Vendredi, 17 janvier 2025
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    Kevin Lambert s’attaque aux dérives des ultra-riches

    Après avoir enchainé les coups de circuit avec ses deux premiers romans, Tu aimeras ce que tu as tué et Querelle de Roberval, Kevin Lambert change de registre en explorant le monde des ultra-riches, l’embourgeoisement des quartiers, les liens étroits entre la politique et l’économie, ainsi que l’inconscience des privilèges dans Que notre joie demeure. Un livre au cœur duquel trône Céline Wachowski, architecte québécoise figurant parmi les plus riches de la planète, très demandée et admirée de toutes parts, jusqu’à ce que le vent tourne et que son implication dans la conception des bureaux du siège social de Webuy, sorte d’Amazon fictif, devienne le porte-étendard de nombreuses dérives des temps modernes.


    Au cours des dernières années, tu as obtenu le prix Sade, en plus d’être finaliste au Médicis, au Wepler et au Grand Prix du livre de Montréal. Est-ce que cette reconnaissance influence ton écriture ?

    KEVIN LAMBERT : Pas consciemment. J’ai même commencé mon troisième roman avant que Querelle de Roberval sorte en France. Cela dit, ça m’encourage à mettre beaucoup d’énergie dans mon écriture puisque c’est bien reçu. J’ai l’impression d’être allé plus loin avec mon nouveau livre, parce que j’ai appris en écrivant les deux autres. On se donne plus de liberté, parce qu’on s’apprend soi-même à écrire. Je vois ça comme un apprentissage infini. Je suis allé dans un autre sens que Querelle. Je ne me sentais pas obligé d’être fidèle à ce que j’avais publié avant.


    On a même l’impression que tu as changé de style d’écriture. Comment cette plume a-t-elle émergé ?
    KEVIN LAMBERT : Mon style est lié au personnage et au choix de sujet. Dans ce cas ici, le style est une manière d’embrasser la vie intérieure de Céline. La musique, la forme et la rythmique de mes phrases étaient ce qui me permettait de m’approcher de sa sensibilité. J’ai été très influencé par les romans de Virginia Woolf et Proust, qui parlent des aristocrates et des bourgeois de leurs époques respectives, et par le cinéma très intérieur de James Ivory.


    Depuis tes débuts, tu es associé à une queerness très affranchie, alors qu’elle n’est pas présente dans les éléments centraux de ton troisième livre. Voulais-tu nous amener ailleurs ?
    KEVIN LAMBERT : Je n’aurais pas voulu écrire Querelle de Roberval 2 pour des raisons de défi et de stimulation personnelle, mais je ne me suis jamais dit que je voulais prouver que je n’appartenais pas seulement à une case. Les cases ne me dérangent pas pantoute. Je n’ai pas fini d’écrire sur le queer, même si l’homosexualité est moins un enjeu central dans ce livre. Il y a quand même quelque chose de queer dans la narration. Les plumes que j’ai citées sont toutes gaies et lesbiennes. Il y a quelque chose de lié à l’histoire de l’art LGBTQ+. Ce n’est pas pour rien que plusieurs personnes queers ont des vies intérieures si profondes et qu’elles ont donné autant de place à l’art dans leur vie : elles étaient souvent forcées de vivre dans le secret, de cacher leurs émotions et leurs identités. Ça crée des subjectivités souvent propices à une grande exploration intérieure.


    Dirais-tu que la critique sociale est l’un de tes fondements créatifs ?
    KEVIN LAMBERT : Tous mes textes partent d’une question sociale, qui s’articule ensuite dans des milieux et des personnages différents. Je trouve ça important de raconter notre époque et de le faire avec ambiguïté et complexité. Je suis l’actualité, je regarde le monde, j’observe mon quartier à Montréal. Mon point de vue sur la métropole est celui de quelqu’un ayant grandi en région. Les inégalités et les enjeux de pouvoirs dans la matière de la ville sont tellement plus gros à Montréal. En arrivant ici, ça m’avait marqué. Par exemple, c’est trash de constater qu’à Westmount, il y a des itinérants en bas de la montagne. On ne voit pas ça à Chicoutimi.


    En te lisant, j’avais l’impression que tu as une passion dévorante pour l’architecture. Est-ce le cas ?
    KEVIN LAMBERT : C’est une passion d’amateur et non quelque chose que j’ai étudié de manière scolaire. J’ai lu beaucoup là-dessus. J’ai plein d’opinions sur les nouvelles constructions dans mon quartier. Au final, l’une des choses dont je suis convaincu, c’est que l’espace dans lequel on vit, la forme de nos villes, de nos logements et des bâtiments publics, influence notre subjectivité. Les humains sont des petites bibites très poreuses. L’environnement dans lequel on est a un impact direct sur la manière dont on voit les choses.


    On sent aussi une volonté de mettre en lumière un certain éloge de la médiocrité qui existe au Québec, quand tu évoques la façon dont on fait table rase du patrimoine, la loi du plus bas soumissionnaire, le manque d’envergure de certaines de nos idées, notre malaise face aux gens qui réussissent et qui font beaucoup d’argent. Comment penses-tu être reçu par les lecteurs ?
    KEVIN LAMBERT : Je viens du Saguenay, la région où les gens sont les plus chauvins, et le personnage central de mon premier livre veut détruire Chicoutimi, alors je suis habitué aux réactions. Je suis capable d’en prendre. Oui, je suis d’avis qu’on détruit trop au Québec et qu’il n’y a pas de vision du patrimoine assez forte. Dans le livre, je voulais également mettre de l’avant différents discours en architecture ou en affaires au Québec et mettre en lumière le fait que les architectes ont de réelles idées de la beauté, mais qu’ils sont très dépendants des pouvoirs politiques. Ça m’intéressait
    d’explorer cette position d’artiste avec un pied dans l’argent.


    Crois-tu appartenir à une génération de plumes qui ont une grande aisance à rentrer dans le tas, à gratter le bobo et à nous forcer à regarder la vérité en face ?
    KEVIN LAMBERT : Toutes les époques ont eu des auteurs qui faisaient ça, mais parfois on les oublie. Je défends toujours le passé. Peut-être qu’il y a une mouvance actuelle d’artistes qui remettent en question la société, mais je pense que le propre de la littérature est de questionner le monde, le présent et la société.


    INFOS | Que notre joie demeure de Kevin Lambert, Héliotrope, 2022, 380 p.

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