Mardi, 11 février 2025
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    GAY, HÉTÉRO, BI… : « AMOURS SUR MESURE » DE MATHIEU BERMANN / « DARK » D’EDGARDO COZARINSKY

    Deux livres qui se rejoignent dans la mesure où les héros sont bisexuels, l’un l’avouant dans le premier roman du Français Mathieu Bermann, l’autre le scotomisant dans le roman de l’Argentin Edgardo Cozarinski. Le tout dans une atmosphère délicieusement floue et finement précise.

    Amours sur mesure est une belle histoire sur la jeunesse, l’amour et la sexualité, plus proche d’une réflexion sur le sentiment amoureux et l’attirance sexuelle que le récit compliqué d’une personne (on ne saura pas son nom) de 28 ans, qui aime les garçons, plus jeunes que lui, et vivant avec une fille, Lisa.

    Le roman, divisé en quatre parties plus ou moins égales et situées dans le temps, se rapprocherait de l’autobiographie mais lorgne plutôt sur la chronique contemporaine, consignation de petits faits où les lecteurs reconnaîtront les voies parfois embrouillées où l’amour peut les mener. C’est la description de désirs qui ne pourront jamais être inassouvis et de sentiments si confus qu’on ne pourra jamais les cerner, les nommer, les fixer. 

    Sur neuf mois, nous suivons le narrateur qui, dès le départ, avoue qu’il forme avec Lisa un couple atypique : il fréquente les bars pour rencontrer des garçons. Il croise dans un train — qui le mène de Paris à Montpellier où vivent ses parents — Valentin qui lui laisse son numéro. Il en tombe amoureux, mais ne réussit pas, malgré une grande complicité, une promiscuité même, à faire l’amour avec lui.

    Il a un bon copain de collège, Luca, qui mourra – on le devine – du sida – mais tout cela est discrètement évoqué. Il essaie constamment de définir et de délimiter ses sentiments quant à l’amour et ses désirs. Son discours pourrait être celui d’un libertin du temps présent, mais il est trop indécis dans ses affects pour se sentir entièrement libre de ses gestes. Il philosophe constamment, et c’est là-dessus que le roman de Bermann est intéressant, qu’il nous prend et nous amène dans le questionnement incessant de l’amour.

    Il observe les autres et commente leurs gestes, entre vérités et mensonges. Il se montre si indécis sur les manières de vivre l’amour qu’il ne sait plus comment se comporter et prendre des décisions. Il nuance tout, relativise, soupèse, tout en comprenant que vivre ses amours est moins une question de volonté qu’un moyen de mesurer ses rêves. C’est une façon aussi de se dérober, d’éviter peines et douleurs inévitables en amour. L’amour est un jeu finalement, qui est nourri par la curiosité, mais dont on sort indemne. On a été le pion de son destin, semble suggérer si élégamment, délicatement, elliptiquement le narrateur.  

    Le roman de Bermann ressemble à une bulle d’air, à un parfum capiteux, comme si la vie n’était qu’une parenthèse enchantée dans laquelle la bienveillance primerait avant tout sur l’égoïsme que pourrait provoquer le va-et-vient des amours, qui y prennent plusieurs visages : flirt, coucherie, affection, amitié, fraternité, et ce, sans distinction ni hiérarchie. Le narrateur s’éloigne-t-il ainsi de la jalousie, qui a été le déclencheur initiateur de son questionnement. En fin de compte, dans ce roman plein de charme et de subtilité, on aime comme on peut. 

    Dark / Edgardo Cozarinsky

    Edgardo Cozarinsky est un écrivain, scénariste et réalisateur argentin, né à Buenos Aires où il a connu des auteurs comme Adolfo Bioy Casares et Jorge Luis Borges. Ses films – dont Guerriers et captives — ont déjà été présentés à Montréal.

    Son court roman Dark est un texte sur une éducation sentimentale. Un vieil écrivain, Victor, se souvient d’un épisode de sa vie alors qu’il avait 15 ans dans les années 1950. Né dans une famille bourgeoise et conservatrice, mais curieux car voulant devenir écrivain il veut vivre des expériences. Ainsi donc, il s’aventure un soir dans un bar où une vedette du tango âgée donne un modeste spectacle.

    Un inconnu, Andrès, qui pourrait être son père, l’aborde. Victor ne saura rien ni du statut social d’Andrès (il a de l’argent) ni de son orientation sexuelle (son amitié apparaît pour Victor plus romanesque que libidinale). L’homme fera visiter à l’adolescent les lieux portègnes qui sont le théâtre d’une vie de bohème et interlope, où se mêlent de la délinquance, la prostitution et la drogue.

    Leur relation s’avère particulière, trouble, étrange. Andrès apparaît comme un guide, un maître, mais dont les sentiments sont aussi labiles qu’opaques. On l’aura deviné, mais c’est au moment de son arrestation qu’Andrès, qui a entretenu un mystère sur sa personne, crie son amour pour le jeune Victor.

    À l’écriture en délicatesse, classique même, Dark est un roman d’initiation à la vie envoûtant, ténébreux, où les non-dits tiennent toute la place et en font son charme vénéneux et délicieux tout à la fois.

    Amours sur mesure / Mathieu Bermann. Paris : P.O.L., 2016. 160p.

    Dark / Edgardo Cozarinsky. Paris : Grasset, 2017. 144p.

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