents de Wiccan qu’ils ont une double identité et sont également des superhéros mais ces derniers sautent tout simplement à la conclusion qu’ils veulent leur annoncer qu’ils sont un couple et accueillent leur « gendre » avec joie. La série remporte un prix GLAAD en 2005. La série Young X-Men, de son côté, présente également deux adolescents gais qui se lie d’amitié : Anole et Graymalkin.

Les superhéroïnes lesbiennes firent leur apparition un peu plus tard, à l’exception de quelques rôles de soutien au fil des années. Catwoman fut quelquefois dépeinte comme ayant une relation avec une autre femme mais, en 2006, DC Comics pris tout le monde par surprise en affirmant pleinement une nouvelle et très intéressante incarnation lesbienne de Batwoman. Par la suite, on assiste également à l’apparition de personnages bisexuels tels que Sarah Rainmainker, Icemaiden, Rictor & Shatterstar, Obsidian et Pied Pieper (qui fut le premier personnage ouvertement gai de DC Comics).

Du côté des transgenres, on retrouve encore moins de représentation de superhéros quoiqu’une bonne partie du panthéon se soit retrouvé transformée en une personne de l’autre sexe au cours de son existence, c’est le cas de Superboy en janvier 1960. Mais il s’agissait bien souvent d’un récit où le phénomène était présenté comme une malédiction.

L’une des séries qui aborde le concept de manière originale est Runaways où on introduit le personnage de Xavin, un métamorphe qui prend la forme d’une femme puisqu’iel se sent comme tel(le) lorsqu’iel est en amour avec une jeune lesbienne, membre du groupe.

Évidemment, les bandes dessinées érotiques nous offrent légion de superhéros mais le lectorat est, évidemment, fort différent et c’est sans surprise que les personnages assument complètement leur sexualité puisque c’est le but précis du récit. La figure de proue de cette industrie est, sans contredit, Patrick Fillion, un bédéiste québécois qui réside actuellement à Vancouver et dont le coup de crayon se distingue par l’immense soin apporté au corps humain mais également aux nuances dont il empreint le visage et le regard de ses personnages. En ce sens, il est l’héritier direct des dessinateurs des deux grandes écuries américaines et de la tradition de la surmusculation et du spandex. Il est également évident qu’il est un grand fan de comics de superhéros puisque ses personnages, Space Cadet, Rapture, Naked Justice, Camili-Cat et plusieurs autres, respectent tous les canons du genre et que les récits sont truffés de clins d’œil que les amateurs sauront reconnaître.

Du côté de la France, Logan nous présente Porky, une excellente série de bandes dessinées mettant en vedette des hommes massifs et dont le ton est salace et inquiétant à la fois mêlant le monde des superhéros avec l’univers fantastique de H.P. Lovercraft.
Les romans abordant le thème des superhéros gais sont particulièrement rares mais il y a une exception à cette règle avec l’excellent Hero de Perry Moore qui met en scène Thom Creed, un jeune homme qui apprend à gérer ses super pouvoirs, son homosexualité et des sentiments ambivalents pour son père, un ancien superhéro tombé en disgrâce. Le roman touche à l’ensemble des archétypes abordés dans les comics et plusieurs en reconnaîtront certains : Superman et Wonder Woman, par exemple.
Comme on peut le constater, l’espace occupé par la communauté GLBT sur la scène des superhéros est relativement restreint et surtout, très récent. La censure qui a teinté ce créneau en a fait un bastion difficile à conquérir. Ajoutons que, pendant longtemps, la bande dessinée fut considérée comme un genre réservé aux enfants et que cela confortait certains esprits étroits dans leur conviction que l’homosexualité n’y avait pas sa place. Un chemin important a été parcouru puisqu’à l’heure actuelle, on compte même quelques personnages adolescents qui sont gais, ce qui aurait été inconcevables il y a de cela quelques années.

Mais même après tout ce temps et une meilleure représentation de la diversité de nos communautés, il n’en demeure pas moins qu’il reste de grandes frontières à traverser. Oui, on sait maintenant que certains personnages sont gais mais, à l’exception de Midnighter et Appolo, peut-on assister à de véritables démonstrations d’affection entre ces derniers? Après tout, en 30 ans, on n’a jamais vu Norsthar embrassé un homme une seule fois. Il faut cependant admettre qu’il a fallu attendre jusqu’en 1996 pour que Superman et Lois Lane consomme enfin leur première relation sexuelle (après mariage), ce qui est symptomatique de l’extrême frilosité du milieu de l’édition face à la sexualité.
Mais ce malaise est même plus pervers puisque de nombreuses études ont relevées que les superhéros LGBT ont plus tendance que leur contrepartie hétérosexuelle à rencontrer une violence extrême ou même la mort. En ce sens, et même si les choses changent avec l’arrivée d’une nouvelle génération de bédéistes, il semble évident que l’industrie ait encore peine à concilier l’idée d’un héros puissant et invincible avec le concept d’une orientation ou d’une identité sexuelle divergente.