Récipiendaire du Prix des collégiens au printemps 2018 pour Royal, qui lui a valu autant des critiques dithyrambiques que des répliques agressives des étudiants en droit qu’il dépeignait dans son roman, Jean-Philippe Baril-Guérard s’amuse à nouveau en posant sa loupe sur un milieu pour mieux le disséquer. Dans Manuel de la vie sauvage, il détaille la montée d’un jeune homme dans le monde entrepreneurial des start-up technologiques, avec une plume aussi percutante, baveuse et jouissive que dans le passé.
Comment reçois-tu les réactions vives que tes romans suscitent?
C’est ce que je veux! Je ne veux pas faire de l’art tiède et que les gens disent que c’est sympathique. J’écris pour susciter des réactions fortes, dans mes romans, dans mes pièces et dans mes chroniques radio. Je suis un peu rentre-dedans. D’ailleurs, les principales critiques de Royal affirmaient qu’il y avait quelques exagérations. Je comprends, crisse, je fais de la fiction pour pouvoir exagérer. Je voyais les études en droit comme un matériau avec de super bons ressorts dramatiques et je me suis laissé le droit d’exagérer, car c’est là que ça devient plus grand que nature. Sinon, je ferais juste du documentaire.
Pourquoi voulais-tu disséquer l’entrepreneuriat et les start-up techno?
Je lis beaucoup là-dessus et je trouve qu’il y a gros décalage entre la réalité et les perceptions. Longtemps, on a présenté la Silicon Valley comme un haut lieu de snobisme et d’innovation, mais on réalise depuis au moins un an que l’innovation technologique et entrepreneuriale n’est pas toujours reliée à l’innovation sociale, dans la façon de gérer les relations humaines, l’éthique et la philosophie d’entreprise. La main invisible du marché n’est jamais orien-tée par l’éthique. Évidemment, personne ne veut foncièrement faire le mal dans la vie, mais quand on regarde les résultats, on découvre quand même des entreprises dont les conditions de travail sont atroces et proches de l’esclavage.
Tout au long du roman, on découvre les origines du protagoniste, le rapport à l’argent de ses parents, la job qui a généré sa première idée d’entreprise, ses premiers obstacles, sa première vente de compagnie et les étapes d’un méga projet. À quel point tout cela influence davantage son parcours que l’envie d’aller plus loin que le sort réservé à son prénom, Kevin de Thetford Mines?
Je pense que tout est dans le nom et dans les origines. Je m’intéresse beaucoup au statut des gens. Moi, je suis né à Plessisville et c’est une anomalie de faire ce que je fais pour un gars de mon coin. J’ai eu très faim dans la vie, entre autres parce que ça ne va pas de soi ce que je fais. Quand on n’est pas prédestiné à un métier, automatiquement, on met les bouchées doubles. J’ai l’impression que les personnes qui viennent de Montréal et de bonnes familles sont pas mal certaines de trouver une bonne job dans un bon milieu, et qu’elles sont moins affamées. Je les envie, car elles peuvent se permettre d’être pas mal plus relaxes. Moi, j’ai 30 ans, ma carrière va très bien, mais j’ai encore l’impression d’avoir des choses à prouver.
As-tu l’impression que ton personnage est moins frontal et plus attachant que ceux de tes romans précédents?
C’est assurément le seul des trois qui semble avoir pris un quart de seconde pour se questionner sur l’éthique. Au final, il prend la voie dommageable, mais il s’est quand même posé la question. Aussi, il faut dire que, contrairement aux deux autres, il raconte son récit avec du recul. Si le livre avait été écrit par quelqu’un d’autre ou encore par lui-même au présent, je pense qu’il aurait l’air plus dégueulasse. J’aime aussi imaginer qu’il a gommé les aspects plus dégoûtants de son parcours, parce qu’au fond, le livre est un exercice de relations publiques du narrateur. Il veut bien se vendre et montrer une part d’ombre qui va lui servir.
Pourquoi croit-il que c’est inévitable d’abandonner certains principes dans la vie et en affaires?
Je pense que moi aussi, j’ai fait ça. À 16 ans, j’avais créé des balises sur comment je voulais être et ce que je voulais faire dans la vie. Aujourd’hui, je me questionne pour savoir si c’est moi qui ai dévié ou si mes standards n’ont tout simplement plus de sens. Plus jeune, j’aspirais à la pureté de l’art. Mais finalement, j’ai vendu des camions avec ma voix, ce qui m’a permis de faire plein d’argent en très peu de temps et de ne pas travailler durant un mois pour écrire, ce qui est génial. Le fait de me prostituer pour certaines jobs plus payantes me permet de développer mon art et d’aspirer à faire une différence dans la société en écrivant des choses pertinentes et socialement engagées.
MANUEL DE LA VIE SAUVAGE, de Jean-Philippe Baril-Guérard, Les éditions de ta mère, 2018