Le 14 avril 2021, un communiqué de presse annonce le décès du chanteur Michel Louvain. Une phrase retient mon attention : « Âgé de 83 ans, monsieur Louvain laisse dans le deuil son conjoint, Mario Théberge, partenaire privilégié des 25 dernières années. » C’est en quittant ce monde que le chanteur populaire fait son coming out, mais surtout, cet événement permet à Mario, son conjoint pendant un quart de siècle, de sortir de l’ombre.
Un an plus tard, en 2022, je lance une perche à Mario, question de voir s’il accepterait de parler de lui, de Michel, de leur vie de couple. De dévoiler un peu leur histoire et leur intimité jusqu’ici tenue secrète. Car Louvain a chanté Louise, Lison, Sylvie, Linda, La dame en bleu… mais jamais il ne nous a parlé de Mario.
« En 1996, j’ai rencontré Michel, j’avais 29 ans. C’était le premier homme de ma vie », me raconte Mario, maintenant âgé de 56 ans. C’était un an après avoir fait son coming out auprès de sa famille. « Mais juste avant, j’étais en relation avec une fille et on était sur le point de se faire construire une maison. Et là, je me suis mis à étouffer. On s’est séparés. » Peu de temps après, il rencontre un couple gai avec qui il se lie d’amitié.
C’est à partir de ce moment qu’il se met à fréquenter les bars gais. Il se souvient aussi du sentiment qui l’habitait : « J’étais convaincu que j’allais rencontrer mon premier chum en début d’été. Il allait être plus vieux que moi et il deviendrait l’homme de ma vie », se disait-il. « J’avais l’air d’un illuminé ! » ajoute-t-il en souriant. Et c’est exactement ce qui est arrivé le 13 juin 1996.
C’est par le biais d’un site de rencontres que Mario discute avec un homme qui veut le présenter à un ami à lui. « Je ne savais pas qui il voulait me présenter. Cet inconnu m’a ensuite laissé un message sur mon répondeur. Une voix qui me disait de quoi ! Je l’ai fait écouter à ma mère qui m’a dit : “Si c’est pas Michel Louvain, il a vraiment la même voix !” »
Ils avaient prévu de se rencontrer dans un resto à Magog. Mais au dernier moment, « Michel m’a dit que si je faisais 20 minutes de route de plus, il serait heureux de me recevoir chez lui. Il a fait dégeler une sauce à spaghetti et j’ai soupé chez lui. En toute simplicité. » Et la première rencontre fut déterminante. « Quand tu connectes avec quelqu’un fusionnellement, sans savoir pourquoi, t’es juste bien, t’as pus de tracas. C’est ce qui est arrivé. »
Et vous ne vous êtes plus jamais quittés dès ce soir-là ? « Michel m’a invité à rester à coucher. Mais j’ai refusé. J’étais pas mal indépendant ! (Rires.) Le lendemain, on s’est revus. En se quittant, on s’est donné un petit bec d’église. C’était la première fois. J’étais tout heureux ! »
Mais leur histoire d’amour prend vraiment son envol après le retour de voyage de Mario de la France quelques semaines plus tard. Voyage pendant lequel Mario ne pensait qu’à Michel. Lors d’une rencontre avec Michel et la famille de Mario, la mère de Mario annonce qu’ils doivent retourner à Sherbrooke. « Et c’est là que Michel a dit à ma mère : “Vous, vous redescendez à Sherbrooke. Mario, lui, ne redescendra plus jamais.” C’est comme ça que j’ai emménagé avec Michel, à Bromont. »
Mario se rappelle aussi qu’au début « des amis me disaient que je cherchais un père en Michel. J’avais 29 ans et Michel 58. Moi, je ne voyais pas la différence d’âge. »
Amour et humour
Replongeant dans ses souvenirs, Mario se rappelle sa plus grande peur du moment : « C’était l’époque du sida. Moi, j’étais craintif. » Il a exigé que Michel et lui passent tous les deux des tests de dépistage du VIH. Ce qui fut fait à son grand bonheur. Je demande à Mario s’il admirait Michel, le chanteur populaire, avant de le rencontrer.
« Non, pas du tout. Je ne le connaissais pas vraiment. Ce qui est drôle, c’est qu’une de mes amies au cégep me disait tout le temps que je lui ressemblais, que je riais comme lui ! » Curieux, Mario a ressenti le besoin de connaitre davantage le passé de son amoureux. Régulièrement, il allait fouiller dans les boites d’archives de Michel qui lui disait : « Mais qu’est-ce que tu fais là ? » Mario pouvait passer des après-midis à lire tous les articles racontant l’histoire de ce chanteur de charme, de cette idole qui a marqué la chanson au Québec. « C’est là que j’ai découvert que, plus jeune, Michel provoquait des émeutes ! »
Michel Louvain, c’est sans contredit l’une des plus grandes vedettes que le Québec ait connues. Il a endisqué son premier grand succès Buenas noches mi amor, un 78 tours, en 1957. Chanteur de charme, il a aussi été animateur télé. Jamais il n’a arrêté de faire ce métier qu’il aimait tant. Même au moment d’apprendre qu’il avait un cancer de l’œsophage, en 2021, il travaillait sur son prochain spectacle.
Michel avait ses fans. Il aimait son public et son public le lui rendait bien. Mais il faut préciser que Michel a aussi été la cible de commentaires homophobes, particulièrement dans les années 70, 80 et 90. Magazines humoristiques, émissions de télévision : plusieurs se payaient sa tête. Mario ne s’explique pas pourquoi tant de méchanceté à l’égard de l’artiste. « C’était de l’humour pour faire mal ». Michel, on s’en doute, ne regardait pas ces émissions. Mais des échos se rendaient à lui. « Le pire, c’était l’émission Piment fort, animée par Normand Brathwaite. C’était très méchant ce qui se disait sur Michel à cette émission. Avant ça, y’avait eu RBO qui riait de lui. Michel a été blessé. Il m’en parlait souvent. Il me disait : “J’ai tellement braillé, ça me faisait tellement mal.” » Il ajoute : « Michel en parlait pas beaucoup, il pleurait en dedans. Malgré ça, il est toujours sorti la tête haute, porté par une vague d’amour, supporté par son public. »
Vivre dans l’ombre de la star
L’homosexualité de Michel Louvain était un secret de polichinelle. Mais l’artiste a tout de même réussi à garder privée sa relation avec Mario pendant 26 ans. Et aussi une précédente relation qui avait duré 17 ans.
Mario ne s’en cache pas, malgré tout l’amour qu’il avait pour Michel, malgré tout le bien que cette relation lui apportait, il devait accepter de vivre dans l’ombre de son amoureux. Lors des premières, Mario et Michel étaient toujours accompagnés d’une femme qui s’assoyait entre les deux. Pas question de sortir dans le milieu gai au Québec. « Mais en Floride, on le faisait. » Mario accompagnait Michel dans ses concerts, c’est lui qui gérait la vente des disques. Bien sûr, les proches de Michel connaissaient bien Mario. Mais cette reconnaissance se limitait à un cercle fermé.
« Pas mal tous les artistes ont une vie qui transparait publiquement. Par exemple, tu prends un magazine et tu lis un article sur Véro et Louis. Pour Michel et moi, jamais elle n’est sortie cette vie-là. Ce côté-là, je le cachais, c’était éteint. Et c’est vrai que ça, ça m’a manqué. » Quelques mois après le décès de Michel, Mario a commencé à publier sur Facebook des photos de Michel et lui. Quelques photos de voyage, d’autres en croisière et aussi quelques photos avec des amis. Pour se rappeler. Pour montrer ce qu’il a longtemps caché. « Quand Michel est décédé, je me suis rattaché à tous les souvenirs que j’avais. Ils sont surtout dans ma tête, ces souvenirs. » Mario, ému, poursuit : « Tu sens que tes souvenirs sont dans ta tête, parce que tu n’as pas tant de photos… »
Mario, as-tu déjà tenté de convaincre Michel de faire son coming out ? « C’est certain qu’en 1996, au début de notre relation, il n’était pas question qu’on en parle. Mais je pense qu’il y a une dizaine d’années, on aurait été prêts. Mais c’est lui qui gagnait de toute façon. J’aurais pas brusqué ça, moi. »
Mario m’explique à quel point Michel ne voulait jamais déplaire à son public. « Un jour, il s’était fait faire une coupe afro. Au premier commentaire négatif, il s’est fait défriser ! » Mario poursuit : « Il a passé sa vie à ne pas vouloir déranger personne, à ne pas faire de vagues. » L’artiste aura attendu son décès pour que l’on connaisse l’identité de celui qui a partagé sa vie pendant 26 ans. « Il a accepté de faire ça pour que je puisse respirer. En le faisant après sa mort, c’était une façon de ne pas déranger. »
Un mariage au dernier instant Peu de temps après l’annonce du décès de Michel Louvain en 2021, une autre information m’a surpris : dans les médias, on apprenait que Michel et Mario se sont mariés très peu de temps avant le départ de l’artiste.
Mario désirait depuis longtemps se marier à Michel. « Quand ça commençait à parler de mariage entre conjoints de même sexe et que nos amis se mariaient, je lui disais qu’on pourrait le faire aussi. On savait qu’on était faits pour être ensemble tout le temps. Mais Michel, ça ne l’intéressait pas. »
Pourquoi avoir attendu à la dernière minute pour vous marier ? Était-ce une façon de te faire hériter sans que ce soit compliqué ? « Peut-être. Je pense qu’il ne voulait pas j’aille de problèmes et en même temps, il savait que moi, ça avait été quelque chose que j’ai toujours voulu. »
C’est lorsqu’il apprend qu’il a un cancer de l’œsophage que Michel demande Mario en mariage. « Quand il m’a fait la demande, les médecins lui donnaient 14 à 18 mois à vivre. » Mais en réalité, Michel vivait ses derniers moments. Mario se rappelle avec précision la journée de leur mariage, la veille du décès. « Michel était affaibli, il parlait peu. Le prêtre est arrivé. Dans un regain d’énergie, Michel a récité tout le Notre Père. En après-midi, c’est le juge administratif qui est arrivé. On s’est mariés à 17 h. » Le lendemain, Mario retrouve Michel affaibli. « Dans l’après-midi, j’étais dans sa chambre, avec lui. Je lui ai fait écouter sa chanson qu’il aimait tant : Crazy World de Henry Mancini. Je me suis étendu à ses côtés. Je le caressais. Je lui parlais. Je lui disais qu’on était bien ensemble. » Quelques heures plus tard, Michel rendait son dernier souffle.
Mario ne s’en cache pas : il aura vécu une relation fusionnelle avec son amoureux. Et ce n’est pas facile de survivre à cet amour. « Je ne veux plus jamais être comme ça, parce que quand c’est si fusionnel et que l’autre part, il quitte avec des morceaux de toi. Tout éclate et tu ne sais plus qui tu es. »
Que reste-t-il de vos amours ? « Des beaux souvenirs ! Il y a ces deux journées d’avril 2021, que Michel a passées à la maison entre deux séjours à l’hôpital. On adorait faire dodo collés. Et j’ai pu vivre ça une dernière fois avec lui. Sentir son odeur en étant collé à lui. Et d’autres moments que je n’oublierai jamais, ce sont ces fins de journée où Michel se prenait un gin tonic et moi un verre de vin. Il préparait des petites bouchées. On s’assoyait ensemble. Ça, ça valait tout l’or du monde ! Ce qui me manque le plus, ce sont ces petits cocktails, assis avec mon chum… »
CRÉDIT PHOTOS : PERSONNELLES FOURNIES PAR MARIO THÉBERGE