Mercredi, 26 mars 2025
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    Ici René Homier-Roy, biographie

    Moi, c’est la biographie de lui : René Homier-Roy, véritable monstre sacré de l’animation radio et télé au Québec. Écrite en collaboration avec le journaliste et critique cinéma de La Presse, Marc-André Lussier, cette biographie retrace la vie professionnelle et personnelle de cet homme qui en a tant à raconter du haut de ses 77 années de vie.

    J’arrive le premier au rendez-vous qu’on s’était fixé dans un café du Village, à Montréal. Marc-André Lussier, l’homme  à l’origine de cette idée de biographie, arrive à l’heure, souriant. Je lui avoue ma crainte d’interviewer ce redoutable intervieweur qu’est René Homier-Roy, qui se pointe avec quelques minutes de retard. Fashionably late, comme disent les Chinois. Pendant que les deux amis échangent sur les dernières corrections apportées au bouquin, je m’empresse d’aller commander un café américano à René. L’entrevue commence.  Mon stress s’envole rapidement.  

    Moi (René Homier-Roy)
    avec la complicité d Marc-André Lussier

    Qui a eu l’idée d’écrire cette biographie?

    MARC-ANDRÉ : C’est moi. Sans être des amis intimes, on se connaît depuis plus de 25 ans. Je lui ai fait cette demande en 2013, alors que René venait de quitter l’animation de l’émission de radio «C’est bien meilleur le matin». Comme il est un témoin tellement important non pas seulement de la culture mais aussi de la société québécoise, je voulais qu’il  se raconte, je voulais mettre par écrit son parcours qui n’est pas du tout banal.  

    RENÉ : Non, il est tortueux! (rires)  

    MARC-ANDRÉ : Mais faut savoir que René n’a pas dit oui tout de suite… 

    RENÉ : Moi, je suis quelqu’un de très paresseux! Ça parait pas quand on lit tout ce que j’ai fait! En discutant avec Marc-André, j’ai compris que c’est lui qui se chargerait de l’écriture et c’est ce qui s’est passé : on a enregistré 50 heures d’entrevues que Marc-André a mis en forme ensuite.  

    Marc-Andre Lussier- photo Telé-Québec

    En lisant la préface, j’ai compris que Marc-André a mis un certain temps à vous convaincre.

    RENÉ : Je n’étais pas tant con-vaincu que ça, en effet. Je trouvais que c’était une œuvre de vanité que d’écrire sur soi. C’est mon psy et mes amis qui ont trouvé que Marc-André avait eu une bonne idée. 

    Si René-le-critique devait donner son opinion sur cette biographie, que dirait-il?

    RENÉ : René-le-critique est bien embarrassé car il est trop impliqué là-dedans pour dire quoi que ce soit. Mais il y a une chose que je peux dire, et là, c’est René-la-personne qui parle, c’est que ça représente la réalité. Je ne peux pas dire si c’est bon ou mauvais mais ça me parait intéressant et l’écriture est vivante. Je vais écouter les autres critiques… qui ne me manqueront pas, eux autres! 

    Cette biographie fait le tour, bien évidemment, de votre grande carrière dans les médias. Mais travaillant pour un magazine LGBTQ, vous me permettrez d’insister davantage sur un aspect de votre vie : l’homosexualité. C’est rare qu’on vous entende sur ce sujet.

    RENÉ : Tu sais, j’ai été 50 ans avec le même gars (Pierre Morin, réalisateur à Radio-Canada, décédé en 2012). On a vécu ensemble, on a voyagé ensemble, c’est pas possible qu’on ait été des colocs. Les gens de mon entourage savent. Ça ne m’est jamais apparu nécessaire de la préciser étant donné que je le vivais ouvertement. Je n’ai jamais été dans le placard. 

    Oui, mais il y a une différence entre le dire à son entourage et d’en parler publiquement quand on est une personnalité connue.

    RENÉ : Je me souviens de Yoland Guérard (chanteur et animateur décédé en 1987). Il animait une émission diffusée à Télé-Métropole à la fin des années 70. Il avait dit, alors que moi j’animais Mesdames et Messieurs à Radio-Canada : «Est-ce que vous avez vu Mesdames et… Mesdames?», une allusion à mon homosexualité. Une autre fois, alors que je travaillais à La Presse, une journaliste que j’aimais beaucoup et que j’ai détesté ensuite, parlait de moi au féminin. Si quelqu’un peut faire des choses très indélicates comme ça, ça veut donc dire que c’est dans l’air de mon temps. On était dans les années 70. Tout le monde comprenait. Il y a quelques années, le journaliste Luc Boulanger, lors d’une entrevue, a essayé la moitié du temps de me convaincre de faire mon coming out. J’ai passé le même temps à lui dire que c’était pas nécessaire que j’avais pas besoin de le faire.  

    Dans votre biographie, vous racontez l’histoire de cet homme rencontré par hasard et qui vous remercie d’avoir parlé publiquement de votre homosexualité suite au décès de votre conjoint . Avez-vous réalisé qu’être une personnalité et parler publiquement d’homosexualité peut avoir un impact dans la vie des gens?

    RENÉ : C’est sûr que ça peut avoir un impact. Mais Daniel Pinard l’a tellement fait – et à mon avis trop – à un moment donné, faut quand même se calmer le pompon. Si on m’avait posé la question directement il y a 10 ans, j’aurais répondu la vérité.  Mais il n’y a pas un chat qui osait poser une question pareille! 

    Moi, je vous ai écris à quelques reprises pour faire une entrevue sur ce sujet! Mais je n’ai jamais eu de retour.

    RENÉ : Ça, c’est très très fréquent! (rires) C’est un très grand défaut que j’ai : lorsque j’ai lu quelque chose, j’ai le sentiment que les personnes le savent et j’oublie de répondre! Je suis désolé! 

    MARC-ANDRÉ : Moi, ce que je trouve intéressant dans le parcours de René, c’était de voir ce que c’était que de découvrir son homosexualité dans les années 50. Il a été assez privilégié,  car il n’a rien vécu de négatif. 

    C’était plus facile à cette époque qu’aujourd’hui?

    RENÉ : Je pense que non. Je pense que c’était horrible. Y’a des gens qui se sont fait martyriser et battre. D’ailleurs, une des raisons pour lesquelles on a écrit ce bouquin-là, c’était pour dire à quel point j’ai été chanceux. L’histoire de ma vie, c’est la chance dans tout, tout, tout. Bon, je vais peut-être me faire frapper par une voiture en sortant d’ici (rires).  Donc, à cette époque-là j’ai eu la chance d’avoir des parents très ouverts. J’ai eu la chance de ne pas être particulièrement efféminé sans jamais passer pour un bûcheron non plus. Néanmoins j’ai réussi à me faufiler entre les gouttes en ayant des amis gais et d’autres qui ne l’étaient pas.  

    Il y a un très court chapitre où vous écrivez sur l’épidémie de sida dans les années 80. Ça semble avoir été une époque marquante pour vous…

    RENÉ : C’était l’horreur. Dans le magazine américain The Village Voice, chaque semaine, il y avait 2-3 pages sur des gens décédés du sida. Je ne les connaissais pas personnellement, mais ça me faisait mal. J’ai arrêté de lire le magazine pour me protéger, d’éviter de voir ça. Même si ça n’a pas empêché les choses de se produire parce que je me fermais les yeux. Il y a une chose que l’écriture de cette biographie m’a remis dans la face: je ne sais pas si je suis vraiment lâche, mais y’a des moments, comme celui-ci, où je fuyais. Il y a des moments où je trouvais ça vraiment, mais vraiment très dur. 

    Vous avez rencontré Pierre, votre conjoint avec qui vous avez vécu pendant 50 ans, alors que vous aviez la jeune vingtaine. Il a été votre premier amoureux?

    MARC-ANDRÉ : René a eu deux blondes avant Pierre… 

    RENÉ : C’est vrai! Faut dire qu’à cette époque-là, la pression sociale était très grande. J’avais sûrement des envies homosexuelles mais dans mon environnement, ça n’existait pas. Je me rappelle que je fréquentais  une fille et, à un moment donné, quelque temps avant de rencontrer Pierre, j’ai fait la connaissance d’un peintre à Québec et là, ça a été LA révélation ! J’ai laissé tomber cette fille-là pour lui.  

    Dans votre biographie, il est question de Pierre, mais il y a un autre prénom qui revient souvent : Jean-Louis. Un autre amoureux?

    RENÉ : Non, c’était un grand ami. On s’est rencontrés à l’université McGill. On était les deux seuls francophones de notre classe. Ça a vraiment cliqué avec lui. C’était pas pour le cul, mais pour tout le reste. Jean-Louis étant ma moitié d’orange et Pierre était ma moitié de tout le reste. Je ne le raconte pas dans le bouquin, mais je ne savais pas qu’il était gai, jusqu’à ce qu’on aille à Québec ensemble sur le pouce avec un autre ami, qui avait un amant là-bas. Au retour de Québec, je dis à Jean Louis : « Je ne peux pas croire que tu sois gai et que tu l’aies    jamais dit à moi, ton meilleur ami! » J’ai pété une coche, je l’ai traité de tous les noms, j’ai fait tout un show parce que je trouvais que c’était un manque de confiance effroyable. Je n’étais pas fermé à rien et il le savait. C’est là que j’ai appris que Jean-Louis sortait dans les bars gais du centre-ville de Montréal. Ça m’a humilié, ça m’a fait beaucoup de mal de me rendre compte  que cette personne-là, que j’aimais beaucoup, n’avait pas assez confiance en moi pour me dire la vérité.  Il m’a avoué qu’il avait peur que ça me heurte, que je ne le prenne mal. La suite a prouvé que c’était exactement le contraire qui s’est produit. Ça nous a finalement beaucoup rapprochés.  

    Vivre 50 ans avec le même partenaire, c’est comment?

    RENÉ : Notre relation n’a pas commencé par un coup de foudre. À mon avis, les amours qui durent se développent progressivement. Il était charmant, Pierre. Il est tombé amoureux de moi très très tôt; ça, c’est un sentiment tellement agréable. Une histoire qui dure 50 ans, c’est pas toujours la mer calme. Je me souviens d’un jour, il était si fâché qu’il m’a arraché la chemise de mon corps. J’étais très touché de savoir que je pouvais inspirer chez quelqu’un des sentiments aussi passionnés. Toute notre vie a été comme ça avec des hauts et des bas. (René réfléchit.)   Et puis, il y a aussi l’envie d’aller regarder dans le carré du voisin si l’herbe est plus verte. C’est arrivé à plusieurs reprises. Mais quand il a été vraiment malade, je me suis dit: «Qu’est-ce que je fais là? C’est avec lui que je veux être!» On a vécu aussi des années extrêmement agréables.  En 2012, quand il est mort sur le bord du lac, ça je ne l’ai jamais raconté, il a fallu que j’aille à l’hôpital identifier son corps  et la seule chose que j’ai été capable de dire dans la douleur que j’avais, c’était «merci, merci». Tant tout ce qui me revenait à ce moment-là c’était tout ce que ce gars-là avait fait pour moi. La porte de la morgue était en train de se fermer et je le répétais encore : «merci». Quand j’y pense ça m’émeut tout le temps… (René se lève pour aller se verser un verre d’eau.) 

    En lisant sur votre enfance, j’ai appris que vous étiez un grand timide.

    RENÉ : J’étais terriblement timide, maladivement même. Je le suis encore – personne ne me croit – car ça parait moins! Je me rappelle dans les bars de New-York où Jean-Louis m’emmenait, je me faisais cruiser : j’étais mal à l’aise. Lui trouvait ça comique! Il me poussait vers les gars! J’ai besoin, moi, d’être apprivoisé et d’apprivoiser les gens avant d’embarquer dans leurs culottes!  Dans votre biographie, vous parler de votre nouveau conjoint, Daniel.  

    RENÉ : C’est un ami de longue date, on se connaît depuis 35 ans. Avec Daniel, c’est easy going, il est toujours de bonne humeur. On vit une vie simple et calme et ça me change de plein de choses que j’ai vécues avant. Je me suis rendu compte que le bien-être avec quelqu’un c’est, par exemple, d’être en voiture avec lui sans même échanger un mot pendant une heure, sans se bouder. Juste être bien ensemble.   

    Marc-André: qu’est-ce qui t’a le plus marqué en faisant les entretiens avec René? 

    RENÉ (sautant sur l’occasion): Ma coquetterie bien sûr!  

    MARC-ANDRÉ : (rires) Et aussi sa grande honnêteté. Il raconte simplement et sans tabou. J’ai beaucoup apprécié ça. 

    Merci à vous deux ! 

    Moi de René Homier-Roy en collaboration avec Marc-André Lussier, éditions Leméac, 2018. Disponible dès le 7 mars 2018 dans toutes les librairies.

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