Dimanche, 27 avril 2025
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    Bernard Lavallée veut sauver la diversité… alimentaire

    Cela peut sembler contre-intuitif, mais c’est pourtant la réalité : malgré l’abondance dans nos épiceries et l’accès à des aliments venus de partout dans le monde, la diversité alimentaire est en diminution constante. Nous laissons disparaître d’innombrables espèces de légumes, plantes, fruits et animaux. Nous continuons tête baissée dans le chemin de la monoculture et de la productivité à tout prix. Quitte à mettre en péril notre résistance alimentaire. Désirant mieux comprendre ce phénomène, le nutritionniste urbain Bernard Lavallée a écrit le livre À la défense de la biodiversité alimentaire – sur la trace des aliments perdus.

    Quels parallèles pouvons-nous tracer entre la biodiversité alimentaire et la diversité en société?
    Bernard Lavallée : Aujourd’hui, on assiste à une homogénéisation de l’alimentation et de la culture alimentaire. On parle de culture dominante. L’alimentation est en train de s’occidentaliser. On est en train de perdre des aliments cultivés partout sur la planète : ils font désormais partie de culture méconnues ou marginalisées, parce que les colons ont décidé que ça ne répondait pas à l’industrialisation, au capitalisme et à la mondialisation. Pourtant, quand on perd des aliments, on perd aussi des rituels, des savoirs, des recettes et des légendes.

    Tu affirmes pouvoir résumer ta carrière en deux mots : manger diversifié. Pourquoi?
    Bernard Lavallée : C’est l’un des conseils les plus fondamentaux en nutrition. Il résiste aux modes et à l’évolution de la science. Dans la majorité des pays, il fait partie des recommandations. Je connais son importance depuis longtemps. Pourtant, il y a quelques années, je suis tombé sur des textes évoquant le déclin de la diversité alimentaire et la disparition de variétés de fruits et légumes cultivés dans le passé, sans oublier les nombreuses espèces en péril qu’on consomme de moins en moins. De nos jours, on estime que les deux tiers de la production alimentaire mondiale repose sur neuf plantes et cinq animaux, qui fournissent l’entièreté de la viande, des œufs et du lait. Donc, je pose la question : sur des milliers et des milliers d’espèces, comment ça se fait que notre alimentation est de moins en moins diversifiée mondialement? En fouillant, j’ai constaté à quel point c’était compliqué de trouver l’information et de la comprendre. C’est pour ça que j’ai fait un livre.

    Tu expliques pourquoi les générations avant nous ont laissé filer des aliments, le rôle de l’agriculture, de la monoculture, de la productivité à tout prix, du besoin de nourrir toujours plus de gens, des variétés qui disparaissent, etc. Dirais-tu qu’au nom du progrès, l’humain a fait plus de mal que de bien dans ce domaine?
    Bernard Lavallée : Sans l’agriculture, on ne serait pas autant d’humains sur Terre. C’est grâce à elle qu’on peut vivre dans les sociétés telles qu’on les connaît. Aujourd’hui, Samuel, si on se parle sur Zoom, c’est parce que l’agriculture existe : sans elle, on n’aurait pas pu laisser certaines personnes délaisser le travail dans les champs, la cueillette et la chasse, pour se tourner vers d’autres aspects de la société et, entre autres, inventer toutes ces technologies. La vie telle qu’on la connaît n’existerait pas sans l’agriculture. Ce serait donc hypocrite de ma part de dire que l’agriculture est la pire erreur de l’humanité.

    Toutefois, le besoin de nourrir autant de personnes semble également faire des ravages.
    Bernard Lavallée : C’est légitime qu’on se questionne à savoir si c’est une bonne chose qu’on soit autant d’humains sur Terre. J’y ai beaucoup réfléchi. Je ne parle pas de dénatalité du tout. C’est un des angles abordés par certaine personnes qui s’intéressent à l’environnement, mais je ne crois pas à cette idée. Il y a même des relents de racisme derrière ça. Dans les faits, si on comparait l’empreinte carbone d’un.e Québécois.e avec elle d’une personne vivant au Bangladesh, c’est nous qui polluons le plus. L’enjeu n’est pas tant le nombre d’êtres humains, mais la consommation par être humain. Pour baisser la demande d’énergie de chaque personne en alimentation, on peut s’y prendre de deux façons : manger moins de viande et diminuer le gaspillage.

    Cela dit, est-ce que ton livre est un cri d’alarme?
    Bernard Lavallée : Bien sûr! J’ai peur pour les générations futures. Plus la diversité diminue, plus la résilience du système alimentaire fait de même. Quand tu cultives en monoculture avec des variétés de plantes qui ont une très petite variabilité génétique, elles deviennent plus susceptibles aux maladies, aux insectes ravageurs et aux changements climatiques. À l’inverse, plus tu as une grande diversité dans les écosystèmes, plus tu es résilient aux phénomènes qui pourraient te nuire. Il y a quelques années, tu as lancé une entreprise de semences ancestrales.

    Tu publies maintenant ce livre. Es-tu en mission?
    Bernard Lavallée : De l’extérieur, on peut voir les choses ainsi. Pourtant, je le fais pour moi en premier. Depuis que je suis jeune, j’ai besoin de répondre à mes questions. C’est ce qui me tient en vie. La curiosité est une façon de calmer mon anxiété. Quand je m’interroge, ça vient me chercher, car il y a de l’inconnu. J’ai donc besoin de trouver la réponse à cet inconnu pour me calmer. Je n’ai tout simplement pas le choix.

    Ton livre est parsemé d’illustrations faites par ton amoureux, l’illustrateur Simon L’Archevêque. Qu’est-ce que ça signifie pour toi de l’impliquer dans ton projet?
    Bernard Lavallée : Ça fait très longtemps qu’on est en couple. On a une relation personnelle et professionnelle bien établie. Il a travaillé sur presque tous mes projets. C’est un bonheur de pouvoir dire qu’on conçoit des projets à deux. Mais comme on travaille ensemble, nos vies personnelles et professionnelles s’imbriquent l’une à l’autre. C’est souvent difficile de délimiter qu’est-ce qui est quoi. Très souvent, on doit naviguer dans ces zones floues. J’essaie qu’on garde le côté professionnel à part pour protéger un jardin secret où les émotions prennent toute la place. Cela dit, je profite du fait qu’il me connaisse si bien. Je n’ai jamais de commentaires à faire sur ses illustrations. J’apprécie toujours son travail. Je l’aime tellement que je lui fais confiance à 100%.

    INFOS | À la défense de la biodiversité alimentaire : sur la trace des aliments perdus Bernard Lavallée. Éditions La Presse, 2022

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