Mardi, 11 février 2025
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    Deux frères : « Snow Queen » de Michael Cunningham

    The Snow Queen — tel est le titre original anglais du roman de Michael Cunningham — n’est pas une réécriture ou une adaptation moderne du conte qui a le même titre de Hans Christian Andersen, auteur fort connu de La petite fille aux allumettes. Non. Je n’ai pas tout à fait réussi à savoir pourquoi le romancier américain de Hours avait choisi le titre d’un mythe danois fort connu.

    Quoique en me forçant, je pourrais trouver quelques analogies avec le fameux miroir du conte qui transforme tout ce qui est mauvais et laid en bonté et en beauté, et avec l’extrait en exergue qui ouvre le roman tiré de la Reine des neiges originale. On peut en effet prendre l’aspect fantastique de l’allégorie et le relier à cette vision d’une lumière bleue qu’a Barrett Meeks une nuit au-dessus de Central Park après une énième séparation. Hallucination ou tout simplement voile de ce mystère qui enveloppe la vie?

    Oui, on peut dire que Cunningham transforme l’imagerie originale danoise en une chronique sur les pouvoirs de l’amour — perdu et retrouvé —, et sur les liens familiaux impossibles à dénouer. On ne saura pas une fois le livre refermé si cette lueur apparue dans le ciel de New York était vraie ou imaginée. Reste qu’elle illumine ce roman riche et émouvant. 

    Snow Queen (pourquoi l’éditeur a-t-il gardé un titre en anglais? Snobisme parisien?) peint le portrait de deux frères, Barrett et Tyler Meeks. En pleine maturité — Barrett a 38 ans et son frère 43 —, ils sont en plein désarroi. Ils devraient avoir réussi leur vie et leur carrière, or il n’en est rien. Au moment où Cunningham épingle leur situation — on est en 2004 et on craint que W. Bush soit réélu —, Tyler est un musicien qui joue dans les bars pour gagner sa vie.

    Il ne réussit pas à terminer une chanson pour sa femme Beth atteinte d’un cancer en phase 4, à la fois son chant d’adieu et d’espoir (elle aura une rémission, mais de courte durée). Quant à Barrett qui, malgré des études à Yale, il n’est que vendeur de vêtements et d’accessoires dans une boutique vintage. Ils essaient tous les deux de trouver — ou de retrouver — un sens à leur vie et de la prolonger dans un bonheur sinon confortable, du moins pas trop désespérée. 

    Barrett vit depuis longtemps chez son frère, à Brooklyn, et leur entente ressemble à celle de jumeaux: Beth est presque leur épouse, et leur vieille amie Liz (qui collectionne les jeunes hommes) est comme une grande sœur à tous les deux. Leur entente semble même parfois incestueuse. Ils sont devenus très proches depuis la mort subite de leur mère sur un terrain de golf.

    Cette mort les a empêchés d’entamer chacun une carrière prometteuse vu leurs talents respectifs; ainsi Barrett récitait par cœur plus d’une centaine de poèmes et connaissait parfaitement la philosophie orientale, tandis que son frère avait des aptitudes athlétiques. Ils n’ont pas su choisir ni persévérer.  

    Barrett est homosexuel, et ses histoires d’amour ont tourné court. Comment faire pour en revivre une autre pleinement avec Andrew qu’il vient de rencontrer sans qu’elle débouche de nouveau sur un échec? Tandis que Tyler, lui, écrira-t-il cette chanson originale qui pourra devenir un succès, et qui sauvera Beth, et qui le sortira de l’instabilité financière en même temps que de sa dépendance à la cocaïne? Heureusement que tous les deux fonctionnent avec leurs amis comme un système autosuffisant fait d’amitiés, d’attentions et d’arrangements à la petite semaine. Tous les deux ont certes leurs rêves, mais leur destin semble demeurer incertain pour toujours. 

    Le romancier new-yorkais dessine avec sympathie le portrait de deux artistes ratés. On se prend d’affection pour eux. On participe à leur questionnement. Cunningham sait comment nous faire entrer dans leur tête et décrire leurs processus mentaux et psychologiques, leur crise à la fois intellectuelle, spirituelle et sentimentale. Il nous les rend proches par son style subtil où entrent compassion et compréhension.

    Il sait décrire les affres, les doutes, les appréhensions non seulement individuels mais collectifs, ceux de l’après-septembre 2001 et d’une Amérique déboussolée. Il sait représenter les peines petites et grandes, les joies minuscules et imprescriptibles qu’il y a dans la vie de tout individu. Il nous dit qu’il y a certainement une alternative au savoir-vivre ensemble, à assumer pleinement sa vie fraternelle, sentimentale, sexuelle et amoureuse malgré la maladie et la mort.

    Une petite lumière bleue au-dessus de nos têtes est peut-être plus protectrice qu’on ne le croit et elle réussira à nous rendre uniques.   

    Snow Queen / Michael Cunningham, traduit de l’américain par Anne Damour. Paris: Belfond, 2015. 285p.

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