Quand un de mes amis gais a exprimé son dégoût envers les personnes trans et non-binaires, ainsi que sa fermeture face aux distinctions de genres et d’orientations sexuelles, il m’a donné envie de hurler. Puis, je me suis ravisé. J’ai tenté de comprendre d’où venait son trouble. Après des dizaines de minute à discuter, j’ai vu ce qui se tramait en lui : ce n’est pas seulement ces personnes non-traditionnelles qu’il méprise… mais une partie de lui-même.
Je ne sais pas comment la discussion a dérivé jusque-là. Cet ami de longue date, brillant et sensible, s’est lancé dans une tirade à propos des personnes non-binaires, trans et toutes celles qui remettent en question les codes de genre. Il en avait contre les humains qui ont des corps associés traditionnellement au genre masculin, mais qui portent une robe, avec du poil sur le chest. Contre les personnes trans dont le physique ne correspond pas aux vieux standards de la féminité et de la masculinité. Contre les individus aux looks tellement éclatés qu’il est impossible de les mettre dans une boîte.
En voyant mon visage se décomposer, il a renchéri en évoquant les jugements que ces personnes suscitaient. Il a parlé de sa famille élargie qui accepte depuis quelques années le concept d’homosexualité, mais qui, semble-t-il, n’a plus de marge de manœuvre pour
ouvrir son esprit davantage. Des membres de sa parenté qui accueillent son homosexualité et son amoureux, mais qui, selon lui, ne devrait pas avoir à composer avec les individus qui refusent de se conformer à ce qu’on « attend » des humains en société. Un certain parcours de vie. Une certaine apparence. Un genre très clair. Surtout, pas trop d’excentricité.
Il a ensuite dérivé en parlant des lettres qui se sont ajoutées à l’acronyme de la communauté : 2S (two spirits, bispirituels), A (asexués, asexuels), I (intersexes), sans oublier les gender fluid, les demisexuels, les greysexuels et tant d’autres. À ses yeux, tout cela va trop loin. Je n’en revenais pas de voir ce bientôt trentenaire réagir comme les vieux hétéros, les vieux gais et les vieilles lesbiennes qui prétendent que « gai c’est ben assez » ou que « lgbtq+ c’est déjà en masse », et qui ne comprennent pas pourquoi « on serait mélangé avec les trans ». Tous ces regards sont récalcitrants au changement. Fermés à l’idée que des êtres humains ne pensent pas comme eux, ne vivent pas comme eux, ne ressentent pas le monde comme eux et ne veulent pas se définir avec les mêmes mots qu’eux.
Comme si ce n’était pas déjà assez, un de nos amis hétéros s’est ajouté à la discussion en secondant toutes les paroles blessantes de mon ami gai et en affirmant que ces « nouveaux » termes ne servaient qu’à diviser. Il ne réalisait pas qu’après 37 ans à vivre avec sa tête prise dans son cul d’hétérosexuel cisgenre blanc complètement déconnecté des affronts que vivent les marginaux, il n’avait aucune idée de la portée de qu’il était en train de dire.
Quant à mon ami gai, il n’avait pas seulement du mal à comprendre le besoin de se nommer autrement pour se sentir appartenir au monde à part entière, il a poussé l’audace jusqu’à dire que ces personnes allaient trop loin. Je me suis retenu de répliquer que « pour ceux qui ne vont nulle part, on va toujours trop loin. » Selon lui, elles exigent trop d’ouverture de la part du reste de la population, qui accepte enfin les gais et lesbiennes. Du moins, ceux et celles qui ne sont pas trop excentriques, les gais pas trop féminins et les lesbiennes pas trop masculines. Parce qu’on sait tous (sentir ici l’ironie) que si la majorité des gens acceptent l’homosexualité, on ne va pas en plus leur demander d’accueillir toutes nos couleurs et toutes les facettes de nos personnalités. Il ne faudrait SURTOUT pas être de mauvais homosexuel.le.s qui attirent l’attention…
À ce moment précis, le vent a tourné. J’ai senti ce qui se tramait chez mon ami : les relents de son adolescence chargée d’intimidation, parce qu’il est gai. Le cheminement que ses parents ont fait pour être à l’aise avec sa sexualité. La honte qui s’est ancrée en lui. Profondément. Comme un tas de nœuds dans le ventre qui alourdissent tout ce qu’il fait, tout ce qu’il voit, tout ce qu’il pense. Depuis plus de quinze ans. Parce qu’il n’a pas pris le temps de s’affranchir de sa honte et parce qu’il se sent encore écrasé par le regard des autres, il fait tout ce qu’il peut pour se conformer à la majorité : une manière pour lui de « survivre ». Ainsi, toutes les personnes qui remettent en question l’expression du genre, les codes et les différents modes de vie sont une menace à sa survie.
Ce soir-là, je me suis calmé. Ses propos me choquent toujours autant. Je vais toujours défendre les personnes qu’il dénigre. Mais j’ai compris que mon ami n’avait pas besoin de mon jugement impitoyable, mais de ma compassion. Pour apprendre à s’aimer suffisamment pour aimer les autres.
Je trouve un peu simpliste M. Larochelle que vous expliquiez les réticences de votre ami face ce que vous appelez la «queerphobie» par ses propres difficultés d’acceptation de jeunesse. De plus, je trouve que vous y allez allègrement quand vous parlez de ces vieux qui n’ont pas su dépasser l’ancien monde où «gai» était suffisant. Un peu d’âgisme de votre part peut-être, sinon de cœur du moins dans l’argumentaire? Ne pourrait-il pas vous venir à l’idée qu’on puisse, également par conservatisme ou insécurité, être une personne qui ne peut faire autrement que d’adhérer à toutes formes de nouveautés, même lorsque celles-ci reposent sur des théories douteuses voire carrément fausses…