Sourd depuis la naissance, Pierre-Olivier Beaulac-Bouchard doit composer avec un lot de préjugés, d’incompréhension et de réactions parfois agressives depuis 29 ans. Et depuis qu’il a pris conscience de son homosexualité, il affronte quantité d’autres paroles désobligeantes: celles des homophobes et celles des homosexuels qui refusent de s’adapter à sa situation.
Durant les 18 premières années de sa vie, le jeune homme originaire d’Alma s’est senti seul. Très seul. «Il n’y avait pas de jeunes sourds comme moi, explique-t-il en entrevue. Les autres enfants trouvaient ma voix bizarre. À 15 ans, une fille a donné une claque derrière mon oreille pour me faire perdre mon implant… Heureusement, ma mère et mon frère ont appris à parler en signes. Et j’ai appris à lire sur les lèvres.» Sa vie a pris un tournant à seize ans quand il a suivi des cours de Langue des signes québécoise (LSQ). «Je suis tombé en amour avec la LSQ! Et quand je me rendais à des événements pour les sourds à Québec, Sherbrooke et Montréal, je rencontrais beaucoup de personnes sourdes. J’étais vraiment content de trouver mon identité!» À 18 ans, il a déménagé dans la métropole. Un an plus tard, il a fait son coming-out. «Quand je suis arrivé à Montréal, il y avait plus de gais et plus de sourds. Tout était beaucoup plus facile, car les gens étaient plus ouverts qu’à Alma. Avec ma famille, c’est parfois difficile de parler d’homosexualité. Mais dans la communauté des sourds, ils sont à l’aise avec le fait que je sois gai.»
Évidemment, Pierre-Olivier n’est pas le seul homosexuel sourd de Montréal. Toutefois, il ne s’imagine pas tomber en amour avec l’un d’eux. «J’ai l’impression qu’ils font partie de ma famille. Je passe du bon temps avec eux. On sort pour des soupers ou des activités, mais je ne me vois pas en couple avec eux. Peut-être qu’un jour, je vais rencontrer un gai sourd d’une autre ville ou d’un autre pays, mais je pense plutôt que je vais rencontrer un homme entendant qui voudra apprendre la LSQ.» Malheureusement, la partie est loin d’être gagnée. Selon son expérience sur les applications de rencontres, au moins 10% des hommes à qui ils parlent le bloquent automatiquement, dès qu’il leur apprend qu’il est sourd. «Lorsque ça arrive, je me sens cheap… C’est comme si j’avais moins de valeur. J’ai de la difficulté à accepter qu’un gai, qui fait lui-même partie d’une minorité, juge une personne pour une différence, comme la surdité ou un handicap physique.»
Avec les années qui passent, il a réalisé que les gars qui veulent apprendre la langue des signes sont rares. «Pourtant, ils peuvent apprendre! Mais je pense qu’ils trouvent que c’est trop de travail. Il y a beaucoup de paresse. Certains commencent à apprendre, mais ils disparaissent rapidement. Un gars m’a déjà invité à une date. Je lui ai montré quatre signes, les lettres ABCD, et il est parti. Je m’étais déplacé pour rien… Ça m’a fait chier.» Ironiquement, la langue des signes ne prend pas une éternité à apprendre. «Certains apprennent plus rapidement que d’autres, bien sûr. En général, ça prend entre quatre mois et un an. Mon ex a appris vite. Ça lui a pris seulement un mois!»
Il va sans dire que Pierre-Olivier s’adapte lui aussi. Autant que possible. Il peut lire sur les lèvres de ses interlocuteurs, mais le procédé à ses limites. «Un jour, un garçon avait des broches et j’avais du mal à comprendre ce qu’il disait en lisant sur ses lèvres. À la place, on s’écrivait sur nos cellulaires et on se montrait nos messages.» Dans la vie de tous les jours, il remplace les appels téléphoniques par les textos, il regarde la télévision avec des sous-titres, une lumière fait office de sonnette dans son appartement et certains gestes doivent parfois être faits pour attirer son attention. Dans un contexte de sexualité, la gestuelle est doublement importante pour exprimer ses limites, ses envies, ce qu’il aime ou pas. «C’est plus simple avec les lumières allumées pour lire sur les lèvres. C’est plus compliqué dans le noir.»
Et bien sûr… «si la personne crie, je ne l’entends pas» dit-il avec un sourire en coin. Au moment de conclure l’entrevue, on lui demande s’il est épuisé de répondre aux questions sur sa surdité. «Parfois. Quand les gens, surtout des plus vieux, ont pitié de moi ou qu’ils trouvent ça triste que je sois sourd, ça m’énerve. Mais lorsque les jeunes me posent des questions, ça me va. J’aime ça quand ils sont curieux et qu’ils veulent comprendre.»