Samedi, 15 février 2025
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    Portraits d’un artiste paradoxal : Jean Genet

    Le 19 décembre dernier, on a fêté le centième anniversaire de naissance de Jean Genet que plusieurs livres – études savantes, recueils de souvenirs et rééditions – viennent de souligner. Ils soulignent surtout le paradoxe qu’est l’homme Genet : né de père inconnu, il a fait du bagne et est devenu un écrivain admiré en célébrant la beauté des hommes. 

    Sa vie fut errance, et même fuite, et lui qui voyagea constamment, a été ainsi un éternel étranger; il ne s’est jamais réconcilié avec la société et ses règles; il a voulu échapper à la fixité de toutes les images de lui. Son rapport au monde découle-t-il de son abandon par sa mère à sa naissance, ce qui le placera dès lors dans la posture de l’exclu?

    Genet le scandaleux, qui aurait pu être l’incarnation de l’abjection (comme Louis-Ferdinand Céline, mais il ne fut pas comme lui antisémite), l’extrême solitaire qu’il fut, ce Genet qui dans les ultimes années de sa vie devint un ardent défenseur de la cause palestinienne ouvre les portes à toutes les interprétations et à toutes les curiosités. Qui est-il? Que fut-il? Quelle fut véritablement sa place publique?

    Jean Genet• Crédits : Photo by Hulton Archive/Getty Images – Getty

    Genet a construit sa légende par ses romans, sublimes, comme Notre-Dame-des-Fleurs et Miracle de la rose, devenus, malgré la transgression qui leur sert de fer de lance, des classiques de la littérature française dans ce qu’elle a à la fois de plus riche et de plus précieux, ou comme cette fausse autobiographie, le livre le plus connu de l’auteur, Journal de voleur. On ne cessera d’essayer de percer cette légende, de l’éclairer, voire de la détruire.

    Le lecteur commencera à rétablir les faits de sa vie en consultant Jean Genet. Matricule 192.102, réédition augmentée de la chronique de l’enfance de Genet par Albert Dachy et Pascal Fouché. Les auteurs ont eu accès au dossier de l’Assistance publique à laquelle fut confié le bébé Genet, ont dépouillé les rapports de police, interrogé les gens qui l’ont connu. Ils ont passé au crible des archives de son enfance et de son adolescence, montré un Genet intelligent, grand lecteur ayant des prédispositions pour la littérature. Chapardeur dès l’enfance, il fera, sur une vingtaine d’années, souvent de la prison (c’est là qu’il commencera à écrire), s’en échappera, s’engagera dans l’armée, parcourra toutes les routes de l’Europe. Sa vie de 1910 à 1944 ressemble à un cycle infernal.

    À ce premier Genet, on pourra accoler le dernier avec Jean Genet, menteur sublime, de Tahar Ben Jelloun, qui y livre douze années de fréquentations avec l’écrivain. Lorsque Ben Jelloun rencontre pour la première fois Genet, il a en face de lui un homme qui n’est plus l’écrivain-voleur, ce comédien et ce martyr sartrien. Non. Celui-ci n’écrit presque plus de romans ni de pièces de théâtre, mais multiplie articles et entretiens, surtout pour la cause palestinienne. Il porte toujours les mêmes vêtements et il pue; mais c’est un clochard généreux.

    À cause de ses dents, il ne mange que de la purée; il fume toujours; un cancer du poumon est déclaré. Il déteste le monde littéraire, n’a que mépris pour Sartre et de Beauvoir. Malgré une santé épouvantable, il consacre toute son énergie à la rédaction d’Un captif amoureux, publié quelques semaines après sa mort.

    Parlant de Palestiniens, il ne faut pas oublier que Genet tomba amoureux de deux hommes d’origine arabe. Le plus célèbre – parce qu’il l’a glorifié dans Le funambule, œuvre d’un lyrisme incandescent– est Abdhallah Bentaga rencontré en 1956 et qui avait 18 ans. Genet le poussa à devenir funambule, une carrière qui sera brisée par de nombreuses chutes. Abdellah se suicida en 1964, ce qui jeta l’écrivain dans le désespoir, tant qu’il voulut se suicider.

    Il fit effectivement une tentative en 1967, dans un petit hôtel italien, à Domodossola, où il s’était déjà rendu avec Abdallah. Gilles Sebhan (auteur de Tony Duvert, l’enfant silencieux) évoque ce suicide dans un très beau livre, Domodossola, le suicide de Jean Genet, dans lequel il met en parallèle sa propre histoire avec un jeune arabe, Majed, un sans-papier rencontré aux Pays-Bas et qu’il aime d’un amour fou. Majed, miroir actuel d’Abdellah? Oui, dans la cause de tous les tourments amoureux, comme les vécut Genet pour son funambule. L’amour, une folie, oui, transmise ici dans une écriture lumineuse.

    Jean Genet. Matricule 192.102 / Albert Dachy et Pascal Fouché. Paris : Gallimard, 2010. 464p.

    Jean Genet, menteur sublime / Tahar Ben Jelloun. Paris: Gallimard, 2010. 224p.

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